QUEL SERA LE FONCTIONNEMENT DES COMPTES-RENDUS HEBDOMADAIRES ?
L’objet des comptes-rendus est de retranscrire les points importants de l’audience : ce qui sera mis en lumière par les débats, les éléments importants à retenir, mais aussi l’ambiance de l’audience telle que les incidents ou les points de difficulté qui pourraient survenir lors du procès.
Ainsi, il s’agira de synthèses restituant l’essentiel des audiences qui seront transmis les lundis, sauf cas d’audience le lundi, ils seront transmis dès que possible.
N’hésitez pas à nous faire part de vos attentes étant précisé que si vous souhaitez une vision plus complète du procès, nous vous invitons à écouter la Webradio des audiences.
LA COUR D’ASSISES SPÉCIALEMENT COMPOSÉE DU PROCÈS DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE
La Cour d’Assises qui juge les crimes commis en matière de terrorisme est appelée Cour d’Assises spéciale, parce que spécialement composée de magistrats professionnels, sans jury populaire.
Le siège
La juridiction de jugement, appelée siège, est composée de neuf magistrats professionnels (un Président et huit Assesseurs dont quatre suppléants), notamment choisis parmi les Présidents de Cour d’Assises de droit commun, ayant une grande expérience du sujet terroriste.
La Cour d’Assises spéciale V13 est présidée par Monsieur le Président Jean-Louis PERIES. Il s’agit de son dernier procès après plus de quarante ans de magistrature.
Il compte à son actif plusieurs expériences de Président de Cour d’Assises spécialement composées.
C’est un magistrat reconnu pour sa poigne et sa capacité à tenir les débats. Il en a fait la démonstration en contenant parfaitement les débordements de Salah ABDESLAM en ce début d’audience.
Le premier Assesseur est Madame le Président Frédérique ALINE et le second Madame le Président Xavière SIMEONI, toutes deux Présidentes de Cour d’Assises ayant déjà siégé en Cour d’Assises spécialement composées jugeant des terroristes.
Le Parquet
Du côté du Parquet, chargé de représenter l’accusation et la Société, on dénombre trois Avocats généraux (équivalents des Procureurs) faisant partie du Parquet national antiterroriste (PNAT).
Madame l’Avocate générale, Camille HENNETIER, portera principalement la voix de l’accusation. Elle était présente au soir des attentats aux côtés de Frédéric MOLINS, Procureur de la République de Paris. Elle dirigeait à l’époque la section antiterroriste du Parquet de Paris, devenue le PNAT.
Elle est accompagnée de deux autres magistrats spécialistes depuis cinq ans des dossiers terroristes : Nicolas LE BRIS et Nicolas BRACONNAY.
Un trio d’Avocats généraux est inédit à un procès.
Compte rendu d’audience du 8 au 10 septembre
L’OUVERTURE DU PROCÈS
L’ouverture du procès a été marquée par les divers incidents provoqués par les propos tenus par Salah ABDESLAM et son attitude de défiance. Il a ainsi réaffirmé son attachement à l’Etat islamique et à l’islamisme radical, et a également contesté ses conditions de détentions qu’il qualifie d’inhumaines ainsi que la présence des certains autres accusés dans le box.
Le Président a toutefois toujours recadré les débats notamment :
- A la place de sa profession, il a indiqué : « J’ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l’Etat islamique » et le Président PERIES de répondre impassible « j’avais noté « intérim » » ;
- Profitant d’un malaise d’un des autres accusés, il a déclaré sur ses conditions de détention : « Faites attention aux gens (…) Ecoutez monsieur le Président. On est des hommes, on a des droits. Faut pas nous traiter comme des chiens. (…) Là-bas derrière (en prison, ndlr.) ça fait plus de six ans que je suis traité comme un chien, ça fait six ans que je dis rien car je sais qu’après la mort je serai ressuscité et vous devrez rendre des comptes », ce à quoi le Président PERIES a répondu « On n’est pas dans un tribunal ecclésiastique mais dans un tribunal démocratique » ;
- Il s’est également permis d’inviter à réfléchir sur les faits que les victimes en Syrie ou en Irak ne peuvent témoigner, que certains des autres accusés l’avaient aidé sans savoir l’objet de ses démarches ou encore qu’il doit être présumé innocent même s’il ne cautionne pas notre justice.
Le Président PERIES lui a indiqué « Vous avez eu cinq ans pour vous expliquer, vous n’avez pas souhaité faire de déclarations comme c’est votre droit. J’ai compris maintenant que vous vouliez le faire, et c’est très bien, mais ce n’est pas le moment » avant de faire couper son micro.
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Le Parquet, qui représente la Société, a fortement étonné lors du premier jour d’audience en contestant les constitutions de certaines parties civiles, notamment des personnes morales, dont le Bataclan ou la Belle équipe. Certaines personnes physiques ont également vu leur constitution de partie civile remise en cause.
Le Parquet estime en effet que seules les personnes ayant directement été présentes sur les lieux des attentats, durant les attaques et ayant encouru un danger certain sont recevables à se constituer parties civiles, ainsi que leurs proches. Sinon, elles sont qualifiées de « témoins malheureux » en vertu de la jurisprudence du dossier.
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Le troisième jour d’audience a été marqué par des contestations des avocats de la défense concernant la présence de certains témoins quant à la nécessité et la pertinence de leur témoignage, comme par exemple pour l’ancien Président de la République François HOLLANDE ou pour le magistrat et politique Georges FENECH.
Ils ont également dénoncé une difficulté quant à l’anonymat des policiers qui ont enquêté dans le dossier : selon la défense, s’ils témoignent de manière anonymisée, on ne peut savoir quels actes d’enquête ils ont effectué et donc les interroger sur ceux-ci.
Enfin, lors du rapport très détaillé du Président qui a duré plus de 9h, l’émotion était palpable concernant le récit des attaques au Stade de France, aux terrasses et au Bataclan, énumérant la liste exhaustive des victimes (nom, âge et lieu de décès).
Compte-rendu d'audience du 13 au 15 septembre 2021
Ce compte-rendu synthétise les témoignages suivants :
- Lundi 13 septembre : L’adjoint au chef de la division de la répression du terrorisme international au sein de la SDAT (Sous-direction antiterroriste de la Direction Centrale de la Police Judicaire) ;
- Mardi 14 septembre : La juge d’instruction belge ;
- Mercredi 15 septembre : L’enquêteur de la section antiterroriste de la Brigade Criminelle (SAT).
Il sera présenté de manière thématique afin de faire ressortir les points importants soulevés à l’audience ou les éléments inédits de compréhension apportés par les témoignages.
LE CONTEXTE DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015
La menace terroriste s’était intensifiée depuis 2014. Cette date correspond à l’établissement du Califat de l’Etat Islamique, ainsi qu’à la déclaration de son Emir qui intimait l’ordre d’attaquer la France. Le projet était clairement de perpétrer des tueries de masse, ce qui diffère des attentats davantage symboliques commis auparavant, amenant à une nécessaire adaptation des services de police et de renseignement.
Ainsi, au moment des attentats du 13 novembre, les services de police et de renseignement étaient mobilisés sur plus de 50 dossiers d’attentats ou de projets d’attentats allant de décembre 2014 à octobre 2015.
A partir de juin 2014, ce sont plus de 2.000 Français qui ont rejoint le Califat, soit autant de profils à suivre pour les services de renseignement. Aussi, Abdelhamid ABAAOUD était déjà connu des services de renseignement, mais en tant que « profil dormant », c’est-à-dire surveillé en raison de sa présence en zone irako-syrienne ainsi que du fait de son omniprésence dans la propagande de l’Etat Islamique. La juge d’instruction belge a également précisé que ce dernier avait été « repéré » lorsqu’il avait enlevé son petit frère de 10 ans pour l’emmener avec lui au sein de l’Etat Islamique.
Certains profils n’étaient également pas signalés comme « à risques », à l’instar de celui de Salah ABDESLAM, notamment par le cloisonnement important au sein des réseaux qui empêchait tout établissement de liens entre les futurs terroristes.
Ainsi, par exemple, Salah ABDESLAM avait été contrôlé au matin du 13 novembre 2015. Ce contrôle n’avait cependant pas permis son interpellation puisqu’il s’agissait d’un simple contrôle dit « Schengen » de déplacement de ressortissants au sein de l’Union Européenne. En l’absence de signalement de sa dangerosité, ce contrôle ne permettait donc pas de l’arrêter.
LES ÉLÉMENTS INÉDITS RESSORTANT DES TÉMOIGNAGES
Les divers témoignages ont fait ressortir des éléments de compréhension inédits qui étaient jusqu’alors inconnus du grand public :
- Les liens étroits entre les différents attentats de cette période : L’interconnexion des attentats ayant été perpétrés en Europe à cette période a été évoquée. Ainsi, celui du Thalys permettait d’expliquer l’entrée de terroristes en Europe, tandis que celui de Bruxelles était qualifié d’« épilogue de la cellule terroriste du 13 novembre » ;
- Une enquête compliquée par l’omniprésence des médias : Cette difficulté a été soulignée avec insistance. Un flot d’informations massif était donné par les médias dans les premières heures de l’enquête que les services de police devaient nécessairement vérifier, ce qui représentait un temps considérable.
Ils ont également compliqué l’interpellation de Salah ABDESLAM en révélant que son ADN avait été retrouvé dans une planque belge, ce qui a précipité son interpellation dans des conditions difficiles pour éviter sa fuite ;
- La difficulté de retracer l’organisation des attentats : Sur le plan financier, l’interconnexion avec le crime organisé ne permettait pas d’identifier les flux d’argent ayant servi au financement. Sur le plan des armes, celles-ci venaient de Belgique où la législation permet l’achat de kalachnikovs démilitarisées (celles-ci ont été remilitarisées par la suite), ce qui empêchait d’alerter les autorités françaises. Ainsi, identifier le risque terroriste était quasi impossible à partir de ces deux points ;
- Concernant Abdelhamid ABAAOUD : Son rôle a énormément surpris. Il a ouvert la voix aux commandos du 13 novembre. Cependant, son incarnation médiatique de ces commandos ne laissait pas supposer qu’il en faisait partie puisque le sacrifice de tels symboles de propagande est rare au sein de l’Etat Islamique ;
- Concernant Salah ABDESLAM : La radicalisation de sa famille est clairement apparue. il a en effet été indiqué que le café de la famille ABDESLAM, au sein du quartier de Molenbeek, disposait d’une pièce qui diffusait en continu des vidéos de propagande de l’Etat Islamique, où était d’ailleurs présent Abdelhamid ABAAOUD. Cette pièce servait également à passer des appels « Skype » avec des « combattants » sur zone.
POURQUOI LA BELGIQUE ET UNE TELLE RADICALISATION AU SEIN DU QUARTIER DE MOLENBEEK ?
Le dossier des attentats du 13 novembre a été présenté comme incarnant de manière concrète le risque jihadiste en Belgique. Le nombre de Belges ayant rejoint l’Etat Islamique sur zone était extrêmement élevé au regard de la population totale de la Belgique.
A cet égard, la juge d’instruction belge a tenu à apporter un éclairage sur ce phénomène, notamment sur la radicalisation particulière du quartier de Molenbeek.
Le quartier de Molenbeek est une des dix-neuf communes composant la ville de Bruxelles. Il dispose d’une densité de population de 100.000 habitants pour 6 kms carrés, soit le double de la population des autres communes.
Ce quartier est composé à 50% de personnes d’origine marocaine, principalement issues d’un regroupement familial en terme de famille très étendue. Cet élément explique que tous les habitants font soit partie de la même famille, soit sont allés dans la même école, soit sont voisins, les maisons du quartier étant mitoyennes.
La proximité des habitants a donc facilité la radicalisation des jeunes. Il y a en effet de manière régulière et quotidienne une irrigation de la pensée radicale, par exemple par le biais de personnes plus ou moins proches qui aident financièrement et en profitent pour prêcher leur « bonne parole ». La plupart des mosquées prêchent également un Islam radical et ce quartier est celui où le plus vieux « radicalisateur » a sévit depuis les années 80.
Il est donc « normal » au sein de ce quartier d’entendre un Islam uniquement radical de par cette interconnexion entre les habitants et leur proximité amicale ou familiale, cela devient la normalité de ces jeunes de penser ainsi.
LES DÉCLARATIONS LIMINAIRES DES ACCUSÉS
A l’instar de chaque procès d’assises, les accusés se sont vus offrir la possibilité d’effectuer une déclaration liminaire sur les faits mercredi 15 septembre. Quelques-uns ont refusé de parler, mais la plupart ont reconnu une participation minime en déniant fermement toute connaissance ou adhésion au projet des attentats. Salah ABDESLAM en a quant à lui profité pour réaffirmer dans un discours construit la doctrine de l’Etat Islamique, à savoir qu’il s’agissait de représailles aux attaques de la Coalition qui ne distinguaient ni les femmes ni les enfants.
QU’EN EST-IL DE « SONIA », LA TÉMOIN AYANT PERMIS DE RETROUVER ABDELHAMID ABAAOUD ?
Le rôle capital de celle qui est connue sous le nom de « Sonia », la jeune femme ayant indiqué l’endroit où se cachait Abdelhamid ABAAOUD, a été particulièrement mis en lumière. Les informations qu’elle a pu apporter ont permis l’intervention ayant conduit à la mort de ce dernier, mais également de pouvoir déjouer des attentats qui étaient prévus pour la fin d’année. Les informations qu’elle a données ont été qualifiées de circonstanciées et vérifiables.
Au vu de son rôle crucial, le régime de protection des témoins a été créé spécialement pour elle et ses proches. Il n’existait en effet en France que ce qu’on appelle le « régime des repentis », soit une protection de personnes impliquées dans des activités criminelles ayant permis d’empêcher certains actes ou ayant contribué à la condamnation de leurs anciens complices et/ou organisations.
Dès lors, « Sonia » a été prise en charge par le « service des repentis », ainsi que ses proches. Ils changent régulièrement d’identité, de lieux de vie, sont protégés en permanence et bénéficient d’indemnités leur permettant de vivre. Il s’agit d’un programme de protection des témoins à la française, même si celui-ci est bien moins étendu qu’aux Etats-Unis.
LES QUESTIONS PROCÉDURALES
Ces trois jours d’audience ont soulevé deux questions d’ordre procédural.
La première concernait l’ordre du temps de parole au cours du procès.
Traditionnellement, la Cour parle en premier, puis les parties civiles, le Ministère Public et enfin la défense. Cependant, au vu du nombre d’avocats de parties civiles, il semblait difficilement possible de conserver cet ordre qui aurait amené à un débordement chronophage.
Après un vif débat, le Président PERIES a donc décidé que le temps de parole serait inversé, ce afin que les questions des parties civiles aient déjà pu trouver des réponses dans celles posées par la Cour et le Ministère public. Cela explique que l’ordre adopté est le suivant : la Cour, le Ministère Public, les parties civiles et enfin la défense. Cet ordre pourra cependant être révisé ultérieurement si des difficultés venaient à apparaître.
Il faut cependant souligner que, même si cet ordre de parole est inédit, il répond à l’esprit même du procès d’assises : les parties civiles sont là pour soutenir l’accusation, non pour la mener. Le rôle de chacun est donc ainsi préservé.
L’autre question procédurale abordée concerne celle des témoins anonymes.
Elle reviendra sûrement au moment des témoignages des enquêteurs belges puisque la juge d’instruction belge a souligné le fait que, si le témoignage anonyme des enquêteurs existe en Belgique, il n’est quasiment jamais utilisé, ne l’ayant elle-même vu qu’une fois depuis qu’elle traite des dossiers terroristes (2003). Il est donc à attendre que la défense évoque à nouveau ce point de difficulté ultérieurement pour les raisons évoquées la semaine dernière.
Compte-rendu d'audience du 16 au 24 septembre 2021
Du 16 au 24 septembre, se sont succédés les témoignages relatifs aux constatations effectuées dans la suite immédiate des attentats :
- Jeudi 16 septembre : Les trois enquêteurs ayant réalisé les constatations respectivement au Stade de France/ au Carillon et au Petit Cambodge / à la Bonne Bière et Casa Nostra;
- Vendredi 17 septembre : L’enquêteur du Bataclan ;
- Lundi 20 septembre : Les enquêteurs à la Belle équipe et au Comptoir Voltaire ;
- Mercredi 22 septembre : Le Commissaire de la « BAC 75 Nuit » intervenu en premier au Bataclan et le Chef de la BRI ;
- Jeudi 23 septembre : Le Directeur de l’Institut Médico-légal de Paris et la Responsable de l’atelier victime du dispositif attentat de la SDAT rattaché à la cellule interministérielle ;
- Vendredi 24 septembre : Les experts en ADN et pour les gilets explosifs, ainsi que l’adjoint au chef de la division de la répression du terrorisme international au sein de la SDAT sur le volet revendications des attentats.
Il sera présenté de manière thématique afin de faire ressortir les points importants soulevés à l’audience ou les éléments inédits de compréhension apportés par les témoignages.
L’organisation de la cellule terroriste, entre parfaite planification et dysfonctionnements inattendus
L’ensemble des enquêteurs intervenus sur les multiples lieux d’attentats ont souligné l’organisation rigoureuse dont avaient fait preuve les terroristes :
- La brièveté des attaques démontrait un entrainement certain des terroristes à l’utilisation des kalachnikovs. En moyenne, en moins de deux minutes, entre 50 et 200 balles étaient tirées par les terroristes. Les angles de tir démontraient également une maîtrise certaine de par la précision de ceux-ci compte tenu du recul et de la déviation de trajectoire induits par la force de tir de l’arme ;
- Un grand soin avait été apporté aux détails. A titre d’exemple, les kamikazes du stade de France avaient tous revêtus des tenues de supporters du club allemand ainsi que des drapeaux pour se fondre dans la masse ;
- La coordination entre les diverses attaques était certaine : il y avait une proximité géographique permettant aux terroristes de repérer les lieux avant les attaques en ce qui concerne Paris intra-muros. Cela explique que les huit attentats ont eu lieu en seulement 33 minutes.
Cependant, si une organisation certaine et méthodique transparait, des éléments indépendants de la volonté des auteurs ont amoindri la portée encore plus meurtrière que ces attaques auraient dû avoir.
A titre d’exemple, on peut citer l’impossibilité d’achat de billets des kamikazes pour entrer au Stade de France, ce qui les a obligés à tenter de se mêler à des groupes de supporters sans y parvenir. Ou encore l’instabilité des gilets d’explosifs qui a empêché l’explosion complète de celui de Brahim ABDESLAM au Comptoir Voltaire.
Ces éléments se sont également retrouvés dans la propagande de l’Etat Islamique. Celle-ci, pourtant d’un grand professionnalisme semblable aux chaines d’informations et films grand public d’un point de vue technique, a partagé de nombreuses informations erronées. Elle a ainsi évoqué des attentats qui n’ont pas eu lieu ou a involontairement révélé la fuite de Salah ABDESLAM en mentionnant dix terroristes quand neuf étaient morts et identifiés.
Une communion d’émotion entre enquêteurs et victimes
L’ensemble des témoignages de cette période a été très fortement chargé en émotion.
La plupart des enquêteurs, pourtant des hauts gradés des services de police particulièrement aguerris, ont laissé transparaître une émotion palpable tout au long de leurs témoignages.
Au-delà de certains détails des constatations qui ont particulièrement ému l’ensemble des acteurs du procès, ils ont chacun eu un mot pour les victimes afin de leur faire savoir à quel point ils partageaient leur tristesse et leur douleur.
Tous ont fait part de cette nuit comme un point de rupture avec leur vie d’avant, tenant à assurer les victimes de leur parfaite communion avec elles.
L’intervention des forces de police
L’intervention des forces de police, notamment au Bataclan, a fait polémique bien avant l’ouverture du procès.
Il a été reproché à la fois sa tardiveté mais également le fait que certaines unités à proximité ne pouvaient intervenir car elles n’en avaient pas reçu l’ordre. Ces éléments on été mis en avant par le reportage « Les ombres du Bataclan » sur Arte (https://www.arte.tv/fr/videos/100286-000-A/les-ombres-du-bataclan/), diffusé la veille de l’ouverture du procès, qui a émis de nombreuses critiques sur ces points, pointant des dysfonctionnements manifestes.
La première personne à être intervenue au Bataclan est un Commissaire de la BAC 75 Nuit. Son témoignage poignant a mis en lumière son courage mais également le fait qu’il a agi à l’encontre des ordres habituels pour sauver le plus de vies possible au Bataclan. Il est en effet intervenu sans ordres avec son seul équipier, muni d’un équipement rudimentaire (un gilet pare-balles classique et une arme de poing).
Son intervention a permis, lorsqu’il a neutralisé le kamikaze présent sur la scène, de détourner l’attention des deux autres assaillants vers lui, faisant ainsi cesser les tirs de ces derniers en direction de la fosse. Par ailleurs, à l’encontre de l’ordre d’attendre la BRI, il a extrait avec les autres membres de la BAC 75 Nuit, arrivés entre-temps, de nombreux blessés de la fosse pour les évacuer le plus rapidement possible, permettant ainsi d’en sauver un certain nombre.
Concernant la BRI, son intervention a pu être qualifiée de tardive. Celle-ci est arrivée sur place à 22h20, soit 40 minutes après le début de l’attaque, temps qui a été considéré par les parties civiles comme étant trop long pour une équipe d’élite.
Il a été également exposé que la phase de sécurisation avant l’assaut des 10.000 mètres carrés de la salle de spectacle a été particulièrement longue. Il fallait en effet s’assurer de l’absence d’autres terroristes mais également évacuer les personnes cachées. Cette opération a été réalisée en 45 minutes, ce qui explique à nouveau que l’assaut a pu être qualifié de tardif.
Ainsi, à l’issue du jour d’audience consacré à l’intervention au Bataclan, il en ressort que des dysfonctionnements ont bien eu lieu durant cette nuit, que des policiers sont intervenus de manière héroïque, que la BRI a agi au plus vite selon elle pour sécuriser les lieux et éviter un bilan humain qui aurait pu être encore plus lourd.
Si certains avocats de parties civiles ont souhaité revenir sur ces dysfonctionnements de manière très détaillée, le Président PERIES a interrompu le débat en estimant que le procès n’était pas celui des dysfonctionnements qui ont pu avoir lieu ce soir-là.
L’indentification des victimes, un dispositif d’urgence ayant connu des failles
L’identification des victimes s’est déroulée en 3 étapes :
- 1ère étape : Une pré-identification sur les lieux des attentats. Celle-ci a principalement été réalisée à partir des effets personnels retrouvés sur les victimes ou à proximité ;
- 2ème étape : L’identification par l’atelier victime de la SDAT, qui permettait l’envoi du corps à l’Institut Médico-légal de Paris pour présentation à la famille ;
- 3ème étape : La présentation du corps à la famille au sein de l’Institut Médico-légal de Paris puis sa restitution à l’issue des opérations médico-légales.
De nombreuses faiblesses et failles ont été soulignées par les avocats des parties civiles.
La responsable de l’atelier victime a reconnu un peu plus d’une dizaine d’erreurs d’identification, notamment du fait des éléments suivants :
- La première difficulté résultait du fait que, dans la panique et la fuite des victimes sur les lieux des attentats, il y avait eu un mélange des effets personnels, menant parfois à des identifications erronées lorsque par exemple la photographie de la carte d’identité retrouvée à proximité de la victime lui ressemblait ;
- La seconde difficulté résidait dans le fait que, sous le choc psychologique et eu égard au type de blessures subies, certaines familles ont reconnu des proches qui n’étaient pas les leurs.
Par ailleurs, l’accueil des victimes au sein de l’Institut Médico-légal et les conditions de présentation des victimes à leurs proches ont été décriées.
A titre d’exemple, on peut citer notamment l’absence de confirmation de la présence de certains corps à l’Institut Médico-légal ; les modalités de présentation des victimes à leurs proches (temps d’attente et avec les victimes, conditions matérielles).
Si tous ces dysfonctionnements ont été mis en avant, l’ensemble des acteurs de ce processus se sont montrés extrêmement touchés et contrits concernant les erreurs commises, faisant part d’une émotion certaine et présentant des excuses sincères aux proches des victimes.
Ils ont tenu à souligner que les leçons ont été tirées de ces erreurs pour proposer un dispositif plus organisé à l’avenir, avec par exemple un cloisonnement entre la prise en charge des proches à l’Ecole Militaire et la présentation des victimes au sein de l’Institut Médico-légal.
Audience sur les contestations de constitution de partie civile du 11 octobre 2021
Compte-rendu d'audience du 28 septembre au 27 octobre 2021
Parties civiles
Le présent compte-rendu d’audience a pour objet d’exposer, de façon synthétique, les témoignages des parties civiles se sont succédées durant ces cinq semaines, notamment au travers des éléments communs ou marquants qui ont pu se dégager.
Son objet n’est pas de généraliser ces impressions à l’ensemble des victimes non entendues dont les ressentis et témoignages peuvent différer. En effet, si plus de 300 victimes ont souhaité témoigner, cette synthèse ne rendra nécessairement pas compte de manière exhaustive au vécu de plus des 1.300 victimes. Comme le suggérait l’une d’elles lors de l’audience, « Il y a autant de 13-Novembre qu’il y a de victimes ».
En outre, le présent compte rendu ne développera pas les conséquences psychologiques et psychiatrique des victimes des attentats, conséquences qui ont été abordées dans le cadre du compte-rendu communiqué suite à l’intervention des experts psychiatres et psychologues du 29 octobre.
UNE ÉMOTION PALPABLE
Ces cinq semaines de témoignage des parties civiles ont été marquées par une grande émotion. Ces témoignages poignants, parfois très durs à entendre, même pour des professionnels du droit, ont permis de prendre conscience de l’indicible, de l’inimaginable, de l’horreur de cette nuit du 13 novembre 2015.
Ils ont également permis de mettre en avant que la même horreur des attentats du 13 novembre 2015 concernait aussi bien le Bataclan, les terrasses ou au Stade de France, les victimes de ce dernier lieu ayant été plus oubliées et ayant pourtant tout autant souffert.
Si ce moment a été particulièrement éprouvant, il a permis aux victimes de faire entendre leur douleur et le long cauchemar dans lequel elles vivent depuis les faits. Parfois, il s’agissait de la première fois où elles pouvaient enfin raconter ce qu’il leur était arrivé, chose qu’elles n’avaient pas pu expliquer avant, même à leurs proches.
Ce moment a donc permis de remettre la réalité des faits dans leur dimension factuelle et émotionnelle au cœur du procès, d’éclairer la Cour, les accusés, et ceux qui n’ont pas vécu les attentats.
UNE SOLIDARITÉ
Les témoignages se sont recoupés dans le récit de cette nuit, mais aussi autour d’une grande solidarité.
Pendant les faits, de nombreuses victimes ont témoigné des actes de solidarité auxquels elles ont pu assister, voire même auxquels elles ont pu prendre part, dans ce dernier cas avec une grande pudeur.
De véritables actes héroïques et désintéressés ont ainsi pu être mis en lumière. De nombreuses victimes ont sauvé la vie d’autres personnes, par exemple en cherchant des échappatoires au sein du Bataclan ou en s’entraidant en attendant l’arrivée des secours sur les terrasses.
Par ailleurs, la violence des faits a créé un lien entre ces inconnus, perdurant encore aujourd’hui pour certains et créant ce qu’ils ont qualifié de « famille du 13 novembre ». Ces victimes ont souligné à quel point cela a été et est encore important dans leur processus de reconstruction et pour « revenir à la vie » car pour eux, seuls ceux qui ont vécu la même chose peuvent les comprendre.
A cet égard, le rôle des associations a été primordial pour leur permettre de se retrouver.
« Vous N’aurez Pas Ma Haine »
Il est également ressorti des nombreux témoignages un certain apaisement et un message de grande tolérance.
Les victimes ont attiré l’attention sur leur refus de l’amalgame entre ces actes et la religion, leur opposition catégorique de voir ce qu’il leur est arrivé servir de terreau à certains extrêmes. Le refus de toute récupération politique des attentats et de leur témoignage a résonné comme un véritable cri du cœur.
Si toutes ont expliqué ne pouvoir pardonner, elles ont semblé se regrouper autour de l’idée contenue dans la phrase d’Antoine LEIRIS : « Vous n’aurez pas ma haine », expliquant que si les terroristes avaient leur haine, alors ils auraient gagné, mais surtout que cela leur donnerait une importance qu’ils ne veulent pas qu’ils aient.
Elles ont certes été irrémédiablement affectées par les attentats, leur vie a basculé et n’est plus la même, les conséquences sont encore omniprésentes dans leur vie six ans après les faits, mais refusent la haine qui ne mènerait qu’à une escalade de violence.
Par ailleurs, beaucoup ont dit espérer qu’on oublie le nom des terroristes, qu’ils soient effacés des livres d’Histoire, pour ne retenir que le nom des 131 personnes ayant perdu la vie ce soir-là et de tous les blessés.
Un grand nombre de victime a en outre tenu à remercier l’ensemble des acteurs du procès pour leur travail, leur avoir permis de témoigner, mais aussi pour permettre que les accusés soient jugés selon nos standards, que leurs droits soient garantis pour qu’ils n’aient ainsi pas « gagné » et annihilé les valeurs de notre pays.
LES QUESTIONS ET INCERTITUDES DES VICTIMES
De nombreuses victimes ont souligné dans leur témoignage que le procès leur a permis de répondre à certaines questions.
Pour les survivants, le procès leur a permis de combler leurs souvenirs parcellaires induits par « l’effet tunnel », de combler les zones d’ombres laissées par l’état de sidération à propos de ce qu’il leur était arrivé.
Pour les proches des victimes décédées, cela leur a permis de savoir comment étaient morts leur proches ou dans quelles conditions, ce avec plus de précisions, les rapports médico-légaux ayant été particulièrement lacunaires.
Cependant, certaines victimes ont profité de leur témoignage pour poser des questions, notamment sur les dysfonctionnements commis cette nuit-là ou qui ont permis la réalisation de ces attentats.
Ainsi, beaucoup d’entre elles attendent avec impatience les témoignages de l’ancien Président François HOLLANDE et des anciens ministres, notamment sur l’intervention tardive des forces de police, mais également sur le fait de savoir pourquoi le Bataclan n’a jamais été sécurisé alors qu’il était une cible désignée depuis les attentats du Caire puisqu’il était détenu à l’époque par des personnes de confession juive. Il avait été une cible désignée à maintes reprises dans la propagande de l’EI, tout comme les concerts de rock.
Également, beaucoup de proches de victimes ont souligné la souffrance engendrée par la désorganisation totale dans les jours qui ont suivis : les erreurs d’identification, l’impossibilité d’avoir des nouvelles de ses proches parfois pendant plusieurs jours, le fait qu’elles ont dû rechercher par elle-même dans les hôpitaux leurs êtres chers, l’attente insoutenable devant les tableaux à l’École militaire qui égrenaient au compte-gouttes le nom des personnes décédées ou des blessés, les comportements plus que maladroits à l’IML etc.
A cet égard, beaucoup ont exigé des explications, mais surtout que cela ne se reproduise plus.
Certaines victimes ont également demandé que toute la lumière soit faite sur les faits, notamment par la diffusion des photographies et enregistrement écartés jusqu’alors des débats.
Un proche d’une victime a particulièrement surpris à cet égard en faisant part de sa grande suspicion à l’égard de la vérité présentée, notamment car on lui aurait annoncé que son fils avait été victime de sévices au Bataclan. Il est le seul à avoir fait état de tels agissements.
La diffusion de ces éléments notamment photographiques sera décidée ultérieurement en vertu du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Le Président a d’ailleurs interrogé en ce sens les représentants des associations Life for Paris et 131115, les psychiatres et autres professionnelles. ; leurs positions divergeaient quant à l’opportunité ou non de telles diffusions. Le fait de ne pas être confronté à la réalité peut en effet parfois amener à surajouter aux faits par le biais de l’imagination de façon tout à fait légitime.
LES RÉCRIMINATIONS À L’ENCONTRE DU FGTI
Si le Président a tenu à souligner que ce procès n’était pas celui du Fonds de garantie, beaucoup de victimes ont tenu à souligner que le comportement du FGTI a été un traumatisme par-dessus le traumatisme.
Un grand nombre de parties civiles a tenu à mettre en lumière leur grande souffrance de devoir se battre continuellement pour prouver qu’elles étaient victimes, que leurs préjudices ne découlaient que des attentats ou encore ne serait-ce que pour être entendues.
Il est donc apparu de façon manifeste que le FGTI a cruellement manqué de prévenance à l’égard des victimes et que de nombreux dysfonctionnements ont affecté sa mise en œuvre. Il conviendra donc qu’il tire les leçons de la souffrance rapportée par les victimes et que son fonctionnement soit revu pour être davantage adapté et prévenant. Il s’agit de leur principale demande à cet égard.
Compte-rendu d'audience du 27 et 28 octobre 2021
Les primo-intervenants
Le présent compte-rendu synthétise les témoignages suivants :
- Mercredi 27 octobre : Les primo-intervenants de la Bac 75 Nuit au Bataclan ;
- Jeudi 28 octobre : Les médecins du RAID et de la BRI au Bataclan.
La lecture de ces témoignages peut heurter la sensibilité de certaines personnes au vu des détails donnés.
LE TÉMOIGNAGE DES POLICIERS DE LA BAC 75 NUIT
L’ensemble des policiers ayant témoigné n’était pas encore de service de nuit au moment des attentats. Ils ont tous évoqué l’appel d’urgence et leur retour volontaire au service.
L’urgence de la situation était telle que la plupart d’entre eux se sont équipés avec le peu de protections et armes, bien souvent inadaptés, qui restait au service – puisque ceux de la Bac jour s’étaient équipés. Par exemple, la plupart avaient des gilets pare-balles souples qui ne les protégeaient nullement des balles de kalachnikov et des armes de poing, ou encore des casques non protecteurs pour ce type de munitions.
L’ensemble de ces primo-intervenants ont souligné leur arrivée rapide au Bataclan, aux alentours de 22h05, bien qu’ils aient dû forcer le passage entre Oberkampf et Voltaire où les forces de sécurisation ne voulaient pas les laisser passer. Ils ont pourtant reçu l’ordre de ne pas intervenir et d’attendre les renforts des forces d’intervention, alors qu’ils étaient sur place, à l’inverse de la BRI et du RAID.
Néanmoins, ils ont outrepassé cet ordre en entendant leur Commissaire – précédemment entendu le mercredi 22 septembre – demander avec insistance des renforts à la radio car les terroristes « tuaient tout le monde » au sein du Bataclan et qu’il était seul avec son coéquipier.
Tous les policiers ont souligné que cette décision d’aller à l’encontre des instructions était spontanée car ils ne pouvaient laisser leur Commissaire -leur « Chef », leur « Patron » comme ils l’appelaient avec un certain attachement- mourir ainsi que tous les spectateurs présents au Bataclan.
Ils sont entrés dans le Bataclan par les portes battantes aux alentours de 22h30, après avoir formé plusieurs colonnes d’intervention. Le Commissaire les a alors rejoints en leur indiquant : « Les gars c’est un carnage, il reste deux terroristes. Si vous ne vous sentez pas, je ne vous en tiendrai pas rigueur, vous pouvez rester là ». Mais aucun n’a rebroussé chemin, certains ont juste pris le temps d’envoyer un SMS à leur famille car ils pensaient tous mourir lors de l’intervention.
Ils ont tous souligné la même sensation d’horreur qui les a frappés en entrant : leurs pieds qui tapaient dans les chargeurs de kalachnikov, la mare de sang qui les faisait glisser et les victimes entassées les unes sur les autres. La lumière éblouissante du spot de la scène et le silence qui régnait les ont saisis d’effroi. Ils se sont demandé s’ils arrivaient trop tard et si toutes les personnes présentes étaient mortes.
Passée la sidération de « l’effet tunnel » qu’ils ont tous évoqué, ils ont rapidement commencé à progresser pour sécuriser les lieux, organisant une chaîne humaine le long de la colonne pour extraire les blessés. Le Commissaire a demandé à tous les valides de lever le bras. Dès lors, ils devaient avancer vers eux les bras en évidence pour être vérifiés. Puis, ils étaient dirigés vers le hall d’entrée où ils étaient pris en charge pour être emmenés à l’extérieur par les effectifs locaux.
Tous ont souligné le chaos qu’il régnait à ce moment-là : des victimes les insultaient, leur hurlaient dessus en leur demandant pourquoi ils n’étaient pas arrivés avant, il y a eu un mouvement de foule qui a dû être réprimé.
Ils ont expliqué la difficile conciliation entre la volonté de sécuriser les lieux, car la précipitation était une prise de risques inconsidérés, et la volonté d’extraire au plus vite les victimes de cet endroit apocalyptique.
Lorsque les valides ont été évacués, ils ont été confrontés à un dilemme insupportable : les blessés leur demandaient de l’aide mais ils devaient sécuriser les lieux le plus rapidement possible pour que les secours puissent intervenir.
Nombre d’entre eux ont évoqué un souvenir marquant d’une personne blessée leur demandant de l’aide, qui les hantent encore aujourd’hui avec cette interrogation : « si j’avais fait autrement ? ».
Plus d’une dizaine de personnes ont été extraites ainsi du Bataclan, mais tous ces policiers se sont excusés et ont expliqué qu’aujourd’hui encore ils se demandent s’ils auraient pu faire plus, en sauver plus.
Toutefois, ils ont pris l’initiative d’effectuer ce qu’ils appellent des « dégagements d’urgence » des victimes de la fosse, à l’encontre de leur mission et de leurs ordres, alors que les ondes radio évoquaient une vigilance absolue car le bâtiment était très probablement piégé à l’explosif.
A cette occasion, nombre de victimes ont été sauvées par l’un des policiers ayant pratiqué de la médecine militaire qui leur a dispensés les premiers soins vitaux pour tenter de les stabiliser. Les autres policiers évacuaient les victimes, notamment à l’aide de barrières Vauban – les barrières utilisées lors des manifestations – improvisées en brancards.
Puis, les effectifs du RAID et de la BRI ont progressivement pris le relais.
Lorsqu’ils sont sortis, l’ordre leur a alors été intimé de partir car les personnalités officielles allaient arriver et ces dernières ne devaient trouver que les forces d’intervention sur place. Ils ont donc purement et simplement été écartés sans aucun mot de remerciement, hormis de leur Commissaire.
Ainsi, l’audience a révélé que l’intervention de la Bac 75 Nuit devait être tue, raison pour laquelle elle n’a jamais été évoquée dans les médias.
A cet égard, l’ensemble de ces primo-intervenants s’est vu intimer l’ordre, de retour à leur service, de ne jamais parler de leur présence au Bataclan ce soir du 13 novembre et ne faire aucun rapport la mentionnant, sous peine de poursuites pour manquement au devoir de réserve.
Ce n’est que lorsque certains d’entre eux ont commencé à parler que des politiques ont demandé pourquoi ils n’avaient pas été entendus par la Commission sur les attentats. Un rapport d’intervention leur a alors été demandé en urgence, plusieurs mois après les faits, tandis qu’ils n’apparaissent pas dans le rapport originel.
Tous ces policiers ont évoqué leur amertume face à leur hiérarchie avec des mots pudiques et emprunts de réserve. Mais il transparaissait de façon manifeste qu’ils regrettaient l’absence de tout soutien hiérarchique et psychologique, voire les accusations de mensonges qu’ils ont eu à subir quand ils parlaient de leur intervention, même au sein de leur propre famille. Leur seule reconnaissance a été une médaille ordinaire, un échelon supplémentaire et une prime de quelques centaines d’euros.
L’un d’entre eux a ainsi déclaré : « Le seul soutien, c’est eux, les 17 qui sont rentrés dans le Bataclan ensemble ».
LE TÉMOIGNAGE DES MÉDECINS DU RAID ET DE LA BRI
Ces médecins ont expliqué que leur rôle était primordial car ils sont les seuls à pouvoir intervenir dans ce qui est appelé la « zone de contact » avec les assaillants pour secourir les blessés. Les autres services de secours ne peuvent intervenir tant qu’il n’y a pas eu de sécurisation. Cependant, normalement, leur rôle premier est de soigner les effectifs (policiers en service) blessés durant l’assaut, mais ce soir-là ils ont pris l’initiative d’aller au-delà pour sauver le plus de personnes (victimes civiles) qu’il leur était possible.
Ils ont expliqué être entrés avec les colonnes, à l’arrière. Ils se sont rapidement aperçu qu’il fallait intervenir et évacuer les victimes au plus vite au vu du type de blessures présentées.
Ils ont tenu à insister sur le fait qu’il n’y a pas eu de « bouclage » du Bataclan, les opérations de soins et d’extraction ont été réalisées concomitamment à la prise des lieux par les forces d’intervention, ce grâce à des opérateurs placés au quatre coins de la salle pour permettre la sécurisation de l’opération. Le but premier était de faire sortir de le plus de blessés possibles le plus rapidement possible.
Ils ont évoqué le fait que la sécurisation a également été réalisée par les effectifs de la Bac, dont l’intervention a pourtant été tue, comme évoquée précédemment. Ils ont qualifié leur travail de « formidable ».
Les médecins ont expliqué qu’ils ont donc procédé à une évaluation de l’état de gravité des blessés, ne prodiguant de soin sur place qu’en cas d’urgence absolue. Les victimes étaient ensuite extraites du Bataclan par une « boucle d’évacuation » et prises en charge par les secours à l’extérieur.
Les médecins ont insisté à cet égard sur le fait que beaucoup de victimes ont pu être évacuées ainsi car ils n’ont eu à essuyer aucun tir lors de cette opération.
Le médecin du RAID a également procédé à l’évacuation de nombreux blessés par les balcons extérieurs du Bataclan, à l’aide d’échelle, et ce, avant l’assaut, soit alors que la prise d’otages était toujours en cours.
A compter de l’assaut, cette opération d’extraction a été facilitée puisque les services de secours ont pu pénétrer directement dans le Bataclan.
Ces deux médecins ont souligné l’inédit de la situation, qu’ils ont dû improviser car ils étaient dépourvus, ils ne voyaient jamais cela en entraînement à l’époque.
Pour revenir sur le témoignage d’un proche d’une victime décédée, le Président leur a enfin posé une question quant au type de blessures constatées sur les victimes du Bataclan et en particulier sur d’éventuels sévices. Les médecins ont tous deux répondu que seules des blessures par armes de guerre ont été constatées, aucune à l’arme blanche.
Compte-rendu d'audience du 29 octobre 2021
L’objet du présent compte-rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique, les témoignages des experts psychiatres et psychologues ayant examiné les victimes des attentats du 13 novembre, à savoir :
- Le Docteur BAUBET, psychiatre ;
- Le Docteur WONG, psychiatre médecin-conseil de victimes lors des expertises médico-légales ;
- Le Docteur DE JOUVENCEL, psychologue.
Le Président a accepté de joindre au dossier leur PowerPoint. Aussi, je vous les transmettrai dès réception.
LA SPÉCIFICITÉ DU STRESS POST-TRAUMATIQUE
Le traumatisme est défini comme l’effet délabrant sur le psychisme d’une personne d’un évènement particulier.
On parle de stress post-traumatique lorsque ledit évènement entraîne des troubles spécifiques autres que ceux habituels tels que la dépression, l’alcoolisme etc. Notamment, il y a la « réaction d’effroi » qui est autrement plus intense que la peur ou l’angoisse, il s’agit d’une sortie définitive et irréversible de la tranquillité après l’évènement.
Le type d’évènement pouvant entraîner une telle réaction est un évènement avec un risque de mort imminente ou de blessures gravissimes.
Dans le cas spécifique des attentats, le stress post-traumatique est induit par ce qui est appelé « les traumatismes intentionnels ». Il s’agit du cas où un autre être humain commet intentionnellement l’acte traumatique, ce les « yeux dans les yeux » de la victime. Cela produit un ébranlement existentiel encore plus important que dans les cas de stress post-traumatique où l’élément déclencheur est non intentionnel.
Le stress post-traumatique est spécifiquement accompagnée de trois grandes manifestations :
- Des intrusions chez le sujet (bruits, odeurs, goûts) qui vont revenir le hanter et le remettre instantanément dans les évènements. Elles surgissent quand il ne s’y attend pas et qu’il « baisse la garde ». C’est l’élément clé du stress post-traumatique.
- Des stratégies d’évitement pour se protéger comme par exemple éviter certains lieux, changer son trajet etc. Elles aggravent encore plus le traumatisme.
- Des troubles de la cognition affectant la mémoire ou la concentration, le stress modifiant de façon significatives le fonctionnement des neurones des zones du cerveau sollicitées pour ces activités.
L’ensemble de ces symptômes amène à une hyperviligance et à une hyperactivité.
Les experts ont par ailleurs tenu à souligner que les victimes de stress post-traumatique peuvent être les victimes directes comme les témoins et les proches. Ils ont ainsi insisté sur le fait que le qualificatif de « victime » en psychiatrie et psychologie est bien plus large qu’en droit.
Aussi, ils ont indiqué que le refus de reconnaissance du statut de victime par la Justice, souvent par le biais d’une lettre, est une confusion extrêmement douloureuse pour les victimes qui considèrent qu’on dénie leur traumatisme.
Surtout, ils ont souligné qu’au-delà du fait qu’il n’y ait aucune différence en psychiatrie entre l’exposition directe et indirecte, dans la suite immédiate des attentats, le stress post-traumatique des personnes endeuillées et des proches des victimes était à un niveau égalant celui des victimes directes.
LES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES À COURT TERME DES ATTENTATS
Les manifestations initiales ou immédiates sont une disparition des émotions, des pensées, du langage, accompagnée d’une angoisse, d’un sentiment d’abandon, de honte, de déshumanisation et du sentiment que personne ne pourra comprendre et partager avec soi.
Ces éléments peuvent être accompagnés d’une dissociation traumatique, c’est-à-dire que le psychisme ne fonctionne plus d’une manière synchrone. Cela peut durer quelques minutes, quelques heures ou plus longtemps. Quand il dure plus longtemps, il s’agit de stress post-traumatique.
Cet état dit précoce dure plusieurs semaines mais il n’est pas prédictif de la récupération de la victime. En d’autres termes, des victimes qui ont été dans un état de choc très intense au moment des faits peuvent récupérer rapidement.
Par suite, il est constaté une difficulté d’engagement dans les soins. Ainsi, un an après les attentats du 13 novembre, seule la moitié des victimes avait engagé un protocole de soins. Cette difficulté s’explique par divers facteurs :
- Une mauvaise expérience avec un professionnel ;
- Un sentiment de honte et de manque de légitimité ;
- Un évitement ;
- Un déni ;
- Une crainte de ne pas être compris, qu’il y ait une minimisation et une banalisation ;
- Une crainte d’être rejeté par le professionnel qui ne supporterait pas ce que la victime lui dirait et qui par conséquence « l’abandonnerait ».
Concernant plus particulièrement le sentiment de culpabilité et d’illégitimité qui est le plus persistant, il constitue une réelle problématique car il doit être impérativement traité par le biais d’une thérapie : il est en effet présent pour une raison qui doit être analysée ou sera persistant.
Dire aux victimes qu’il ne faut pas avoir de culpabilité est inefficace.
Pour remédier à ce problème, des centres régionaux du psycho-traumatisme et un centre national de ressources et de résilience (CN2R) ont été créés afin d’améliorer la prise en charge du traumatisme des victimes d’attentat. Leur travail est cependant toujours en cours.
Le rôle des associations a été qualifié d’aidant en ce qu’il a permis de drainer un éventail large de victimes et d’aider différemment celles-ci car ils n’ont pas les mêmes modalités d’actions.
LE CAS PARTICULIER DES PROCHES DE VICTIMES DÉCÉDÉES
Dans le cas d’une victime décédée, il a été souligné qu’il ne faut pas confondre le deuil et le traumatisme.
Le deuil est un processus psychologique normal suite à la perte d’un être aimé où l’on doit trouver une autre place au disparu au terme d’une phase de chagrin et de souffrance induite par le vide.
Dans le cadre de l’attentat du 13 novembre -ou d’autres atentats, le traumatisme se surajoute au deuil en ce qu’en plus du vide laissé, il faut combattre le néant intérieur laissé par le traumatisme.
Par ailleurs, les proches sont bien souvent négligés, alors que le traumatisme concerne l’ensemble de la famille de la victime, décédée comme survivante. Cette prise en charge doit être améliorée de l’avis des experts.
LE CAS PARTICULIER DES ENFANTS
S’agissant des enfants, il y a le traumatisme de ce qu’ils ont vu ou perdu. Contrairement à la croyance populaire, le jeune âge ne protège nullement du traumatisme. Ils peuvent présenter les mêmes symptômes que les adultes, mais ceux-ci sont malheureusement minimisés par l’entourage proche ou les professionnels.
Les enfants doivent faire face à la destruction des « théories sociales infantiles », c’est-à-dire à la construction sécurisante qu’ils ont du monde et des autres. Par exemple, le fait de penser que leurs parents seront toujours là pour les protéger. Or, l’attentat fait brutalement s’effondrer tout ce en quoi ils croyaient.
Le cas des enfants doit être traité avec une attention particulière car les symptômes sont parfois discrets, voire masqués par l’enfant pour ne pas faire de peine à ses proches.
Or, un non-traitement du traumatisme peut avoir des conséquences développementales importantes, il empêche l’enfant de faire de nouvelles acquisitions. Tout ce temps peut difficilement être rattrapé par la suite.
Concernant plus spécifiquement les enfants endeuillés, l’annonce de la mort est particulièrement difficile. Suite aux attentats du 13 novembre, beaucoup de parents ont estimé avoir manqué d’aide et de soutien dans l’annonce du décès à leur enfant.
Il a souvent été constatés des manifestations du deuil discrètes voire déniées. L’enfant s’enfermait dans sa douleur, parfois jusqu’à refuser d’évoquer la personne décédée.
Une attention particulière doit être portée à ces enfants car la perte d’un parent dans le jeune âge multiplie le risque de suicide ultérieur par deux.
Concernant le cas spécifique des enfants face au traumatisme du parent survivant, le traumatisme du parent doit impérativement être traité. En effet, le parent considère le traumatisme comme une souillure et il a peur qu’il affecte son enfant. Dès lors, cela peut induire des modifications dans le comportement et la parentalité amenant parfois à des mises en place de stratégies familiales dysfonctionnelles, comme par exemple l’interdiction de parler de l’évènement ou au contraire le fait d’en parler sans cesse.
Le non-traitement affectera nécessairement l’enfant, entraînant les symptômes et conséquences évoqués auparavant.
Enfin, concernant le cas des enfants à naître, que la grossesse soit concomitante ou postérieure à l’attentat, le traitement de la mère est impératif au risque de modifications biologiques et comportementales pouvant affecter l’interaction avec l’enfant porté.
LES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES À LONG TERME DES ATTENTATS
Afin d’identifier les conséquences psychologiques à long terme sur les victimes des attentats du 13 novembre, des expertises ont été réalisées afin d’identifier les symptômes, les regrouper et poser un diagnostic pathologique.
Les expertises consistaient en des interrogations sur la vie avant, pendant et après les attentats :
La vie d’avant pouvait comporter des éléments ayant une influence sur la façon dont la personne a réagi au traumatisme, issus par exemple de la vie personnelle ou d’antécédents médicaux.
L’interrogation sur comment la personne a vécu les faits est importante pour évaluer le traumatisme
Enfin, l’interrogation sur après les faits permet d’évaluer ce que ces évènements ont changé sur tous les pans de l’existence de la victime -personnel, familiale, professionnel.
SUR LES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES COMMUNES ET LEURS COMPLICATIONS
Les experts ont dégagé trois grands types de conséquences communes :
- 1ère conséquence : La perte d’insouciance et la confrontation à la mort. La mort ne concerne normalement la personne que de façon très lointaine, elle sait qu’elle existe mais cela ne la concerne pas dans l’immédiat. Or, l’attentat fait prendre conscience de l’omniprésence de la mort et du fait qu’elle peut intervenir à chaque seconde. Les victimes ressentent ainsi une nostalgie du monde « d’avant » qui existe toujours pour les autres, mais pour eux la vie a changé et ne sera plus jamais la même.
- 2ème conséquence : Le syndrome de Lazare. Il s’agit du cas où la vie n’étant plus la même pour la victime, les autres ne vont nécessairement plus la voir comme avant selon elle. Certains vont même lui demander de passer à autre chose. Dès lors, une grande souffrance est engendrée par ce décalage entre la victime et les autres.
- 3ème conséquence : Le syndrome du survivant. Il s’agit d’une culpabilité majeure propre aux évènements collectifs tels que les attentats. Cette culpabilité est encore exacerbée si la mort a été évitée « par hasard », ou au contraire si elle a été évitée par une action qui répugne la personne comme avoir marché sur d’autres personnes.
L’ensemble de ces trois grandes conséquences communes entraîne un changement de regard sur la vie de la victime donc une recherche de sens et une urgence dans la vie. Dès lors, il y a des modifications considérables sur tous les pans de la vie et un décalage avec les autres. Il ne s’agit nullement d’un choix mais de quelque chose qui s’impose.
Le stress post-traumatique ne reste par ailleurs pas isolé et s’accompagne de nombreuses complications retrouvées communément chez les victimes :
- La prise de psychotropes naturels comme l’alcool, le tabac, le cannabis ou les substances illicites par une personne sur deux. S’ils soulagent à court terme, ils compliquent davantage les symptômes à long terme. A titre d’exemple, l’alcool aggrave la dépression tandis que le cannabis entraîne une aggravation des idées de référence (idée qui consiste à dire que tous les autres nous en veulent) ;
- La dépression chez 50 à 80% des victimes ;
- La somatisation, les scarifications et les tatouages. La somatisation est souvent observée sous le biais d’avoir mal dans les zones touchées par les blessures ou encore qui ont été piétinées par les autres. Les scarifications sont fréquentes et analysées comme étant utilisées pour détourner l’attention de la douleur psychologique insupportable. Les tatouages sont enfin considérés comme des scarifications en psychiatrie qui ont la particularité de montrer aux autres la douleur, tandis que les scarifications sont cachées ;
- Les tentatives de suicide et le suicide pour mettre fin dans un premier temps à la douleur insupportable, la culpabilité et les crises d’angoisses majeures, et dans un second temps à la dépression. Il n’y a donc pas de volonté de mort mais uniquement une volonté de mettre fin à la souffrance intolérable engendrée par le stress post-traumatique. Le plus fort risque de suicide concerne les jeunes adultes.
SUR LES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES PARTICULIÈRES
Les conséquences psychologiques particulières sont celles qui n’auraient pas existé sans l’évènement traumatique constitué par l’attentat. Elles sont les suivantes :
- Une régression infantile avec par exemple l’impossibilité de dormir seul ou le fait de reprendre un doudou, ce pour recréer une sécurisation ;
- Des idées délirantes ;
- Des troubles cognitifs majeurs ;
- Une hyperactivité anormale pour lutter contre les phénomènes d’intrusion qui épuisent ;
- Une aggravation de certains symptômes somatiques comme par exemple des maladies de peau de type eczéma ;
- Une apparition chez certains de pathologies cardio-vasculaires.
UN TRAITEMENT DIFFICILE
Tout comme pour les conséquences à court terme, les experts ont observé que les soins dispensés n’étaient pas adaptés. Là encore certaines victimes n’ont pas eu de soins pour diverses raisons telles que :
- Le fait que ce ne soit pas le bon moment ;
- Une inadaptation des soins ;
- Une absence de sentiment d’en avoir besoin ;
- Une absence de proposition de soins ;
- Un sentiment d’illégitimité à recevoir des soins ;
- La difficulté à trouver un praticien ou des prix trop élevés ;
- Une expérience qui s’est mal passée.
L’ensemble de ces raisons s’explique notamment par le fait qu’un traumatisme comme celui induit par les attentats est très difficile à mettre en mots, il est indicible. Il faut donc un long travail à la victime pour s’engager efficacement dans un protocole de soins.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que la stabilisation de la victime, appelée consolidation, n’obéit à aucune règle et est propre à chacun. Il est cependant admis qu’elle semble impossible avant deux ans et qu’elle apparaît généralement autour de trois ans. Mais, pour certains, qui commencent leurs soins ou qui n’ont pas avancé aussi vite que d’autres, elle n’est toujours pas acquise même six ans après les faits, ce qui est tout à fait normal car son rythme est propre à chaque individu.
SUR LA REVIVISCENCE DU TRAUMATISME INDUITE PAR LE PROCÈS
Les experts, interrogés sur une éventuelle réactivation du stress post-traumatique suite au procès, ont évoqué que le cas diffère selon qu’il y ait eu un protocole de soins antérieur ou non.
S’il était absent, le procès peut être insupportable mais peut avoir l’effet salvateur de motiver l’engagement dans un protocole de soins.
S’il y avait déjà eu un protocole de soins et un traitement efficient du stress post-traumatique, il y aura une réactivation, une recrudescence des symptômes mais le chemin ne sera pas à re-parcourir.
Ils ont par ailleurs profité de cette occasion pour souligner que le stress post-traumatique des victimes d’attentats est très particulier car il connaîtra également une reviviscence à chaque attentat de par le sentiment de communion qui unit les victimes de tels actes. Les procès ultérieurs pourront donc également avoir le même effet sur les victimes.
Compte-rendu d'audience du 2 au 5 novembre 2021
L’objet du présent compte-rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique, les interrogatoires de personnalité des accusés.
Ainsi, il ne sera pas traité accusé par accusé mais sous l’angle des points communs pouvant être relevés dans leurs profils ou parcours de vie. Quelques éléments marquants pour chaque accusé seront également évoqués.
LES POINTS COMMUNS ÉMAILLANT LES PARCOURS DE VIE DES ACCUSÉS
Si on ne peut parler de « profil type » des accusés, force est de constater que de nombreux points communs dans leurs parcours de vie ont pu être relevés.
A cet égard, il conviendra de séparer ceux ayant passé leur petite enfance et jeunesse en Belgique, de ceux n’y ayant jamais vécu ou très tardivement.
Sur les accusés ayant vécu en Belgique leur enfance et jeunesse
(Salah ABDESLAM, Mohamed ABRINI, Yassine ATAR, Hamza ATTOU, Mohamed BAKKALI, Abdellah CHOUAA, Mohammed AMRI, Ali OULKADI, Farid KHARKHACH, Ali EL HADDAD ASUFI)
Tous sont de nationalité belge ou française, voire avec la double nationalité marocaine. Ils sont en revanche tous issus de familles d’origine marocaine.
Ils ont tous grandi au sein du quartier de Molenbeek ou avaient une partie de leur famille dans ce quartier. Pour rappel, il s’agit d’un quartier essentiellement composé de familles d’origine marocaine, plus au moins liées soit par des liens du sang, même éloignés, soit par le voisinage et les liens d’amitié.
Tous décrivent une enfance heureuse, sans ombrage, avec une bonne entente familiale et une fratrie soudée, des parents présents veillant à ce que leurs enfants ne manquent de rien. Le père travaillait et la mère était femme au foyer. Ils sont par ailleurs décrits par leurs proches comme étant gentils, bienveillants, serviables, sociables, bien élevés. En résumé, des enfants sans difficultés particulières.
Sur le plan scolaire, la plupart étaient plutôt bons lors de la primaire. Ils se sont ensuite orientés vers des filières professionnelles, soit en mécanique, soit en électrotechnique. Peu d’entre eux ont obtenu l’équivalent du Bac belge, s’arrêtant généralement en classe équivalant à la première française.
Leurs parcours professionnels sont souvent précaires, voire chaotiques malgré une volonté réelle de travailler. Nombre d’entre eux ont exercé en intérim des emplois peu qualifiés et peu rémunérés, alternant souvent périodes de travail et de chômage. Il est à noter cependant que quelques-uns ont travaillé ensemble au sein de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem et se sont donc croisés à cette occasion, ou encore au sein du Café Les Béguines de Brahim ABDESLAM.
Concernant leur vie personnelle, la plupart avait une vie stable et allaient soit se marier, soit étaient déjà mariés voire avec des enfants.
Sur leur mode de vie, tous évoquent un mode de vie à l’occidentale avec des sorties en boîte de nuit, au bar ou au restaurant, de la consommation d’alcool et de tabac, de la musique, la fréquentation des casinos de manière occasionnelle ou addictive. La consommation de stupéfiants type cannabis est également récurrente, parfois à très haut taux.
Concernant leurs casiers judiciaires, on relève la plupart du temps des infractions routières (« roulage » en droit belge) et des vols. Certains n’avaient pas de casier.
Cependant, ces profils, qui peuvent sembler être ceux de « Monsieur-tout-le-monde », apparaissent contrastés par la vie au sein même de Molenbeek. Mohamed ABRINI déclarera « A Molenbeek, il n’y a pas de choix ou de perspectives, très peu réussissent », ajoutant dans un de ses coups d’éclat habituels « On n’est pas sortis du ventre de nos mères comme ça, barbus avec une kalachnikov dans la main ».
Tout d’abord, le quartier de Molenbeek explique en lui-même les liens entre les accusés. Tous vivaient dans un mouchoir de poche, une zone de quelques centaines de mètres. Ils se connaissaient donc tous a minima de vue. Certains étaient amis, d’autres collègues de travail, voisins, étaient allés à l’école ensemble ou encore étaient amis d’amis. Certains se retrouvaient également lorsqu’ils rentraient au Maroc.
Le café Les Béguines et Brahim ABDESLAM apparaissent à cet égard comme le point névralgique de connexion entre les accusés. Certains y allaient pour boire des verres. D’autres parce qu’ils étaient amis avec Brahim. D’autres encore y ont travaillé, légalement comme serveur ou aide, ou illégalement dans le trafic de cannabis de Brahim.
La figure de Brahim ABDESLAM apparaît comme planant au-dessus de tous. Il était décrit comme ayant une autorité naturelle. Aucun d’entre eux ne parlera d’influence ou d’emprise, mais celle-ci transparaissait avec évidence. Il était le frère, l’ami, le patron, le lien entre tous.
Par ailleurs, pour certains, comme ABDESLAM, ABRINI ou ATAR, on relève un « accident » constitué par la radicalisation d’un frère, un départ en Syrie du frère, d’amis ou de familles d’amis.
A cet égard, ABRINI déclarera que son frère parti sur zone « était le meilleur d’entre nous » et que son décès l’a profondément affecté. Il ajoutera que la moitié des familles de ses amis sont partis sur zone.
Yassine ATAR, frère d’Oussama ATAR, une figure du jihadisme depuis 20 ans, expliquera à quel point cette radicalisation et ce départ quand il avait 14 ou 15 ans ont brisé sa famille et ont affecté son parcours de vie par la suite.
Sur les autres accusés
(Osama KRAYEM, Muhammad USMAN, Sofien AYARI, Adel HADDADI)
Tous les accusés n’ayant pas vécu à proprement parler en Belgique ont présenté des parcours très différents, mais davantage chaotique.
Leurs histoires familiales sont plus complexes avec le décès d’un proche, un climat de violence familiale ou un rôle de soutien de famille par exemple. Leurs parcours scolaires et professionnels sont également plus déceptifs.
On peut cependant noter que deux d’entre eux ont vécu dans des quartiers comparables à Molenbeek.
Leurs parcours sont plus obscurs, mais leur engagement religieux supposé est plus évident, notamment pour ceux qui se sont rendus en Belgique supposément pour les faits reprochés.
LES ÉLÉMENTS MARQUANTS DE CETTE SEMAINE D’AUDIENCE
Sur Salah ABDESLAM
Concernant Salah ABDESLAM, son attitude a viré du tout au tout au cours de son interrogatoire de personnalité. Il s’est posé comme étant calme et voulant laisser transparaître son humanité, avec une réflexion logique et aboutie et des déclarations moins provocatrices.
Quelques révélations sont apparues à son égard. D’abord, son attachement certain et sa proximité avec son frère Brahim, dont il parle encore au présent, même six ans après son décès. L’influence de ce frère n’a jamais été dite mais transparaissait.
En outre, il aurait été recherché pour terrorisme par les services secrets marocains à compter d’octobre 2015.
Concernant ses liens avec Mohamed ABRINI, ils sont amis depuis leur plus tendre enfance car leurs mères étaient déjà amies avant leur naissance et ils étaient voisins, ce qui a permis de clarifier leur proximité.
Il a reconnu qu’Abdelhamid ABAAOUD était son ami d’enfance et qu’il était toujours avec lui. Ils étaient en détention ensemble en 2011, bien qu’il ait refusé de le reconnaître.
Sur sa personnalité, il a tenu à préciser qu’il n’était pas un délinquant et que certaines personnes déclaraient « n’importe quoi » en interrogatoire en matière terroriste. Sa première condamnation aurait été vécue comme un retrait de chance car elle lui a fait perdre son emploi.
Interrogé sur son mode de vie, il a tenu à préciser qu’il avait été élevé dans les valeurs occidentales qu’il qualifie de comportement « libertin », « vivre sans se soucier de Dieu ».
Il a par ailleurs tenu à parler de ses conditions de détention et de leurs difficultés (vidéosurveillance constante, ne pas parler à quelqu’un pendant des jours). Il a cependant dit qu’il ne voulait pas s’en plaindre, que ce n’était pas dans son caractère, en contradiction donc avec l’ouverture du procès. Il a à cet égard précisé que c’est pour cette raison qu’il n’avait jamais fait de demande de remise en liberté et que de toute manière « il était difficile d’imaginer que vous alliez me lâcher ».
L’audience a révélé que quelques incidents avec des surveillants ont émaillé sa détention (refus de fouilles, insultes type « SS » et « mécréants »). Par ailleurs, il aurait manifesté un comportement paranoïaque en pensant qu’on cherchait à l’empoisonner durant une période.
Il a en outre tenu à souligner qu’il ne suivait pas de traitement médicamenteux et qu’il avait commencé à lire des livres avec passion en détention alors qu’avant il ne lisait que le Coran.
Enfin, il a finalement accepté de se soumettre à une évaluation psychologique et psychiatrique.
Sur les autres accusés
Mohamed ABRINI dénotait clairement en ce que son parcours était typiquement délinquantiel et plus chaotique que celui de ses co-accusés. Il a à cet égard déclaré sur sa vie « échec scolaire, échec professionnel, échec et mat ».
Concernant Mohamed BAKKALI, il a extrêmement surpris à l’audience par son intelligence certaine. Son discours était construit, analytique. Il est à noter qu’il a passé une licence de sociologie en détention.
Il convient cependant de souligner que ses liens avec Khalid EL BAKRAOUI, logisticien des attentats et l’un des terroristes des attentats de Bruxelles, sont apparus. Ils avaient une activité illégale ensemble.
Il a par ailleurs tenu à dédouaner Farid KHARKHACH en disant que, quand il a accompagné EL BAKRAOUI récupérer les faux papiers, ce n’était pas lui.
Sofien AYARI a marqué en racontant son enfance durant les années BEN ALI en Tunisie et la désillusion du Printemps Arabe durant son adolescence. Il a précisé qu’il a grandi dans un quartier équivalent à Molenbeek et que sa mère et sa sœur ont fait l’objet d’une arrestation par la police pour les forcer à ne plus porter le voile. Il aurait vécu cela comme une injustice et en aurait gardé une colère constante ainsi qu’un fort instinct de protection à l’égard de sa famille.
Abdellah CHOUAA a indiqué avoir rencontré ABRINI lorsqu’il tenait le Café du Parvis à Molenbeek.
Adel HADDADI s’est confié sur son enfance difficile, notamment sur le fait qu’il était martyrisé par son frère. Il a perdu un œil et a dû arrêter sa scolarité après que ce dernier lui ait lancé du papier enflammé au visage.
Mohammed AMRI a marqué par son addiction certaine au cannabis (10 à 20 joints par jour). Il s’est par ailleurs montré très maladroit, indiquant écouter un groupe de musique appelé « Kamikaze ». Lors de sa détention, il aurait en outre menacé un surveillant en déclarant : « T’as de la chance que je ne sois pas énervé, car quand je suis énervé je tire à la Kalachnikov et je fais des trous », bien qu’il ait tenté d’expliquer l’incident avec son Conseil et dit que c’était « pour rigoler » car on le voyait comme un terroriste.
Osama KRAYEM s’est montré extrêmement effacé. Il aurait cependant indiqué à son Conseil qu’il avait « perdu une part de (son) humanité » après la guerre en Syrie. Sa proximité avec ce pays s’explique par le fait que son père, Palestinien, vivait dans un camp de réfugiés en Syrie. Il aurait contribué financièrement à des « associations humanitaires » pour ce pays. Un rapport de détention indique à cet égard qu’il aurait commencé « à renouer avec l’expression de sentiments ».
Il a nié avoir déclaré avoir une aura importante sur ses codétenus.
Anecdote surprenante, il aurait été montré dans un film comme un « exemple d’intégration » quand il était enfant. Il a précisé que lui ne s’était jamais senti intégré car il vivait dans un quartier d’immigrés sans aucun Suédois.
Autre élément, on aurait constaté des brûlures chimiques sur ses mains qu’il dément être dues à des explosifs, donnant une explication peu convaincante sur l’origine desdites brûlures.
Enfin, il a reconnu connaître ABDESLAM, ABRINI et AYARI.
Muhammad USMAN, outre son parcours de vie difficile au Pakistan, a marqué en déclarant qu’il était « désolé pour les victimes » et « content de ne pas avoir participé à cette attaque ». Il est à rappeler qu’il est soupçonné d’avoir été un artificier pour des groupes affiliés à Al-Qaïda.
Il a indiqué connaitre uniquement HADDADI parmi ses co-accusés et que ce dernier est « comme un frère ».
Ali OULKADI est apparu comme un proche des frères ABDESLAM.
Ali EL HADDAD ASUFI a fait part de son enfance marquée par le décès de son père. Concernant ses connaissances, malgré son profil lisse en apparence, il connaît notamment les terroristes de attentats de Bruxelles-Zaventem, LAACHRAOUI et EL BAKRAOUI, ayant été particulièrement proche de ce dernier durant son adolescence. Il a cependant dénié connaître les ABDESLAM, concédant connaître ATAR, BAKKALI et CHOUAA.
Enfin, Farid KHARKHACH s’est montré particulièrement ému et touché, comme au long des témoignages des victimes. Il a tenu à indiquer que ses paroles envers elles lors des témoignages étaient sincères et ne relevaient d’aucun calcul.
Son profil est d’ailleurs atypique en ce que sa fragilité psychologique a été démontrée, il a souffert d’une dépression patente depuis plus de dix ans. Son rôle de soutien de famille et sa grande sensibilité ont également été mis en exergue.
L’impression générale se dégageant de son témoignage est qu’il dénote particulièrement en comparaison des autres accusés.
Tous les accusés détenus ont parlé de leurs conditions de détention et des difficultés de l’isolement engendrant parfois des incidents, même si pour la plupart leur famille continue à les voir ou maintient des relations malgré les faits reprochés, quand elle est en Europe.
Tous ont cependant tenu à déclarer que cela était sans commune mesure avec la douleur des victimes entendue ces dernières semaines.
A cet égard, tous ont tenu à avoir un mot pour les victimes. Pour certains, une sincérité et une émotion certaines transparaissaient.
(Pour en savoir plus sur les accusés, nous vous invitions à consulter cet article : https://www.franceinter.fr/justice/proces-du-13-novembre-qui-sont-les-20-accuses-qui-vont-etre-juges )
Compte-rendu d'audience du 16 et 17 novembre 2021
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, la suite des témoignages sur le contexte syrien, l’organisation de l’Etat Islamique et la menace terroriste en 2015, à savoir ceux de :
- Hugo MICHERON, sociologue, et de Bernard BAJOLET, ancien directeur de la DGSE, le mardi 16 novembre ;
- Bernard CAZENEUVE, ancien Ministre de l’Intérieur, et François MOLINS, ancien Procureur de la République de Paris, le mercredi 17 novembre.
L’ÉTUDE SOCIOLOGIQUE DU PHÉNOMÈNE DU JIHADISME À L’HEURE DE L’ÉTAT ISLAMIQUE
Deux écueils sont absolument à éviter pour comprendre le phénomène jihadiste :
- Analyser le jihadisme seulement sous le prisme des attentats qui en sont uniquement la conséquence ultime ;
- Réduire le jihadisme uniquement aux organisations terroristes qui s’en revendiquent.
ANALYSE GÉNÉRALE DU PHÉNOMÈNE JIHADISTE MODERNE
Le jihadisme doit d’abord être vu comme un mouvement oscillant entre force et faiblesse. En période de force, il y aura une propagande développée et des actions coups d’éclat comme des attentats. En période de faiblesse, il y a aura un repli en clandestinité puisqu’il s’agit du jihad entre deux attentats. Ainsi, le jihadisme n’a actuellement pas disparu mais est en période de faiblesse, de repli.
D’un point de vue géographique, il a été observé que les départs d’Européens concernaient à 90% sept pays d’Europe du Nord. Il n’y a donc pas de spécificité française ou belge concernant les départs, il s’agit plutôt d’une spécificité nord-européenne.
Ces départs étaient concentrés uniquement sur certaines villes et sur certains quartiers en leur sein, cela s’expliquant par le contact au sein de ces quartiers avec des vétérans du jihadisme des années 90. Un des écueils principaux est de considérer que les départs sont liés à une question d’inégalités sociales puisque la carte des lieux de départs ne se superpose absolument pas sur celle des quartiers les plus défavorisés.
ANALYSE SPÉCIFIQUE AU GROUPE ÉTAT ISLAMIQUE
Concernant l’État Islamique, il faut comprendre que ce groupe et l’établissement de son Califat ont constitué l’aboutissement d’un dynamique de trente ans.
Pour comprendre le phénomène massif de départs en Syrie pour rejoindre l’État Islamique, il faut avoir en tête le contexte d’émergence du groupe avec le phénomène du Printemps Arabe et la contestation du régime de Bachar AL-ASSAD ayant entraîné une guerre civile et une répression extrêmement violente. C’est l’investissement dans cette guerre civile des groupes jihadistes qui a amené à l’avènement de l’État Islamique en raison de la désorganisation de l’armée syrienne libre face à ces groupes. La guerre civile syrienne a créé un véritable appel d’air permettant une accessibilité inédite au jihadisme.
En 2012, ce sont des « pionniers » qui sont partis rejoindre l’État Islamique. Il s’agissait de vétérans du jihadisme d’Al-Qaïda en Irak. Également, le changement dans le mode de recrutement explique les départs massifs observés. Là où auparavant il fallait des recommandations et être introduit pour rejoindre Al-Qaïda, aucune recommandation et aucune sélection en amont n’étaient nécessaires pour rejoindre l’État Islamique. La sélection se faisait a posteriori une fois sur place.
Les profils de ceux qui rejoignaient l’État Islamique étaient également différents. L’ouverture aux femmes a permis de recruter des « combattantes » avec l’idéologie chevillée au corps, davantage déterminées. Par ailleurs, 50% des individus ayant rejoint l’État Islamique avaient déjà un casier judicaire. Ces profils délinquantiels étaient très intéressants pour l’organisation puisqu’ils apportaient des moyens logistiques, des méthodes, des planques ou encore des armes, très utiles pour commettre des attentats en Europe en utilisant ces réseaux de délinquance de droit commun apportant un appui logistique indéniable.
Le recrutement de l’État Islamique était particulièrement axé sur la capacité à tuer. Les profils recherchés étaient les profils violents, idéologisés et débrouillards car ils ne reculaient pas et étaient donc essentiels aux commandos des attentats. Plus pragmatiquement, l’encouragement à l’exercice de la violence permettait de « tenir » les combattants en les filmant lors des exactions afin d’empêcher tout retour en arrière ultérieur. A cet égard, les membres du commando du 13 novembre ont été qualifiés de « meilleurs » en terme de détermination et de glorification du martyr.
Concernant la place de la religion chez les combattants rejoignant l’État Islamique, elle était très évolutive. Le sociologue a résumé le phénomène ainsi : « On peut rentrer dans le jihadisme avec le Coran pour les nuls pendant deux ans et revenir donner des leçons. Daesh était vu comme un lieu de formation ». Un autre angle d’analyse était que certains voyaient le jihadisme comme une façon de s’améliorer. L’État Islamique était particulièrement friand de ce type de profil non religieux puisqu’ils partaient de zéro et pouvaient être totalement modelés par l’organisation.
Concernant la question de l’argument des départs pour un motif humanitaire, il a été qualifié de « vieux comme le jihadisme ». Il apparaît au regard des données sociologiques recueillies que ceux qui partaient savaient exactement ce qu’il se passait sur zone et étaient au fait des réels projets de l’État Islamique. Les départs relevaient donc d’un véritable engagement, il n’y avait pas de découverte sur place de la réalité.
Concernant la question du choix de la France comme cible privilégiée, la sociologie apporte un éclairage inédit. Ce choix relève d’une dimension symbolique car frapper la France amène un retentissement immense et un émoi international, il s’agit de l’un des seuls pays du monde à offrir une telle portée.
Sur la revendication des attentats, il faut rappeler que celles-ci mentionnaient le Président François HOLLANDE car une vidéo avait appelé ce dernier à se convertir et à vivre selon l’Islam de l’État Islamique. Dès lors, ceux qui ne s’étaient pas désolidarisés de l’ancien Chef de l’État devenaient des cibles de choix puisqu’il s’agissait d’un « châtiment divin » des combattants de l’État Islamique qui sont les seuls « dans le vrai ».
Le sociologue a indiqué qu’il faut faire très attention à ce que disent les jihadistes car, si on les écoute, ils veulent sauver le monde et non pas tuer. Ils sont les seuls dans le vrai de leur point de vue et peuvent donc appliquer le « châtiment divin » aux mécréants. Les justifications sont cependant toujours postérieures et la propagande de l’Etat Islamique disait elle-même que nous serions toujours frappés en raison de notre « mécréance ». Le seul but de ces revendications est donc non pas de fournir des raisons mais de créer le débat et d’utiliser l’intimidation pour avoir un impact psychologique sur les « ennemis ».
LA MENACE TERRORISTE EN FRANCE EN 2015 ET SON TRAITEMENT
L’ensemble des témoins a toujours utilisé la même phrase introductive, à savoir que tous savaient que la France était visée par l’État Islamique, que la question n’était pas celle de savoir s’il y aurait un attentat mais qui, où, quand et comment.
La menace était considérée comme étant très forte depuis le discours de l’État Islamique du 21 septembre 2014 et la tuerie de NEMMOUCHE. La France apparaissait comme étant particulièrement visée, notamment en raison des nombreux attentats déjoués et des arrestations, les opérationnels étaient déjà présents sur notre sol.
Il n’y avait cependant pas d’élément précis indiquant des lieux particuliers (rencontres sportives, terrasses, salles de concert. Pour le Bataclan, il n’y avait rien eu depuis de « vagues menaces » en 2009. Le seul élément de connaissance était que les lieux avec de la foule étaient visés mais que la cible était décidée au dernier moment voire aléatoirement, rendant le déjouement de l’attentat difficile.
70% des départs pour rejoindre l’État Islamique ont eu lieu en 2014. Des mesures ont donc été prises pour endiguer ces départs, ainsi qu’un renforcement sécuritaire des moyens des forces de police et de gendarmerie et des services de renseignement, du plan Vigipirate et du contrôle aux frontières de l’espace Schengen en coordination avec l’Union Européenne, notamment la mise en place du fichier européen antiterroriste pour les passagers aériens (PNR) afin d’appréhender les « revenants » de zone. Ce dernier point n’a cependant pas permis d’éviter la suite de Salah ABDESLAM car il n’était pas fiché.
Il n’y a jamais eu de stratégie française de laisser partir les jihadistes en Syrie pour qu’ils y meurent et ainsi se « débarrasser du problème » puisque le risque de retour était une menace beaucoup plus grave que celle représentée par les jihadistes restés sur le sol français. Au contraire, tout était mis en œuvre pour récupérer les partants en Turquie avant qu’ils arrivent sur les terres de l’État Islamique.
En 2015, il y avait 30.000 jihadistes au sein de l’État Islamique dont la moitié d’étrangers. La vague migratoire compliquait la donne avec une arrivée massive d’un million de Syriens réfugiés qui ont ouvert les portes de l’Europe. Par ailleurs, Bachar AL-ASSAD avait coupé la quasi-totalité des moyens de communication et les jihadistes utilisaient de « l’intox » sur le peu de réseaux disponibles afin de brouiller les pistes. Seul le renseignement humain, l’infiltration, était possible mais l’État Islamique cloisonnait tout, il n’y avait pas de communication entre les différents groupes et les cybercafés et téléphones étaient constamment surveillés, rendant ce type de renseignement particulièrement difficile.
Concrètement, parmi les opérationnels du 13 novembre, la plupart étaient connus et fichés pour radicalisation mais il était impossible de savoir qu’ils seraient projetés en Europe pour commettre un attentat, ils étaient connus au titre de « simples » jihadistes.
Concernant Abdelhamid ABAAOUD, il était connu comme jihadiste depuis octobre 2013. Ce n’est qu’en mars 2014 avec une vidéo de propagande et en mai 2014 lorsque ses liens avec NEMMOUCHE apparaissent qu’il devient un jihadiste d’intérêt pour les services de renseignement. Tout a été mis en œuvre pour le localiser et l’interpeller, notamment suite à l’attentat déjoué à Verviers en Belgique qu’il avait piloté, mais sans succès. Cet échec s’explique notamment par la difficile coordination avec les services de renseignement belges, les deux services belges ne s’entendant pas au point que la DGSE devait faire l’intermédiaire entre eux. La DGSI et la DGSE collaboraient elles parfaitement en France.
Concernant le soir du 13 novembre, une cellule de crise a été mise en place par la section anti-terroriste du Parquet de Paris (le Parquet National antiterroriste étant né après les attentats), et dès 2h30/3h du matin le lien avec la Belgique des auteurs des attentats était établi par les premières investigations. La coopération avec la Belgique a donc débuté quasi immédiatement.
L’enquête a par ailleurs révélé une certaine désorganisation des terroristes avec le choix irrationnel de la fuite d’ABAAOUD et a confirmé qu’aucun d’entre eux n’était sous l’emprise de stupéfiants au moment des faits.
C’est par ailleurs la cellule de crise du Parquet qui a dû assurer la prise en charge des victimes, donner les identités au FGTI et mettre en place le dispositif des référents victimes. C’est elle qui a fait le choix de centraliser les opérations au sein de l’Institut Médico-Légal de Paris pour ne pas encore complexifier davantage la tâche des proches des victimes en les envoyant aux quatre coins de l’Ile-de-France pour retrouver leur disparu. Si des dysfonctionnements ont été constatés, c’était le choix le plus rationnel et pertinent dans l’urgence de la situation à l’époque. Une grande pression a par ailleurs été mise à l’ensemble des intervenants pour accélérer au maximum les opérations d’identification et d’avis aux proches.
Concernant les rumeurs de blessures à l’arme blanche et sévices corporels infligés aux victimes, il a été une énième fois confirmé que celles-ci sont « à exclure absolument ».
Compte-rendu d'audience du 18 au 24 novembre 2021
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les témoignages des enquêteurs de la DGSI et autrichiens relatifs aux structures de l’État Islamique organisatrices des attentats (1) et aux parcours du commando du Bataclan et de certains accusés sur zone (2).
1. LES STRUCTURES DÉDIÉES AUX ATTENTATS DE L’ÉTAT ISLAMIQUE
Les attentats étaient vus comme un enjeu majeur et politique par l’État Islamique afin de s’affirmer comme leader du jihad, mais également pour forcer certains États à adopter une politique plus favorable à l’État Islamique. Les attaques menées entre 2014 et 2016 étaient soit inspirées, c’est-à-dire menées par des sympathisants radicalisés sur internet se revendiquant de l’État Islamique, soit projetées, c’est-à-dire menées par des membres de l’État Islamique choisis et soutenus logistiquement par le groupe. Les attentats du 13 novembre ont été qualifiées d’attaque projetée la plus aboutie.
Les attentats étaient organisés par deux structures : la Liwa Abou Bakr As Saddiq et la cellule des opérations extérieures (COPEX).
- La Liwa Abou Bakr As Saddiq
Il s’agissait d’une unité d’élite sur le modèle des forces spéciales européennes. Elle gérait les otages et les exécutions mises en avant dans la propagande de l’État Islamique. Ses membres devaient être mobiles et d’une disponibilité totale. La sélection et le recrutement étaient très exigeants, il y avait une formation approfondie au maniement des armes lourdes et à la fabrication d’explosifs, mais également idéologique avec le recours à la violence extrême et l’idée du combat jusqu’à la mort.
La Liwa As Saddiq était commandée par Oussama ATAR (jugé par défaut et présumé mort). Elle participait à l’élaboration des attentats avec la COPEX et certains opérationnels étaient recrutés en son sein.
- La COPEX
La COPEX est la cellule des attentats projetés en Europe. Elle a été créée par AL ADNANI – Émir de l’État Islamique – et sa direction a été prise par Oussama ATAR en 2015. Les cadres étaient uniquement des jihadistes étrangers ayant fait leurs preuves lors d’interrogatoires, dans la gestion d’otages, dans les combats ou encore dans la traite d’esclaves. Leur recrutement se faisait sur la base de recommandations des cadres de l’État Islamique (cooptation).
Les actions étaient divisées en portefeuilles selon les compétences et les zones géographiques. Ses missions principales étaient l’élaboration des attentats, le recrutement des opérationnels sur la base d’une liste de volontaires et leur formation, enfin la projection dans le pays ciblé en assurant le soutien logistique et financier.
L’élaboration du projet se faisait au sein des portefeuilles, puis était validé par l’Émir de la COPEX et enfin sa mise en œuvre était confiée au portefeuille concerné. Les modalités étaient données sur place aux opérationnels après projection pour éviter le déjouement de l’attaque.
SUR L’ORGANISATION DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE
A partir des déclarations d’Osama KRAYEM (accusé jugé), des hypothèses fiables sur l’élaboration des attentats ont pu être dégagées. Le projet d’attentat aurait été élaboré par AL ADNANI, Oussama ATAR et les frères EL BAKRAOUI (qui commettront les attentats de Bruxelles-Zaventem, décédés). Quant au choix des lieux et dates, celui-ci aurait été fait par le portefeuille européen de la COPEX. Les autorités approbatrices étaient probablement Oussama ATAR et AL ADNANI.
Sur la réalisation, plus précisément, Oussama ATAR aurait directement participé à l’organisation des attentats en tant que chef opérationnel et en aurait recruté les auteurs, jouant également un rôle de facilitateur pour la projection en Europe. Obeida DIBO (jugé par défaut et présumé mort) aurait également participé à l’organisation et été facilitateur pour la projection. Abdelhamid ABAAOUD aurait participé à l’ensemble du processus. Enfin, Najim LAACHRAOUI (décédé), l’un des auteurs des attentats de Bruxelles, et Omar DARIF (jugé par défaut et présumé mort), auraient participé à l’élaboration des explosifs.
2. LES PARCOURS EN ZONE IRAKO-SYRIENNE DES DIFFÉRENTS TERRORISTES
Les organisateurs des attentats du 13 novembre faisaient partie de la COPEX ou de la Liwa As Saddiq.
Les autres opérationnels se sont rencontrés sur zone au sein des katibats, des groupes de combat. Les principales katibats étaient celles Al Mujahirin et Al Battar, composées d’étrangers, et Tariq Ibn Zyad, composée de Français.
LES ORGANISATEURS DES ATTENTATS
Oussama ATAR (jugé par défaut et présumé mort) est un vétéran du jihadisme ayant rejoint Al-Qaïda au début des années 2000. Il a rencontré AL ADNANI lors de son séjour dans la prison d’Abu Graib en Irak entre 2005 et 2012. C’est pour cette raison qu’il deviendra dès son arrivée un personnage important de l’État Islamique – numéro 3 ou 4 de l’organisation – et prendra la suite de AL ADNANI à sa mort en 2016.
Le parcours d’Obeida DIBO (jugé par défaut et présumé mort) est resté flou mais il est apparu comme l’un des cadres importants de l’État Islamique.
Omar DARIF (jugé par défaut et présumé mort), également jugé par défaut, était un membre de la Liwa As Saddiq et un expert en explosifs.
Najim LAACHRAOUI (décédé), l’un des terroristes de Bruxelles-Zaventem, était un proche d’Oussama ATAR et a été le geôlier des otages occidentaux. Il est devenu cadre intermédiaire de l’État Islamique dès février 2014 et membre de la COPEX cellule européenne en septembre 2015. Son rôle était équivalent à celui d’Abdelhamid ABAAOUD.
Enfin, Osama KRAYEM (accusé jugé) était un combattant de la Liwa As Saddiq et un proche d’Oussama ATAR et d’autres Émirs de l’État Islamique. Il disposait d’un savoir-faire et d’une expérience précieux pour la cellule européenne, s’étant notamment illustré lors de l’exécution du pilote jordanien.
Le parcours d’Abdelhamid ABAAOUD (décédé lors de l’assaut de Saint-Denis) a été particulièrement étudié car il apparaît comme un point de connexion entre les organisateurs et les opérationnels des attentats, la clé de voûte qui lient ceux-ci.
Il est parti une première fois en Syrie en 2013 puis est rentré en Belgique enlever son petit frère – Younes, 13 ans – avant de le ramener avec lui en janvier 2014.
Il a d’abord rejoint la Katibat Al Mujahirin où il a côtoyé LAACHRAOUI et Tyler VILUS (déjà jugé séparément) dont il était très proche. Il a participé avec cette katibat à de nombreuses exactions et massacres filmés et documentés, dont la fameuse vidéo du pick-up, connue en France.
Le quotidien de cette katibat était particulièrement barbare et dénué de toute humanité, faisant de l’horreur et la cruauté un jeu exercé avec zèle, l’épouse de l’un de ses combattants dira qu’ils « partaient à la guerre comme en colonie de vacances ».
En avril – mai 2014, cette katibat fusionnera avec la Katibat Al Battar. Il y retrouvera son frère Younes. Elle sera rejointe par la katibat Tariq Ibn Zyad qui comportait les membres du commando du Bataclan.
L’ensemble de ces katibats regroupe les opérationnels des attentats du 13 novembre projetés en Europe. Il a occupé une position hiérarchique importante au sein de la Katibat Al-Battar, discutant nomment avec les Emirs de l’État Islamique de camps d’entraînements et de projets d’attentats.
Par la suite, il connaîtra une véritable consécration médiatique dans la propagande de l’État Islamique et deviendra membre de la COPEX début 2015. Sur son rôle au sein de la COPEX, Mohamed ABRINI expliquera qu’il sélectionnait les nouveaux arrivants en Syrie en testant leur motivation, les entraînant au maniement des armes et en leur donnant une formation aux communications cryptées. Il les renvoyait ensuite à la frontière à l’issue de quelques jours ou semaines avec l’ordre de retourner en Europe pour commettre des attentats. Parfois, il organisait plusieurs séjours sur zone aux opérationnels pour ne pas éveiller les soupçons.
LE COMMANDO DU BATACLAN (DÉCÉDÉS)
Samy AMIMOUR a été décrit comme une personnalité introvertie s’étant radicalisée sur internet entre 2010 et 2012. Sa famille n’a jamais rien remarqué. Il a été qualifié de suiveur déterminé revendiquant un jihad défensif. Il a eu un premier projet de départ avorté en 2012 pour lequel il a été placé sous contrôle judiciaire et interrogé, puis est parti en Syrie en septembre 2013 avec Ismaël Omar MOSTEFAI sous couvert d’un voyage d’agrément (voyage possible même sous contrôle judiciaire dans l’espace Schengen avec sa carte d’identité puis avec un passage clandestin par la Turquie). Ce voyage s’est fait avec une longue préparation et n’était donc pas un « coup de tête » (entraînement au tir, comptes bancaires vidés etc.). Sa détermination apparaît sur sa fiche d’enrôlement de l’État Islamique où il indique vouloir être « kamikaze ».
Sur zone, il aurait rejoint les katibats Al Mujahirin et Tariq Ibn Zyad. Il aurait également servi de recruteur d’épouses potentielles à l’État Islamique et aurait réussi à en faire venir une sur zone, se servant de sa sœur comme intermédiaire involontaire.
Ismaël Omar MOSTEFAI a été présenté comme le leader du commando. Il a évolué dans un milieu salafiste depuis son plus jeune âge et disposait de connaissances religieuses importantes. Sa radicalisation a eu lieu en 2010 et il était connu de la DGSI pour son appartenance à la mouvance salafiste. Sa famille est apparue comme étant au fait de ses projets de rejoindre l’État Islamique avec femme et enfants, elle aurait même aidé sa femme à la rejoindre sur zone, se dédouanant en disant qu’il s’agissait de leur problème. Sa détermination apparaît sur sa fiche enrôlement où il indique vouloir être « kamikaze ».
Il a occupé une position hiérarchique importante, une place de leader sur place, tenant même une maison d’étrangers, ce grâce à sa connaissance de la religion et à sa maîtrise de la langue arabe. Il a fait partie de la Katibat Al Mujahirin et aurait mené des combats sur place, puis de la Katibat Tariq Ibn Zyad où il était proche du commandant. Il a rapidement formé un duo avec AMIMOUR.
Foued MOHAMED-AGGAD s’est radicalisé en 2013 sur internet au contact de Mourad FARES, recruteur de l’État Islamique de la filière de Wissembourg en Alsace, tout comme son frère Karim. Il quittera la France en décembre 2013 avec cette filière et sera accueilli sur place par FARES, malgré l’ouverture d’une enquête préliminaire en septembre 2013 sur ce groupe. Sa famille sera parfaitement au fait de ses agissements sur place, de sa volonté de mourir en martyr et de son retour imminent en Europe pour commettre une attaque, sa mère lui donnant l’absolution en disant qu’elle et son père étaient fiers de lui et de son frère, qu’ils leur pardonnaient et qu’ils pouvaient « partir tranquille ». Sa famille l’a même aidé financièrement.
Sur place, il aurait joué un rôle de recruteur d’épouses, dont la sienne, et aurait intégré les katibats Al Battar puis Tariq Ibn Zyad. Il a donc fait partie des katibats d’élite où les opérationnels étaient recrutés.
Le trio a emprunté la route des migrants pour revenir en Europe et MOSTEFAI semblait clairement avoir le leadership au sein du commando, ce jusqu’à l’attaque, comme ont pu en témoigner les otages du Bataclan.
LES AUTRES OPÉRATIONNELS (ACCUSÉS JUGÉS)
Les parcours de Muhammad USMAN et Adel HADDADI ont été évoqués. Leurs activités sur zone ont été difficiles à retracer. Sur les attentats, ils ont été mis en contact avec les Irakiens (toujours non identifiés) du Stade de France en septembre 2015 dans un appartement à Raqqa. C’est là qu’Oussama ATAR leur aurait confié la mission de commettre un attentat suicide en France. Il leur aurait fourni l’ensemble des moyens logistiques et l’ordre de suivre la route des migrants pour se rendre en France, par l’intermédiaire de DIBO comme passeur.
Ils ne pourront toutefois aller plus loin qu’en Grèce, sur l’île de Kos, car leurs faux passeports syriens seront détectés. Ils ne seront libérés que fin octobre et arriveront en Autriche le 15 novembre où ils seront interpellés par les services de police autrichiens.
Compte-rendu d'audience du 25 novembre au 9 décembre 2021
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les témoignages des enquêteurs belges sur les accusés jugés comme ceux morts ou présumés morts, sur leur parcours avant les attentats.
UNE PÉRIODE D’AUDIENCE PARTICULIÈREMENT DIFFICILE ET LA DÉCEPTION FACE AUX ENQUÊTEURS BELGES
Cette période d’audience a été marquée par de nombreux incidents et conflits.
Tout d’abord, à compter du 25 novembre, début des témoignages des enquêteurs belges, certains accusés ont refusé de se présenter. Salah ABDESLAM a refusé de comparaître chaque jour, tandis que d’autres ont refusé de comparaître certains jours (Mohamed ABRINI, Osama KRAYEN, Mohamed BAKKALI, Sofien AYARI). Cela a eu pour effet de rallonger les audiences car des sommations de se présenter devaient leur être délivrées chaque jour par la voie d’un huissier en début d’audience.
Par ailleurs, comme cela a pu l’être rapporté dans les médias, les enquêteurs belges ont particulièrement exaspéré l’ensemble des acteurs du procès et ont réussi l’exploit de se mettre à dos tant les Avocats de la défense que des parties civiles, ainsi que parfois le Ministère Public et la Cour, dont le Président.
Le Parquet fédéral belge s’est en effet particulièrement immiscé dans le procès, ne respectant pas les règles de notre droit, forçant par exemple le Président à revenir sur sa décision de faire témoigner les enquêteurs sans anonymat en agitant un refus de les faire témoigner. Cela s’ajoutait au fait que les témoignages se réalisaient par visioconférence, ce qui rendait bien mal aisé le jeu des questions auquel il est toujours plus facile de se dérober à un millier de kilomètres que face à une Cour.
Ainsi, les témoignages des enquêteurs belges ont été particulièrement décevants. En droit français, il est de principe qu’un enquêteur peut être interrogé sur toute l’enquête à laquelle il a participé et plus spécifiquement sur ses actes. Or, les enquêteurs belges ne répondaient pas aux questions, indiquant qu’ils avaient reçus des « mandats » pour parler uniquement de certaines choses, ce qui va à l’encontre de notre droit. Les réponses aux questions étaient ainsi toujours les mêmes : « je ne peux pas répondre », « cela ne rentre pas dans mon mandat », « je ne souhaite pas répondre », « cela sera abordé ultérieurement ». Certains refusaient même de répondre sur les actes d’enquête qu’ils avaient personnellement effectués car cela ne rentrait pas dans leur mandat, rendant ainsi tout exercice des droits de la défense impossible si ces actes avaient été mal effectués.
Cette situation était encore complexifiée par le doute né du fait qu’ils témoignaient au sein même des bureaux du Parquet fédéral belge, en présence d’un Procureur. Leur parole semblait donc bien trop contrôlée.
Il est également apparu que les avocats n’avaient pas eu accès à l’intégralité de l’enquête belge mais seulement à des éléments choisis ou des synthèses, ce qui remettait grandement en question le respect de la présomption d’innocence et des droits de la défense puisqu’il s’agissait d’éléments choisis et argumentés uniquement à charge. Il a ainsi été mis en lumière que beaucoup d’éléments qui jusqu’ici étaient présentés comme des preuves indiscutables de l’implication de certains des accusés n’étaient en fait que des hypothèses non démontrées construites à partir d’éléments divers.
Pour l’ensemble de ces raisons, la Défense s’est montrée particulièrement pointilleuse et parfois offensive avec les enquêteurs belges, afin de montrer les incohérences et légèretés de leur enquête, mais aussi pour tenter de leur extirper ne serait-ce qu’une réponse à certaines questions.
Ce difficile exercice a amené à de nombreux incidents d’audience puisque le Président reprenait souvent les Avocats de la défense, là où il ne le faisait pas avec ceux de parties civiles ou le Ministère Public à qui il laissait une bien plus grande liberté de ton et de stratégie. Il a donc vu son impartialité être remise en cause par les Avocats de la défense, qu’il a dès lors menacés de sanctions disciplinaires devant l’Ordre des Avocats.
En résumé, cette période d’audience a perdu une grande part de la sérénité qui régnait jusqu’alors dans les débats.
LES TÉMOIGNAGES DES ENQUÊTEURS BELGES
Les enquêteurs belges ont retracé les éléments d’enquêtes relatifs à chacun des accusés concernant leurs parcours de vie et leurs liens avec les autres protagonistes du dossier, voire leur vie sur zone lorsqu’ils étaient partis. Cependant, ces portraits étaient parfois particulièrement lacunaires et on peinait à discerner les réelles implications de certains. Par ailleurs, ils ont apporté peu d’éléments nouveaux puisque la plupart des profils avaient déjà été traités par les enquêteurs de la DGSI de façon plus complète. Aussi, nous vous invitons à vous référer aux précédents comptes rendus pour plus de détails.
LES POINTS COMMUNS ENTRE LES PROTAGONISTES BELGES
Au cours du témoignage des enquêteurs belges, divers points de convergence entre les protagonistes belges du dossier sont apparus :
- Le quartier de Molenbeek en lui-même où la plupart vivaient dans un mouchoir de poche ;
- Le Café Les Béguines de Brahim ABDESLAM où des vidéos de propagande de l’EI étaient visionnés dans une pièce dédiée et des appels avec ABAAOUD étaient passés. Brahim ABDESLAM est apparu comme un vrai point de connexion entre les différents protagonistes (ABAAOUD, ABRINI, DHAMANI, CHOUAA, ATTOU, OULKADI, les frères EL BAKRAOUI) ;
- Le Café Time Out où était souvent présent le « trio inséparable » Salah ABDELAM, Mohamed ABRINI et Ahmed DHAMANI ;
- La sphère des frères EL BAKRAOUI (cousins des frères ATAR, proches de BAKKALI et EL HADDAD ASUFI) ;
- La filière de Molenbeek de ZERKANI, imam décrit comme un « gourou » de la Mosquée de Loqman qui aurait radicalisé ABAAOUD et les frères ABDESLAM.
LES PROTAGONISTES MORTS OU PRÉSUMÉS MORTS
Abdelhamid ABAAOUD, décédé à Saint-Denis : Il a été identifié dans plusieurs dossiers d’acheminement sur zone et d’attentats. Sa radicalisation aurait eu lieu en 2012 après un séjour au Caire pour apprendre l’arabe. Il présentait une profonde imprégnation de l’idéologie de l’EI et serait parti avec la filière ZERKANI (qui l’aurait radicalisé). Il est lié à une grande partie des protagonistes du dossier.
Bilal ADFI, commando du Bataclan : Sa personnalité est décrite comme effacée et repliée, avec une crise identitaire avant sa radicalisation et une adolescence marquée par les excès (délinquance, alcool, drogue). Sa radicalisation n’a pas été remarquée par ses proches et a été très rapide avant son départ (constatable sur les réseaux sociaux en 2014). Il est parti début 2015 en Syrie sous prétexte d’aller sur la tombe de son père au Maroc. Il a donné des nouvelles à sa mère et ses proches via les réseaux sociaux et aurait dit que s’il rentrait c’était pour une attaque. Il est revenu en Europe via la route des migrants avec AKROUH.
Chakib AKROUH, tué avec ABAAOUD à Saint-Denis : Il a été décrit comme influençable par ses proches. Il faisait partie de la filière ZERKANI et est parti en Syrie début 2013. Sa radicalisation a eu lieu vers 2011 (changements notables dans la tenue et la pratique de la religion) et il fréquentait ABAAOUD et ABRINI. Il est revenu en Europe avec HADFI.
Najim LAACHRAOUI, décédé dans les attentats de Bruxelles : Il s’est radicalisé à sa majorité en 2009 et aurait été endoctriné à Molenbeek. Il est parti en Syrie début 2013 après une première tentative avortée et donnait des nouvelles régulièrement à sa famille. C’était une figure influente de l’EI membre de la COPEX.
Mohamed BELKAID, décédé lors de la tentative d’interpellation de Salah ABDESLAM dans l’appartement conspiratif de Forest : Son parcours n’a pu être retracé par l’enquête mais on sait qu’il était coordinateur des attentats avec ABAAOUD et un proche de LAACHRAOUI.
Brahim ABDESLAM, décédé au Comptoir Voltaire : C’est une des figures emblématiques du dossier. Il a vécu toute sa vie à Molenbeek et a 5 ans d’écart avec Salah. Son Café a été le point de ralliement de nombreux protagonistes du dossier, amis ou qui travaillaient pour lui ou lui étaient redevables. Il diffusait les vidéos de propagande d’ABAAOUD et avait des contacts téléphoniques avec lui au Café, il se disait fier de lui. Il aurait commencé à se radicaliser sur l’exemple d’ABAAOUD. Il est parti en Syrie début 2015 et est rentré en février 2015 où il sera arrêté pour suspicion d’avoir rejoint la Syrie. Il sera relâché par les autorités belges en disant qu’il n’adhérait pas à l’idéologie de l’EI. Il aurait dit avoir montré « le bon chemin » à Salah.
Oussama ATAR, présumé mort sur zone : Il serait parti en Syrie en 2003 pour étudier la religion où il se serait radicalisé et aurait rejoint Al-Qaïda en Irak en 2004. En 2007, il est condamné à perpétuité en Irak, peine ramenée à 10 ans après cassation. Il a été incarcéré jusqu’en 2012, notamment à Abu Graib. Il y a eu une mobilisation de sa famille en 2010 pour le faire libérer car son état de santé aurait été alarmant (sa famille aurait menti et serait complice de son nouveau départ en ne le dénonçant pas). Il est rentré en Belgique en 2012, c’est à ce moment-là qu’il aurait radicalisé ses cousins, les frères EL BAKRAOUI. Il est parti en Syrie en décembre 2013.
Khalid et Ibrahim EL BAKRAOUI, décédés dans les attentats de Bruxelles : Ce sont les cousins germains d’Oussama ATAR qui les aurait radicalisés en prisons. Ils sont issus de la grande délinquance (vols de haut niveau, braquage, meurtre présumé). Les frères EL BAKRAOUI sont les personnes de confiance de la COPEX en Europe.
Khalid est parti en 2014 en Turquie où il a fait un aller-retour en Syrie durant son voyage de noces pour rencontrer Oussama ATAR. KRAYEM dira que cette rencontre est le point de naissance de la COPEX. Il est décrit comme dangereux, violent, manipulateur et secret.
Ibrahim aurait eu un rôle central d’émir et de tête pensante des attentats avec ABAAOUD et LAACHRAOUI. Il aurait tenté de rejoindre la Syrie à deux reprises en 2015, par la Turquie puis la Grèce, sans succès.
LES ACCUSÉS JUGÉS
Salah ABDESLAM : Il a passé toute sa vie à Molenbeek où il vivait à proximité d’une grande partie des protagonistes du dossier. Il a été convoqué pour une audition pour suspicion de volonté de départ en Syrie, mais il a été relâché par les services de police belge qui n’ont noté aucun signe de radicalisation selon eux. Sa fiancée expliquera qu’il parlait souvent de la Syrie et de partir là-bas. Pour elle, c’est par ABAAOUD qu’il est entré en contact avec des personnes radicalisées et s’est lui-même radicalisé. OULKADI dira que c’est lui qui a radicalisé Ibrahim, mais c’est le seul à tenir de tels propos, sachant que Brahim lui-même a déclaré « avoir montré le bon chemin » à son frère. Il formait un trio inséparable avec ABRINI et DHAMANI, groupe très radicalisé selon des témoins. Il aurait également eu des contacts très réguliers avec ABAAOUD alors qu’il était sur zone via la « pièce appels et visionnage » du Café des Béguines. Il aurait amené son frère à l’aéroport pour son départ en Syrie et est venu le chercher à son retour, puis aurait loué des véhicules et chambres d’hôtel à sa demande pour les attentats.
Mohamed ABRINI : Il se serait radicalisé à sa sortie de prison avec la mort de son frère, qui aurait été l’élément déclencheur selon lui, et le départ d’un grand nombre de ses proches pour rejoindre l’EI. Il a commencé à aller prier avec les ABDESLAM et DHAMANI, a fréquenté assidûment les Cafés Les Béguines et Time Out, visionné les vidéos dans la pièce de Brahim et fait de nombreuses recherches jihadistes sur internet. Il est parti sur zone en juin 2015, selon lui pour voir la tombe de son frère. Il aurait rencontré sur place ABAAOUD lui aurait demandé de devenir un combattant et de rester, ce qu’il aurait refusé. Il aurait cependant rendu service à ABAAOUD en allant en Angleterre récupérer de l’argent pour lui, argent remis à son frère Yassine ABAAOUD. Il a été interrogé à son retour en Belgique et relâché.
Osama KRAYEM : Il aurait dû faire partie des attentats de Bruxelles. Il s’est radicalisé vers ses 18 ans selon sa famille. Il se revendique du salafisme et du jihadisme en disant que l’EI agit dans le sens de la religion et s’en revendique, ses actions sont nécessaires selon lui, même tuer. Il se retranche derrière son allégeance de manière inconditionnelle. Il est parti en 2014 sous prétexte humanitaire et aurait décidé de devenir un combattant 3 semaines après son arrivée en réaction aux frappes de la Coalition.
Sofien AYARI : Il a grandi en Tunisie et se serait radicalisé en 2013 (changement tenues et pratiques). Il est parti en Syrie fin 2014 sous le prétexte de ne pouvoir pratiquer sa religion comme il le souhaitait en Tunisie. Il dira ne pas avoir participé aux combats et avoir seulement étudié la religion, ce que KRAYEM et sa famille contrediront. Il finira par reconnaître avoir pris part aux combats. Il part en Europe par la route des migrants avec KRAYEM et DARIF, qui seront ramenés en Belgique par Salah ABDESLAM.
Ali EL HADDAD ASUFI : C’est un proche des frères EL BAKRAOUI et ATAR. Il se définit comme un musulman pratiquant, mais pas de l’Islam de l’EI. Cependant, des contenus jihadistes ont été trouvés dans ses appareils électroniques ainsi que des conversations avec Ibrahim EL BAKRAOUI très radicales. Il aurait par ailleurs aidé ce dernier dans sa deuxième tentative de rejoindre l’EI via la Grèce.
Mohammed BAKKALI : C’est un proche des frères EL BAKRAOUI. Il a rencontré Khalid dans des cours d’arabe renforcé et Ibrahim à sa sortie de prison. Il a été suspecté en 2012 d’avoir participé à une filière d’acheminement vers la Syrie, mais les enquêteurs n’ont pas su déterminer de quoi. Des contenus jihadistes ont été retrouvés dans ses appareils électroniques.
Yassine ATAR : Il se serait radicalisé au retour de son frère Oussama en Belgique. On lui aurait présenté une femme de Molenbeek qui est devenue son épouse et qui serait également radicalisée. Il aurait tenu des discours radicalisés et aurait beaucoup critiqué les modes de vie de ses proches. De nombreux contenus jihadistes seront trouvés dans ses appareils électroniques (qu’il dira avoir rachetés et dond qu’ils étaient présents auparavant). Il aurait également aidé Ibrahim EL BAKRAOUI dans ses deux tentatives de rejoindre la Syrie. La Défense a cependant démontré que beaucoup de ces éléments étaient des hypothèses et constructions. Par exemple, il ne parle pas l’arabe classique donc ne peut comprendre les contenus jihadistes retrouvés et sa téléphonie a été tronquée.
Mohamed AMRI : Aucun réel élément de radicalisation n’a été mis en lumière par l’enquête. C’est cependant un ami proche de Brahim ABDESLAM pour qui il a travaillé et envers qui il se sentait redevable pour les services qu’il lui a rendus. C’est également un ami proche de Salah ABDESLAM et d’ATTOU.
Abdellah CHOUAA : Son père a été présenté comme un imam radical et un fanatique qui serait allé en Afghanistan pour combattre et aurait envoyé de l’argent à des jihadistes. Il aurait perdu le droit de vivre en Belgique suite à cela même si les poursuites à son encontre ont été classées sans suites. Ses appareils informatiques révèlent un nombre important de contenus jihadistes révélant un intérêt certain pour l’EI. Il dira s’être uniquement renseigné et dira que c’est de la barbarie. C’est par ailleurs un proche d’ABRINI qu’il a accompagné à l’aéroport pour son départ, ce dernier le tenant informé durant tout son voyage sur zone.
Ali OULKADI : Il a toujours vécu au cœur de Molenbeek. C’est un proche des frères ABDESLAM, d’ABRINI et d’ATTOU. Cependant, aucun élément de radicalisation ne sera mis en lumière par l’enquête. En revanche, il était l’un des meilleurs amis de Brahim ABDESLAM (pour qui il a travaillé) et l’a accompagné à l’aéroport lors de son départ sur zone, départ dont il aurait tout su. Il était également proche de Salah ABDESLAM, ce dernier l’appelait dès qu’il s’ennuyait au Café et c’est à lui qu’il a demandé d’aller chercher Brahim à son retour. Il dira que c’est Salah qui a radicalisé Brahim. Il connaît également l’ensemble des protagonistes du dossier qui fréquentait le Café et aurait participé aux séances de visionnage.
Hamza ATTOU : Aucun signe de radicalisation n’a pu être mis en lumière par l’enquête le concernant. Il est un ami proche de Brahim ABDESLAM pour qui il a travaillé au Café, une vraie relation de confiance existait entre eux, il lui versera notamment de l’argent quand il sera au Maroc. Il connaît également Salah et OULKADI qui serait l’homme de confiance de Brahim selon lui. Il connaîtrait tout de la radicalisation des frères ABDESLAM et serait très proche d’OULKADI.
Ahmed DHAMANI (jugé par défaut, détenu en Turquie) : Il a des antécédents judiciaires avec ABRINI et AYARI. Son frère est connu comme radicalisé, salafiste et recruteur. Selon OULKADI, il aurait participé à la radicalisation d’ABDESLAM. Il aurait été radicalisé par Youssef BAZAROUJ, un proche d’ABAAOUD recommandé par ce dernier à l’EI et membre de la COPEX qui a rejoint la Syrie en 2014 (BAZAROUJ parlera de lui et Salah dans son testament comme « la prunelle de ses yeux »).
Compte-rendu d'audience du 4 au 25 janvier 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les auditions des accusés partis en zone syro-irakienne rejoindre l’EI sur la période avant les attentats, à savoir :
- Mohamed ABRINI (audiences des 11 et 12 janvier) ;
- Osama KRAYEM (audience du 13 janvier) ;
- Adel HADDADI (audience du 14 janvier) ;
- Muhammed USMAN (audiences des 25 et 27 janvier) ;
- Sofien AYARIAYARI (audience du 8 février).
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été fortement perturbée par la contamination des accusés au virus COVID-19. Salah ABDESLAM a été testé positif fin décembre, entraînant un report de la première semaine d’audience suite à des débats animés : les avocats de la Défense demandant le respect des règles protocoles sanitaires pour tous, tandis que la Cour voulait reprendre les débats malgré la persistance de sa positivité. De même, Ali EL HADDAD ASUFI a contracté le virus à l’issue de la première réelle semaine audience, entraînant une nouvelle semaine de suspension jusqu’au 25 janvier.
Les interrogatoires de Mohamed ABRINI, Osama KRAYEM, Adel HADDADI et Muhammad USMAN
L’ensemble de ces interrogatoires a été marqué par de nombreuses répétitions par rapport à ce que les enquêteurs belges et de la DGSI ont pu exposer sur ces protagonistes. Aussi, nous vous invitons à vous référer aux comptes rendus y afférents pour davantage d’informations, seules les explications des accusés ou les nouveaux éléments étant abordés dans le présent compte rendu.
Les accusés ont montré une certaine réticence à s’exprimer et / ou s’expliquer. Bien souvent, leur interrogatoire peut être résumé de la façon suivante : ils ne savent pas, ils ne savent plus, ne se rappellent plus ou ils n’ont pas déclaré ça. Aussi, nombre d’entre eux sont revenus sur leur déclarations faites en procédure, tentant d’expliquer leur changement de version par les conditions de leur interrogatoire avec par exemple la volonté de déclarer ce que les enquêteurs voulaient entendre pour qu’on les laisse tranquilles ou encore une incompréhension avec les interprètes.
Seul KRAYEM fait exception à ce constant puisqu’il a choisi de garder le silence, son interrogatoire ayant consisté en une lecture de ses déclarations.
Enfin, il y a eu une défection quasi systématique des témoins, engendrant de nombreux débats. Les témoins s’étant présentés n’ont malheureusement que peu apporté aux débats sur l’état d’esprit des accusés avant les faits.
Mohamed ABRINI
Il est resté tout du long extrêmement vague, indiquant qu’il ne « (se souvenait) pas des détails », notamment ceux impliquant ses coaccusés.
Son discours sur la religion est apparu comme étant particulièrement incohérent et parfois lunaire, tentant de justifier sa vision par une construction peu claire et « fourre-tout » d’idées prises ça et là. Cela a amené à un incident lorsqu’une Avocate de partie civile l’a interrogé pour savoir s’il avait lu un seul livre sur la religion pour être « expert autoproclamé » de la religion, le piquant de nombreuses fois au vif, ce à quoi il a déclaré qu’elle le « dégoûtait ».
Il a par ailleurs continué à affirmer que l’objet de son voyage en Syrie en juin 2014 était de se rendre sur la tombe de son frère – décédé sur zone durant sa détention – et comprendre les circonstances de sa mort.
Sur sa rencontre avec ABAAOUD, il a expliqué qu’il lui avait proposé de rester et de rejoindre sa katibat, ce qu’il a refusé. Ce dernier lui aurait alors demandé de lui rendre service en passant par Londres lors de son retour pour récupérer de l’argent afin de régler une dette dérisoire, ce qui est remis en cause au vu des sommes dont disposait l’EI à l’époque.
Sur ce voyage en Angleterre, sa mémoire a fait à nouveau défaut. Toutefois, il est apparu que son téléphone contenait des photos d’éventuels repérages pour des attentats (stade et gare), ce qui a fait débat.
Enfin, il a tenté d’expliquer son retour via Paris, où CHOUAA l’aurait récupéré, par la peur d’être arrêté à sa sortie d’avion en raison de la violation de son obligation d’accomplir des travaux d’intérêts généraux.
Osama KRAYEM
Il a souhaité garder le silence. Son interrogatoire a donc consisté en une lecture de ses déclarations durant l’instruction et à l’énoncé des questions qui lui auraient été posées. Aussi, rien de réellement nouveau n’est apparu.
On peut toutefois souligner que sa réelle importance au sein de l’EI interroge au regard de sa participation aux combats et exécutions médiatiques, ainsi que de sa rencontre avec AL ADNANI (numéro 2 de l’EI). Par ailleurs, son retour en Europe est obscur, puisqu’il dit avoir fui pour retrouver sa famille quand il a réalisé que l’EI contrevenait à la religion, ce qui était impossible et laisse donc penser qu’il a été projeté en Europe. Un migrant qui a croisé KRAYEM durant son voyage (avec possiblement AYARI) est venu témoigner, indiquant que leur destination finale était l’Allemagne, ce qui met à mal l’idée d’un retour pour voir sa famille.
Son professeur de français en détention est venu témoigner et a apporté un certain éclairage sur lui en déclarant qu’il était quelqu’un de respectueux, posé, intelligent, attaché à la parole donnée et qui a besoin d’être mis en confiance pour s’ouvrir, déclarant même qu’abstraction faite des choses horribles qu’il a faites, il était quelqu’un qui avait une capacité d’humanité.
Adel HADDADI
Il s’est montré très flou et peu à même d’expliquer les motivations et les circonstances de son départ ou encore ses activités sur zone.
Il semble peu crédible lorsqu’il affirme s’être contenté de rester dans une maison à cuisiner et prier, sans participer à aucun combat et que Oussama ATAR (dirigeant de la COPEX) serait venu le chercher pour lui confier une mission suicide parce qu’il n’était « pas connu » et « serviable ». Il a tenu à indiquer qu’il n’avait jamais eu l’intention « d’aller jusqu’au bout ».
L’audition de son frère et la lecture du témoignage de sa mère ont démontré qu’aucune radicalisation n’était constatable chez lui et qu’il leur avait menti quant aux circonstances de son départ. Rien ne laissait présager qu’il allait rejoindre l’EI.
Muhammad USMAN
Son cas est apparu comme particulièrement flou, aucune information le concernant ne pouvant être recoupée et il a varié sans cesse par rapport à ses déclarations en procédure, indiquant que l’interprète ne le comprenait pas pour justifier ces changements. Même son âge réel serait inconnu.
Concernant sa radicalisation, il a contesté avec véhémence l’analyse des services secrets pakistanais selon laquelle il aurait disparu de son village pendant une dizaine d’années et aurait été connu dans sa région natale comme un jihadiste notoire d’un groupe penjabi affilié à Al-Qaïda et à l’EI. Selon lui, son âge rendrait impossible cette version.
Il a contesté avoir qualifié les exactions sur place de « vrai Islam ».
Il a contesté avoir rencontré Oussama ATAR et que ce dernier lui aurait confié une mission suicide, reconnaissant simplement qu’on lui avait dit « de prendre la revanche sur les enfants tués ». Il a déclaré avoir été choqué par les attentats et qu’on ait pu penser à lui pour cela, bien qu’il savait qu’il y aurait un attentat mais pas de cette ampleur. Le Président lui indiquera qu’il ne peut se dire choqué car on lui avait confié une mission suicide, lui demandant jusqu’à quel nombre de victimes il était prêt à aller. Il tentera de se dérober à ces questions, répondant qu’il ne savait pas comment cela allait se passer et ce qu’on lui aurait demandé.
Il est par ailleurs resté silencieux sur la lettre qu’il a écrit à ABDESLAM en détention et sur sa conversation lors du transport à l’audience avec ABRINI où il disait qu’il ne regrettait rien.
Quant au rapport du Quartier d’Évaluation de la Radicalisation le concernant qui conclut à une certaine naïveté et son absence de radicalisation et de dangerosité : ce rapport est apparu bien peu fiable puisqu’il n’y avait pas d’interprète lors des entretiens, l’experte étant par ailleurs peu claire au moment d’exposer ses conclusions.
Sofien AYARI
Il s’est particulièrement distingué des autres accusés en choisissant de s’exprimer.
Il a expliqué qu’à l’origine, il comptait garder le silence, mais qu’il a été touché par le témoignage d’une partie civile, la mère d’une victime qui a dit qu’elle souhaitait les prendre dans ses bras et qu’elle pensait à leurs parents, se demandant ce qu’il s’était passé dans leur tête pour en arriver là. Il avait alors estimé « qu’il lui devait bien ça ». La juge d’instruction belge, qui a témoigné au début du procès, a également joué dans cette décision puisqu’il a indiqué qu’il avait le sentiment qu’elle avait écouté ce qu’il avait à lui dire.
Il s’est par ailleurs démarqué en indiquant que bien qu’il regrettait la souffrance infligée à des personnes qui n’avaient pas pris part à cette « guerre » et qu’il souhaitait que personne n’ait à subir ça une autre fois de tous les côtés, il ne remettait pas en cause son choix de rejoindre l’EI à l’époque. Il est parti pour combattre pour l’EI et a accepté la mission de venir en Europe, bien qu’il soit resté évasif sur la connaissance qu’il avait de l’action qu’on lui demandait d’accomplir, expliquant qu’il était parti sur une décision impulsive après avoir vu les bombardements des civils par la Coalition. Il a beaucoup surpris en assumant totalement son choix et en disant qu’il était responsable de ce qu’il avait fait, déclarant que « personne n’a été obligé, on peut se tromper, ça ne veut pas dire qu’on ne regrette pas nos décisions » et qu’il était trop facile de dire qu’on avait été obligé une fois devant un tribunal.
Enfin, il s’est montré plutôt agacé durant les questions de « répétition » qui lui ont été posées, indiquant qu’il s’était exprimé avec force de détails et que si on lui reposait la même question à chaque fois la réponse ne changerait pas, même si elle ne convenait pas. Il a par ailleurs fait l’objet d’une attitude assez virulente de la part d’un Avocat de partie civile qui lui a dit qu’il n’avait jamais manifesté aucune émotion lors de ses déclarations en procédure, ce à quoi il a rétorqué qu’il ne savait rien de ses émotions et qu’il n’avait pas de regrets mais reconnaissait ses erreurs.
En somme, il s’est particulièrement différencié de l’ensemble des accusés par sa coopération pour tenter de faire comprendre ce qu’il se passe dans la tête d’un jeune homme de 20 ans qui rejoint l’EI et surtout en assumant pleinement ses responsabilités.
Compte-rendu d'audience du 9 février 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, le témoignage de Salah ABDESLAM à l’audience du 9 février 2021.
Remarques liminaires
Da façon générale, l’audience a été particulièrement sereine. ABDESLAM s’est montré coopératif, calme et posé, déclarant à de nombreuses reprises qu’il ne voulait pas blesser dans ses propos mais faire en sorte que l’on comprenne les choses. Il a d’ailleurs accepté que l’audience ne se tienne finalement que sur un jour pour répondre à l’ensemble des questions de façon cohérente, malgré l’opposition de ses Avocats.
Certains Avocats de partie civile se sont montrés particulièrement virulents, attaquant ABDESLAM sur son absence d’émotion ou sur la souffrance qu’il a dit éprouver, ou encore lorsqu’il s’est dit prêt à rencontrer certaines victimes pour expliquer car il avait été touché par leurs témoignages, engendrant plusieurs incidents avec la Défense et l’accusé, ce dernier ayant déclaré par exemple que c’était grave d’insinuer des choses et qu’on ne pouvait pas parler sincèrement avec eux.
Les témoins prévus, à savoir sa mère, sa sœur, son ex fiancée et un ami, ont finalement décidé de ne pas se présenter. Aussi, les deux courriers envoyés par sa mère et sa sœur à la Cour pour s’excuser de leur absence ont été lus à l’audience, faisant part de leur manque de force de faire face à un tel procès, ainsi que de leur désarroi de ne pas reconnaître en l’accusé leur fils et frère, qu’elles ont décrit comme quelqu’un de profondément humain et bon.
Concernant l’ouverture de son témoignage, ABDESLAM a beaucoup surpris en choisissant de s’exprimer après de nombreuses années de silence. Il a demandé à faire une déclaration spontanée. Il a alors indiqué avoir beaucoup hésité à répondre aux questions, notamment car on n’a « cessé de le calomnier » alors qu’il n’avait « ni tué ni blessé ».
Il a également tenu à déclarer qu’il avait constaté que « dans les affaires terroristes les peines prononcées sont extrêmement sévères à l’égard de personnes qui n’ont pas tué ou blessé », déclarant qu’il comprenait que l’on veuille faire des exemples, mais qu’à son sens cela pourrait empêcher des personnes de se désister au moment de passer à l’acte. Il indiquera plus tard que, quand on se retrouve en prison, « on se dit qu’en vérité, on aurait dû l’enclencher le truc » et on se demande si on a bien fait de faire marche arrière au vu de la peine attendue.
Il a laissé entendre pour la première fois avoir renoncé à déclencher sa ceinture d’explosifs le soir des attentats.
Il est à noter qu’il a, à de nombreuses reprises, déclaré que l’on parlerait de certains éléments plus tard, expliquant qu’il souhaitait réellement s’expliquer mais qu’il fallait « avancer tout doucement » pour que nous comprenions.
Durant ces premières minutes, le Président l’a interrogé sur sa déclaration du premier jour où il s’est revendiqué comme étant un combattant de l’EI, ce à quoi il a répondu qu’il voulait rappeler son adhésion car, même s’il n’est pas parti en Syrie, il estime avoir eu un parcours de combattant.
Sur l’adhésion à l’État Islamique
ABDESLAM a daté son adhésion idéologique en 2012-2013 et a indiqué qu’elle s’est faite étape par étape. Il n’a pas formellement fait le serment d’adhésion mais explique l’avoir fait dans son cœur, « sans même le savoir ». Il demeure une incertitude sur le fait de savoir si cela a eu lieu avant ou après les attentats, il a indiqué qu’il s’en expliquerait après.
Selon lui, il a tout de suite adhéré à l’EI quand il a entendu parler du combat contre les exactions du régime de Bachar AL-ASSAD mais également contre ceux qui veulent imposer les valeurs occidentales dans des pays de tradition musulmane (ce qu’il qualifie « d’insulte aux musulmans »). Il a tenu à distinguer son action de celle de l’Armée syrienne libre en indiquant que celle-ci voulait instaurer un État démocratique, alors que l’EI voulait instaurer un État Islamique, déclarant : « L’Islam triomphera de force, avec ou sans nous, parce que l’Islam est la religion de Dieu et que Dieu triomphe toujours ». Interrogé sur pourquoi il n’appliquait pas la charia dans son mode de vie s’il voulait que soit instauré un État qui le fasse, il répondra « C’est une très bonne question », laissant apparaître une fissure dans son engagement idéologique.
Il a également expliqué que c’était son « humanité » qui l’avait conduit à vouloir s’engager pour les Syriens qui souffraient et à adhérer à l’EI, tandis que lui vivait dans son confort et profitait de la vie ce qui lui avait fait avoir peur de l’Enfer et du châtiment, qu’il voulait aider même s’il n’était pas pieux.
Questionné en rebond à cette « humanité » sur les exactions commises par l’EI comme les décapitations d’otages ou l’esclavage, il a déclaré qu’il ne pouvait pas dire s’il approuvait ou non puis que pour lui ça n’existait pas et que c’était de la calomnie puisque l’EI « faisait des choses biens », tenant un raisonnement assez décousu tentant d’expliquer que cela devait se conformer à la charia et au Coran, raisonnement qui peut se résumer à cette déclaration : « L’Islam n’a pas aboli l’esclavage (…) on ne va pas changer notre religion pour faire plaisir aux autres ».
Par ailleurs, sur les attentats, il a repris l’argument de la loi du Talion pour les frappes de la Coalition, expliquant s’être rangé du côté des « faibles » qui avaient été attaqués « parce qu’ils appliquaient la charia », même s’il a été souligné que la chronologie ne correspondait pas puisque les attentats auraient été préparés avant, ce à quoi il a rétorqué que tout était la faute de François HOLLANDE qui aurait pu « faire marche arrière et empêcher tout ça ».
Enfin, il a contesté avoir eu de réel projet de partir en Syrie (comme des recherches ou des prises de contacts), bien que l’idée lui ait traversé l’esprit, car il avait trop d’attaches en Belgique entre sa famille et sa fiancée, mais que cela le « rongeait » et « le faisait pleurer » de laisser « ses frères musulmans » souffrir en Syrie sans les rejoindre pour les aider.
Sur l’influence de ses proches
Concernant son frère Brahim, il a reconnu avoir commencé à s’intéresser à la « dimension offensive de la religion » quand son frère est revenu de Syrie, indiquant cependant qu’il n’a appris qu’il y était parti que quelques mois après, ayant toujours pensé qu’il était parti en vacances et ne l’ayant pas accompagné à l’aéroport pour son départ. Brahim lui aurait expliqué qu’on l’avait renvoyé en Belgique car il n’y avait aucun intérêt qu’il se fasse tuer sur place, qu’il servirait davantage l’EI en étant en Belgique et en attendant qu’on lui confie une « mission ». Brahim ne lui a jamais dit quelle mission lui avait été confiée, mais quand il lui a demandé de lui rendre des services car il avait confiance en lui, il l’a fait. Il a cependant refusé de s’expliquer davantage sur ces « services » ou sur les personnes impliquées, concédant que lui-même n’avait pas de contact avec l’EI et que tout passait par Brahim.
Il a contesté avoir vu de vidéos de l’EI passées par Brahim au sein du Café des Béguines ou encore l’avoir entendu au téléphone avec ABAAOUD, mais a reconnu qu’il en regardait dans l’intimité. Ils n’ont d’ailleurs jamais parlé de l’EI ou de la Syrie ensemble, contestant ainsi que son frère ait pu le radicaliser car « il ne voulait que son bien », même s’il a reconnu qu’il avait une autorité naturelle qui imposait le respect mais qu’il ne l’obligeait en rien. Il a cependant admis avoir constaté sa radicalisation et avoir eu un sentiment d’impuissance à ce sujet.
Il est à noter qu’il a refusé de dire s’il se sentait fier de ce que Brahim avait fait le soir des attentats.
Concernant son entourage proche parti en Syrie, comme ABAAOUD, il a expliqué qu’il avait toujours ignoré que ses amis partaient car les départs se faisaient dans le plus grand secret, que cela faisait partie de l’intimité de chacun, à la fois pour se protéger et protéger ses proches, que c’était même une consigne de l’EI pour protéger l’organisation et ses « combattants ». Il n’a jamais eu de contact avec ces derniers après leur départ ou lors de leur présence en Syrie quand ces derniers sont revenus, comme ABRINI.
Il a donc dénié tout influence d’ABAAOUD dans son engagement, faisant une déclaration qui a beaucoup étonné car elle pouvait laisser entendre des idées suicidaires qu’il a déniées en disant qu’il était trop fier pour cela lorsqu’il a été questionné à ce sujet, à savoir : « C’est mon frère. Aujourd’hui il n’est plus là et j’espère bientôt le rejoindre ».
Il a contesté avoir fréquenté les frères EL BAKRAOUI, ce qui semble assez peu crédible. Notamment, il a effectué un voyage en Grèce de deux jours avec DAHMANI quand l’un d’entre eux y était présent, mais il a expliqué qu’il s’agissait d’un simple « road trip » limité dans le temps. Sa Défense soulignera d’ailleurs que s’il était allé les rencontrer, il aurait pris bien peu de précautions puisque par exemple il a tout payé en carte bancaire identifiée à son nom.
Quant à son éventuelle connaissance de KRAYEM et AYARI, ses co-accusés, il a laissé entendre qu’il ne les connaissait pas avant le procès en déclarant au Président : « Non, enfin ça dépend, est-ce que je peux dire maintenant que l’on se connaît Monsieur le Président ? ».
La Défense
L’intervention de la Défense a été plutôt concise mais percutante. Ils ont tenu à souligner qu’ABDESLAM reconnaissait la justice française puisqu’il a répondu à toutes les questions pendant plus de 7 heures.
Son Avocat a par ailleurs laissé poindre une incertitude quant à son réel engagement pour l’EI lorsqu’il l’a interrogé sur le « mythe de sa radicalisation en regardant des vidéos dans un nuage de fumée de cannabis aux Béguines », ce à quoi il a répondu que c’étaient des inventions.
Compte-rendu d'audience du 26 janvier au 11 février 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les auditions des accusés restés en Belgique sur la période avant les attentats, à savoir :
- Mohamed BAKKALI (audience du 26 janvier) ;
- Mohammed AMRI (audience du 28 janvier) ;
- Yassine ATAR (audiences des 1er et 2 février) ;
- Hamza ATTOU (audience du 3 février) ;
- Ali OULKADI (audience du 3 février) ;
- Abdellah CHOUAA (audience du 4 février) ;
- Ali EL HADDAD ASUFI (audience du 11 février).
Remarques préalables relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par de vifs débats relatifs à l’absence toujours plus importante des témoins, bien peu faisant l’effort de se présenter à la barre ou en visioconférence, souvent avec à l’appui des certificats médicaux recouvrant de façon surprenante l’ensemble de la période d’audience.
Deux absences ont particulièrement fait parler, puisque dénoncées comme contrevenant au principe du procès équitable, celle d’une des deux juges d’instruction belge GREGOIRE qui a indiqué souhaiter réserver son témoignage au procès des attentats de Bruxelles alors que beaucoup des accusés lui doivent d’être dans le box et qu’elle a chapeauté un grand nombre d’investigations ; celle d’un autre témoin dont les déclarations sont pourtant essentielles dans la mise en cause de certains.
Ces difficultés mettent en lumière l’absence totale de moyen de coercition pour faire venir des témoins étrangers, la Belgique étant pourtant un pays partenaire sur le plan judiciaire.
Un autre débat a eu lieu sur le déséquilibre manifeste des débats entre le temps de questions de la Défense et du Ministère public, et celui des Parties civiles. Cela n’a pas eu d’effet à ce stade.
Les interrogatoires de Mohamed BAKKALI, Mohammed AMRI, Yassine ATAR, Hamza ATTOU, Ali OULKADI, Abdellah CHOUAA et Ali EL HADDAD ASUFI
L’ensemble de ces interrogatoires a à nouveau été marqué par de nombreuses répétitions par rapport aux exposés des enquêteurs belges. Aussi, nous vous invitons à vous référer aux comptes rendus y afférents pour davantage d’informations, seules les explications des accusés ou les nouveaux éléments étant abordés dans le présent compte rendu.
La tendance générale de ces interrogatoires a pu décevoir quant aux explications apportées par les accusés ou les témoins, laissant l’impression que l’on ne nous disait pas tout voire que l’on nous mentait. Seul BAKKALI a choisi de garder le silence mais a indiqué confirmer ses déclarations durant l’instruction.
Mohamed BAKKALI
Il a choisi de garder le silence en expliquant qu’il n’avait plus la force de se battre pour s’expliquer après avoir été lourdement condamné dans un procès précédent au cours duquel il s’était expliqué avec détails. Malgré les tentatives du Président pour le convaincre de répondre aux questions car il n’y avait pas de pré-jugement, il n’est pas revenu sur sa position en expliquant que cela ne changerait rien dans des affaires de terrorisme aussi graves. Il a donc indiqué qu’il confirmait l’ensemble de ses déclarations en procédure.
Le Ministère Public a tenu à compléter ses déclarations en tentant de démontrer sa radicalisation : changements vestimentaires, séparation avec son ex pour des divergences religieuses, il avait reconnu évoluer dans un contexte salafiste. Il a par ailleurs été évoqué un « coup de foudre amical » avec les EL BAKRAOUI au moment de leur bascule dans l’extrémisme et qu’ils lui accordaient une certaine confiance (contact avec Ibrahim quand celui-ci a tenté de rejoindre la Syrie par exemple). Enfin, il a été souligné que l’administration pénitentiaire aurait indiqué qu’il tenait des propos radicaux et côtoyait des radicalisés.
Son frère est venu témoigner et a indiqué que c’était sûrement sa trop grande gentillesse et le fait qu’il faisait trop confiance qui expliquait qu’il se retrouve dans cette affaire. Il a expliqué n’avoir rien vu de sa radicalisation mais plutôt qu’il pratiquait « mieux » la religion. Il a enfin fait part de sa colère contre son frère qui a logé quelqu’un dans son appartement sans le lui avoir dit (planque supposée ndlr.).
Mohammed AMRI
Il dénié avec force être radicalisé. Il avait cependant déclaré en procédure que chacun faisait ce qu’il voulait à propos des attentats, ce qu’il a vivement contesté à l’audience en expliquant qu’il les condamnait fermement et n’avait pas dû peser ses mots à cause de la fatigue.
Il a commencé à réellement fréquenter Brahim ABDESLAM en 2013 au Café des Béguines, puis a rencontré Salah ABDESLAM après. Il a travaillé au Café d’avril à juin 2015. Il a confirmé avoir vu Brahim regarder des vidéos de prêches et de combats, mais n’avoir lui-même jamais regardé, contestant que celles-ci aient pu être diffusées sur un grand écran au Café comme l’avait indiqué un témoin que tous ont accusé de mentir. Il a dénié avoir vu Brahim passer des appels à ABAAOUD mais il n’était pas tout le temps au Café. Par ailleurs, Brahim ne lui a jamais parlé de religion, de ses idées ou de l’EI car de toute manière il ne l’aurait pas écouté puisqu’il était « un peu zinzin ».
Il avait connaissance du fait qu’il y avait des départs dans le quartier en Syrie, mais a dit ignorer tout de ceux de Brahim, ABRINI ou encore des EL BAKRAOUI, qualifiant ceux qui partaient de « fous » qui ne connaissaient rien à la religion.
Enfin, sa téléphonie a montré un rapprochement avec Salah ABDESLAM entre juin et novembre 2015 qu’il n’a pas su expliquer, indiquant qu’il devait être plus présent au Café et que c’était un ami, quelqu’un de bien.
Son père et son épouse qui sont venus témoigner l’ont décrit comme profondément gentil, humain et serviable, travaillant au Samu Social, qui n’a jamais été dans la religion et qui était à mille lieues d’être radicalisé ou encore de s’intéresser à la Syrie. Tous deux ont expliqué qu’il avait dû être « embarqué dans cette histoire » à cause de sa gentillesse et qu’il ne devait pas savoir « où il mettait les pieds » aux Béguines, sachant qu’il leur avait caché qu’il y travaillait en raison de leur réprobation due à la mauvaise réputation du Café concernant les stupéfiants. Son épouse a expliqué qu’il avait dû y travailler les mois de chômage (le Samu social ne fonctionnant pas toute l’année) et le lui cacher car il avait honte qu’elle fasse tourner le ménage. Sur les faits, elle a expliqué qu’il lui avait dit être allé chercher un ami après sa nuit de travail avec ATTOU. Il aurait été très choqué quand elle lui a appris les attentats.
Il est à noter que ces témoins ont été particulièrement malmenés durant les questions, entraînant une demande la Défense de rester dans la dignité et dans des questions participant à la manifestation de la vérité.
Yassine ATAR
Il a tenu à déclarer qu’il clamait son innocence depuis le premier jour et a insisté pour qu’on le distingue de son frère, Oussama ATAR (commanditaire présumé des attentats ndlr.) et de ses cousins, les EL BAKRAOUI. Il a d’ailleurs tenté de s’expliquer le plus possible et avec force de détails.
Sur son exploitation téléphonique, qui aurait fait ressortir une conception rigoriste voire extrémiste de l’Islam, il a expliqué qu’il s’agissait de moins d’une dizaine de SMS sur 34.000, soit bien peu pour quelqu’un de radicalisé. Il s’est par ailleurs défendu de la vision de la femme qu’on a voulu lui attribuer. Le même type d’explications plutôt a été apporté concernant le contenu problématique de son Facebook ou encore une clé USB contenant des chants jihadistes retrouvée dans sa voiture.
Concernant ses cousins, les EL BAKRAOUI, il n’a jamais constaté leur radicalisation, simplement qu’ils s’étaient mis à prier à leur sortie de prison. Il a affirmé avoir tout ignoré du voyage en Syrie de Khalid et des tentatives d’Ibrahim d’y aller. Quant à son frère Oussama, il se seraient disputés car celui-ci réprouvait son mode de vie et son implication dans le stupéfiant. Il a dénié tout contact avec lui après son départ en Syrie.
Plusieurs témoins se sont présentés au soutien de Yassine ATAR. Concernant sa famille (sa sœur, un cousin, son oncle), ils se sont tous accordés à dire qu’il était présent dans le box en raison d’un « dossier monté à charge » et en substitution à son frère, Oussama, et à ses cousins, les EL BAKRAOUI. Tous ont insisté sur le fait qu’il n’avait jamais été radicalisé et que son mode de vie particulièrement dissolu avait entraîné une brouille avec son frère Oussama, donc que ce dernier ne l’aurait jamais radicalisé. Par ailleurs, son frère et ses cousins ne lui auraient jamais fait confiance en raison de son incapacité à garder quelque chose pour lui (son surnom étant « Pipelette »). Enfin, tous se sont plus au moins entendu sur le fait que la radicalisation des EL BAKRAOUI n’était pas perceptible, mais celle d’Oussama était visible selon certains et pas selon d’autres.
Hamza ATTOU
Il a indiqué n’avoir jamais été pratiquant. Il a rencontré Brahim ABDESLAM fin 2013 et s’est rapproché de lui quand il a travaillé au Café des Béguines en donnant des « coups de mains » et a participé à son trafic de stupéfiants. Pour lui, il n’y avait pas de radicalisation visible de Brahim, pour exemple il avait vu qu’il regardait des vidéos mais ne s’était jamais approché pour voir de quoi il s’agissait, le PC étant dans un coin isolé du Café. A cet égard, il a contesté toutes les déclarations du témoin contesté par la défense déjà évoqué qui a pu dire que les vidéos étaient projetées, que Brahim avait applaudi la vidéo du pick-up d’ABAAOUD ou encore qu’il y avait des séances de visionnage auxquelles il aurait lui-même participé.
Il ignorait par ailleurs que Brahim était parti en Syrie, pour lui il partait juste en vacances et ils l’avaient accompagné entre amis avec OULKADI, non pas pour faire leurs adieux comme a pu le dire ce témoin. Pour lui, Brahim avait « bien caché son jeu » puisqu’en revenant de Syrie ils étaient allés en boîte de nuit ensemble par exemple ou encore il n’y avait aucune discussion sur la religion au Café, qui par ailleurs était multiculturel et où il y avait des jeux d’argent.
Il dressera le même constat d’absence de radicalisation visible chez Salah ABDESLAM, qui était moins présent au Café. Il dira qu’il était bienveillant avec lui, au même titre que Brahim.
Il reconnaîtra qu’il ne les connaissait finalement pas vraiment et qu’il leur en veut beaucoup aujourd’hui, reconnaissant que sa consommation intense de stupéfiants avait pu altérer son jugement.
Une personne chargée de la politique de prévention de la radicalisation à Molenbeek est venue témoigner. Elle a rencontré ATTOU dans le cadre de sa libération sous contrôle judiciaire et a affirmé qu’il n’était en rien radicalisé, le décrivant davantage comme un jeune molenbeekois d’une grande naïveté qui a peu d’estime de lui-même et qui va chercher la reconnaissance dans un groupe de pairs.
Son épouse confirmera également son absence de radicalisation et qu’il a été très choqué par les attentats, notamment en apprenant l’implication des frères ABDESLAM.
Ali OULKADI
Il était un ami proche de Brahim ABDESLAM et est le seul à signaler avoir décelé chez lui une radicalisation qui est allée crescendo. Il tenait des propos radicaux mais n’était pas écouté par les autres car, dès qu’il rencontrait la contradiction, il disait avoir entendu ça quelque part et passait à un autre sujet. Il confirme l’avoir également vu regarder des vidéos, indiquant qu’il était « comme dans un délire ». Il a pu entendre Salah et DAHMANI tenir aussi ce genre de propos quelques fois, mais il les voyait rarement. Il a cependant indiqué que personne n’adhérait à ces propos et que certains clients avaient demandé à Brahim d’arrêter.
Il ignorait en revanche tout de son départ en Syrie et pensait réellement qu’il partait en vacances quand il l’a accompagné à l’aéroport, contrairement à ce que le témoin contesté par la défense a pu dire. Il a par ailleurs indiqué que Brahim lui avait dit avoir profité de « la piscine et des filles » à son retour, ce qui ne laissait aucunement supposer de sa réelle destination.
Malgré tout, l’implication des frères dans les attentats a été un choc pour lui et il s’est senti manipulé.
Abdellah CHOUAA
Concernant sa radicalisation, il y a eu un vif débat car il avait déjà été indiqué que son père était radicalisé et que son frère avant tenté de partir en Syrie (c’est d’ailleurs lui qui a dénoncé son départ). Il a tenté d’expliquer que son père était un imam injustement accusé par son frère qui avait un ressentiment important à son égard. Cet imbroglio d’explications aura eu davantage pour effet d’apporter la suspicion quant à son milieu familial, ses explications étant bien peu claires et convaincantes.
Par ailleurs, c’était un ami proche d’ABRINI. Ce dernier était tout le temps chez lui pour éviter d’être arrêté pour ses divers larcins. C’est d’ailleurs ainsi qu’il justifiera des recherches radicales dans son ordinateur. Il déniera avoir su pour son départ en Syrie, avoir était en contact avec lui quand il était sur zone ou lui avoir envoyé de l’argent, reconnaissant seulement l’avoir conduit à l’aéroport dans l’ignorance de sa destination. Il a par ailleurs exprimé à de nombreuses reprises sa colère contre lui.
Enfin, il expliquera avoir menti en procédure sous le choc et par peur.
Son ex-femme, qui est aussi sa cousine, contestera toute forme de radicalisation car il n’était pas pratiquant et ne s’intéressait pas l’EI et toutes ces questions. Elle indiquera qu’il n’a été qu’un pion dans tout cela, victime de sa gentillesse. Son propos sera cependant amoindri par sa tentative très confuse d’expliquer l’absence de radicalisation au sein de la famille.
Quant à son épouse actuelle, rencontrée en 2016 après sa mise en cause, elle a livré un témoignage avec beaucoup d’émotions, insistant sur son absence de radicalisation et sur l’impossibilité de son implication, soulignant sa gentillesse et le fait qu’il était un homme bien.
Ali EL HADDAD ASUFI
Il a indiqué être un musulman pratiquant normal. Il a reconnu s’être intéressé à l’EI au moment de la vague de départs pour comprendre (fin 2014 – début 2015), mais que c’était une pratique trop rigoriste.
Connaissant les frères EL BAKRAOUI (notamment Ibrahim dont il était un ami très proche) et quelque peu Oussama ATAR par leur intermédiaire, il a dénié avoir jamais constaté leur radicalisation. Il s’est cependant montré peu convaincant car il avait déclaré le contraire en procédure, expliquant cela par le fait qu’il avait interprété rétrospectivement au lendemain des attentats, ce qui a été jugé peu crédible au regard de la précision de ses déclarations.
Par ailleurs, il a eu de nombreux contacts téléphoniques avec Ibrahim lorsqu’il tentait de rejoindre la Syrie, ce qui a encore amoindri ses déclarations. Plus encore, il a accompagné ce dernier en Grèce lors de sa seconde tentative, ce à quoi il a expliqué qu’il ignorait tout de ses réels projets et qu’il trouvait crédible sa volonté de fuite suite à un braquage. Il n’a pas su expliquer comment son ami proche avait pu ne pas le mettre dans la confidence.
A cet égard, il a contesté avec peu de force de conviction les éléments laissant à penser qu’il était radicalisé comme par exemple ses discussions sur Messenger avec Ibrahim ou encore des posts sur Facebook.
Sa sœur et sa compagne dénieront toute forme de radicalisation chez lui, le décrivant comme une bonne personne, mais cela sera amoindrit par le fait qu’il leur ait caché connaître les EL BAKRAOUI.
Compte-rendu d'audience du 1er au 11 mars 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les témoignages des enquêteurs belges sur la période précédant directement les attentats concernant la logistique, à savoir :
- Location des logements ayant servi de planques (mardi 1er et mercredi 2 mars) ;
- Les faux papiers (jeudi 3 mars) ;
- Logistique des retours des combattants de Syrie et location des voitures (vendredi 4 mars) ;
- Recherche des filières de fourniture des kalachnikovs (lundi 7 mars et mardi 8 mars) ;
- Logistique des explosifs (mercredi 9 mars) ;
- Expertises ADN (mercredi 9 mars).
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par des témoignages des enquêteurs belges extrêmement longs et techniques, ce à renfort de power points et d’égrenage de lignes téléphoniques, appartements, présence d’ADN etc. Cette quantité de détails a rendu peu accessibles les informations données par ces enquêteurs. C’est en ce sens que le présent compte rendu s’attachera à ne restituer que l’essentiel des informations données.
Il est cependant à noter que la Défense a pointé à de nombreuses reprises que les enquêteurs belges ne se sont arrêtés qu’à une hypothèse mettant en cause certains accusés sans chercher d’autre alternative, que les éléments présentés n’étaient que des déductions non corroborées. Selon la Défense, cela aurait parfois amené à des aveux sur l’incertitude de la réalité de l’implication de certains des accusés.
La logistique des appartements ayant servi de planques
Le mode opératoire de location des appartements ayant servi de planques aux terroristes des commandos et accusés était toujours le même : ils étaient loués avec de faux papiers grossiers (notamment avec une photo comportant un grimage peu crédible à base de perruques de mauvaise qualité et de grosses lunettes), la présentation de fausses fiches de paie, un compte bancaire dédié souvent postal relié à la fausse identité pour le paiement du loyer et enfin une ligne téléphonique dédiée.
Certains de ces appartements ont été qualifiés de « conspiratifs » car des traces de TATP (explosif) et de boulons (utilisé pour causer des dégâts dans les gilets d’explosifs) ont été retrouvées.
Les faux papiers
L’ensemble des faux papiers proviennent du réseau dit « Catalogue ». Deux techniques étaient employées concernant les photographies : l’utilisation du vrai visage ou bien d’un visage grimé par des perruques et accessoires. ABRINI a confirmé l’utilisation régulière de postiches par les membres du réseau.
Dans l’atelier du réseau Catalogue découvert à Saint Gilles le 13 octobre 2015, plusieurs techniques de faux papiers ont été relevées :
- La technique de la doublette -apposition d’une autre photographie sur un document authentique ;
- Les faux réalisés à l’imprimante ;
- L’apposition de « sécurités » sur des faux rendant le faux difficilement détectable.
Farid KHARKHACH faisait partie de ce réseau en tant que préparateur de commandes. Concrètement, il prenait les commandes en récupérant les informations souhaitées et photographies, puis contactait l’intermédiaire du réseau qui passait la commande auprès des dirigeants du réseau avec ces éléments. Quand la commande était prête, l’intermédiaire remettait les documents à KHARKHACH qui récupérait l’argent en prenant une commission et remettait les faux papiers au client. Ce processus durait environ une semaine. Quand ce dernier était au Maroc, son épouse le remplaçait.
KHARKHACH connaissait Khalid EL BAKRAOUI par le biais d’un tenancier de Café, Jamal, et ce dernier lui a passé une commande de faux papiers le 14 septembre 2015 (avec quatre rencontres pour remise à cet effet) pour la cellule franco-belge pour les voyages en Europe des combattants de l’EI projetés ou pour les diverses locations logistiques ou envois d’argent. Cette aide était donc indispensable.
KHARKHACH aurait indiqué en audition avoir constaté la radicalisation de Khalid EL BAKRAOUI, ce qu’il a dénié par la suite en invoquant des pressions lors de ses interrogatoires et des problèmes de mémoire dus à ses problèmes de santé (ce point sera davantage développé ultérieurement concernant son interrogatoire ndlr.). Lui comme son épouse ont expliqué qu’ils faisaient cela pour l’argent et qu’ils n’auraient jamais pensé que ces faux papiers serviraient à cela, ils n’ont fait le lien qu’après lors des attentats de Bruxelles quand l’identité de Khalid EL BAKRAOUI a été révélée.
La Défense de Farid KHARKHACH s’est évertuée à ce stade à démontrer qu’une seule commande de faux papiers pouvait réellement lui être imputée et que d’autres personnes étaient apparues dans le dossier sur lesquelles aucune investigation n’avait été effectuée. Elle a tenté de mettre en lumière qu’aucune autre vérification n’avait été faite au-delà des hypothèses des enquêteurs.
La logistique des arrivées en Europe des combattants de l’EI et de la location de véhicules
Les arrivées en Europe des combattants de l’EI projetés se sont faites en cinq voyages, notamment avec Khalid EL BAKRAOUI et Mohamed BAKKALI comme logisticiens et coordinateurs des retours (contacts téléphoniques et location des véhicules, BAKKALI ayant par ailleurs véhiculé les terroristes entre les diverses planques) :
- Un premier voyage concernant Bilal HADFI (commando du Stade de France) et Chakib AKROUH (commando des terrasses) entre août et octobre 2015 de la Hongrie à la Belgique via l’Allemagne. Une BMW a été louée par Salah ABDESLAM à cet effet. De nombreux échanges téléphoniques avec BAKKALI ont été relevés ainsi que le bornage du téléphone d’ABRINI ;
- Un deuxième voyage où Salah ABDESLAM serait allé chercher Najim LAACHRAOUI (attentats de Bruxelles) et BELKAID (logisticien présumé mort dans la fuite de Salah ABDESLAM à Forest) en Hongrie sous la coordination téléphonique de Khalid EL BAKRAOUI. Lors du retour, ABDESLAM se serait arrêté chez AMRI pour que ce dernier l’accompagne ramener le véhicule et en louer un nouveau.
- Un troisième voyage de convoyage du commando du Bataclan de la Hongrie vers la Belgique. Salah ABDESLAM est supposé avoir réalisé ce trajet, la seule preuve étant la location d’une chambre d’hôtel à son nom mais avec le numéro de passeport de MOSTEFAÏ (commando du Bataclan), ce qui a été souligné par la Défense de Salah ABDESLAM ;
- Un quatrième voyage pour convoyer KRAYEM, AYARI et DARIF de l’Allemagne vers la Belgique. Il est toujours supposé qu’il ait été réalisé par ABDESLAM ;
- Un dernier voyage où ABDESLAM et AMRI seraient potentiellement allés chercher les Irakiens du commando du Stade de France en Allemagne.
Il est à noter qu’un enregistrement de Khalid EL BAKRAOUI a été diffusé où il dédouane BAKKALI en disant qu’il a loué un logement pour lui en toute amitié et qu’il n’était au courant de rien. Le Ministère Public a fortement mis en doute le crédit et la véracité qu’on pouvait lui conférer.
La Défense de Salah ABDESLAM s’est attachée à démontrer que ce dernier a loué les véhicules ayant servi à ces voyages avec son vrai téléphone et que, s’il les a louées pour certains, il ne les a pas tous conduits. Par ailleurs, il n’y aurait, selon elle, aucun élément pour confirmer la présence de Salah ABDESLAM lors des troisième et cinquième voyages, seulement des suppositions.
La recherche des filières de fourniture de kalachnikovs
L’enquête n’a pas permis de déterminer la filière de fourniture des armes, les enquêteurs ont donc exposé des recherches en Belgique et aux Pays-Bas :
- En Belgique, ce serait Mohamed BAKKALI qui aurait tenté de trouver des armes sans succès d’après des suppositions tirées d’une présentation qui est faite de lui dans Dabiq, une revue de l’EI ;
- Aux Pays-Bas, ce serait Ali EL HADDAD ASUFI qui aurait fait deux déplacements, l’un à Amsterdam le 7 octobre 2015 et l’autre à Rotterdam le 28 octobre 2015, pour tenter de se procurer des armes pour le compte de Khalid EL BAKRAOUI (suppositions tirées du fait qu’ils ont eu des contacts téléphoniques et se sont vus avant et après ces voyages).
Pour ce faire, il aurait contacté son cousin vivant aux Pays-Bas, leurs discussions tournant autour d’une recherche de « Clio » avec des prix. Ils justifieront cela par la suite par la recherche de stupéfiants ou de prostituées. L’enquêtrice indiquera qu’il y avait trop de précautions pour du stupéfiants, ce qui a beaucoup surpris, et finira lors de son interrogatoire par la Défense par dire qu’elle c’était à la Défense de prouver que ce n’étaient pas des armes, ce qui a fragilisé son exposé puisque la charge de la preuve incombe aux enquêteurs en vertu de la présomption d’innocence.
Il est à noter que l’ensemble de ces éléments d’enquêtes ont été dénoncés avec force par la Défense :
D’abord en ce que les premiers signes de radicalisation visibles de Khalid EL BAKRAOUI semblent apparaître après ces recherches supposées, donc que les accusés ne pouvaient pas savoir que les armes, s’ils les ont cherchées, serviraient à des attentats.
Ensuite, selon la Défense, il s’agirait là encore d’une seule et unique hypothèse sur laquelle les enquêteurs se sont arrêtés, alors que d’autres noms sont apparus et que des vérifications étaient possibles.
Enfin, selon la Défense, il n’y aurait aucune réelle preuve matérielle, l’enquêtrice ayan laissé entendre que tous les éléments présentés étaient des hypothèses plausibles.
La logistique des explosifs
Deux achats ont été relevés par les enquêteurs concernant la confection des gilets d’explosifs :
- Un voyage de Salah ABDESLAM le 4 septembre 2015 au sein de l’enseigne « Magicien du Feu » en France pour l’achat d’un dispositif de tir à distance pour feux d’artifices. Il a été souligné par les employés du magasin que son attitude était étrange (il parlait peu, savait ce qu’il voulait, n’a pas acheté les artifices habituellement achetés avec ce dispositif, refus de facture, paiement avec une grosse liasse d’argent liquide). C’est le dirigeant de ce magasin qui a contacté les forces de l’ordre en reconnaissant Salah ABDESLAM dans les médias, élément confirmé par l’employé qui l’a formellement reconnu sur planche photographique. Ce dispositif de déclenchement à distance n’a pas été utilisé mais avait été envisagé selon les éléments retrouvés après les attentats de Bruxelles ;
- Un déplacement au sein de l’enseigne Irrijardin (matériel de piscine) en France le 8 octobre 2015 dans deux magasins de la Somme et de l’Oise pour l’achat de trois bidon d’oxygène actif, composé du TATP. Le véhicule utilisé aurait été loué par Salah ABDESLAM mais aucun élément ne permet de corroborer sa présence effective.
Les recherches ADN
Cette question fut éminemment technique mais on peut retenir que l’ADN de la plupart des accusés et terroristes a été retrouvé dans l’ensemble des planques avec une certitude absolue.
Compte-rendu d'audience du 10 au 25 mars 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les interrogatoires des accusés (ainsi que quelques témoignages) sur la période précédant directement les attentats concernant la logistique.
Il est à mettre en perspective avec le précédent compte rendu sur les enquêteurs belge puisqu’ils répondent directement aux éléments exposés par ces derniers. Pour une meilleure compréhension, une fiche synthétique a été préparée pour chaque accusé.
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par un incident majeur lors de l’interrogatoire de Salah ABDESLAM le mardi 15 mars 2022 : tous les Avocats de la Défense ont quitté l’audience.
Cet incident a eu lieu suite à une montée en tension due à divers facteurs :
- Une phrase du Premier Assesseur enjoignant Salah ABDESLAM de mieux répondre car ce « n’était pas ce que les victimes attendaient ». Cela a été perçue par la défense comme manquant de neutralité
- certains commentaires d’Avocats de partie civile pouvant être jugés comme « virulents »
- des applaudissements dans le public qui, selon la Défense, auraient dus être recadrés par le Président en vertu de son pouvoir de police de l’audience
- Lorsque les Avocats de Salah ABDESLAM ont souhaité intervenir pour noter un nouveau « débordement » dans les questions des Avocats de partie civile, le Président a refusé de leur allumer leurs micros en arguant que leur tour de parole n’était pas venu
Dès lors, un des avocats d’ABDELSAM, Maître VETTES, et le Président se sont livrés à une joute verbale quant à la police de l’audience exercée ou non, jusqu’à ce que le Président lui indique qu’il n’avait qu’à changer de métier pour effectuer cette police si cela ne lui convenait pas, remarque accueillie par une salve d’applaudissement de la part du public. L’ensemble des Avocats de la Défense se sont alors levés en signe de solidarité et la Cour a quitté la salle.
Il faut savoir qu’il ne s’agit pas des premières frictions entre la Cour et la Défense, de nombreux incidents ayant émaillé ces derniers mois, notamment en raison de la difficulté pour la Défense de pouvoir à certains moments exercer ses droits librement (réaction à un élément, formuler des appréciations, poser certaines questions etc.).
La Défense est revenue quelques minutes plus tard avec deux Membres du Conseil de l’Ordre des Avocats chargés, en tant que délégués du Bâtonnier, de trancher les litiges d’audience. La Défense de Salah ABDESLAM a alors sollicité qu’il lui soit donné acte des nombreux incidents ayant émaillé cette audience. Il s’agit d’une pratique en Cour d’Assises permettant d’acter formellement par écrit un élément dans la retranscription de l’audience faite par les Greffiers, pratique existant en raison de l’oralité des débats qui peut amener à ce que des points ne soient pas consignés et à laquelle il est quasiment toujours fait droit en pratique. Le Président a cependant refusé de faire droit à cette demande au motif qu’il n’avait pas pour mémoire qu’un élément suffisamment particulier se soit passé pour qu’il y ait nécessité d’en donner acte et que cette demande intervenait trop tard.
Face à ce refus, l’ensemble des Avocats de la Défense ont quitté la salle unanimement et les Membres du Conseil de l’Ordre n’ont pu que constater que cet incident était malheureux et que l’audience devait être reportée sans souligner aucun manquement de la part de la Défense.
Le lendemain, le Président a à nouveau refusé de donner acte à la Défense de Salah ABDESLAM des débordements de la veille après un débat relativement passionné, mais la Défense est tout de même restée pour ne pas davantage désorganiser le procès.
Les interrogatoires des accusés
Ali EL HADDAD ASUFI (jeudi 10 mars) :
Concernant les planques, il a reconnu avoir rendu visite à Ibrahim EL BAKRAOUI dans l’appartement du frère de BAKKALI avec ATAR et avoir demandé à un ami à lui, qui a témoigné, s’il pouvait lui prêter son appartement où il ne vivait pas pour héberger un ami qui sortait de prison et qui était « en galère » (Ibrahim EL BAKRAOUI). Il a donc reconnu avoir servi d’intermédiaire pour cet appartement et être allé lui rendre visite plusieurs fois dans celui-ci sans rien remarquer de spécial, soulignant encore une fois que, pour lui, Ibrahim se planquait suite à un « coup ». Il a croisé à cette occasion Khalid EL BAKRAOUI, mais pas KRAYEM et BAKKALI comme le propriétaire a pu l’indiquer.
Concernant ses voyages aux Pays-Bas, présentés par les enquêteurs comme de la recherche d’armes, il a à nouveau dénié avec force qu’il s’agissait d’armes, indiquant qu’il s’agissait de plusieurs voyages d’achats de stupéfiants où il servait d’intermédiaire à des revendeurs belges (plusieurs dates et voyages car pas mêmes quantités et qualités). A cet égard, il a souligné qu’il avait fait de nombreux voyages à cette période que les enquêteurs n’ont pas relevé, sachant qu’ils ne se sont intéressés à lui que très tard concernant les armes alors qu’ils avaient sa téléphonie dès son arrestation pour le vérifier, indiquant enfin que les frères EL BAKRAOUI n’avaient pas besoin de lui pour trouver des armes vu leur passé de grands braqueurs.
Farid KHARKHACH (vendredis 11 et 18 mars) :
Son absence de radicalisation a été confirmée, notamment par le Quartier d’Évaluation de la Radicalisation.
A titre liminaire, il convient de noter la grande fragilité émotionnelle dont a fait preuve cet accusé, atteint depuis des années d’une dépression pour laquelle il a un lourd traitement qui entraîne des problèmes de mémoire. Il a par ailleurs fait des faux papiers de façon occasionnelle pour arrondir ses fins de mois, mais aussi pour aider sa sœur malade au Maroc, raison de ses nombreux voyages dans ce pays. Il en fournissait principalement à des personnes en situation irrégulière. Il a, à de nombreuses reprises, exprimé des remords et le fait qu’il s’en voulait énormément et devrait vivre avec cela.
Concernant les faux papiers du dossier (3 ou 4 cartes d’identité), il a indiqué que, pour lui, ceux-ci devaient servir à des arnaques sur internet. A l’époque, il y avait une arnaque courante de commande d’habits de marques onéreuses : les personnes allaient récupérer le colis, présentaient une fausse carte d’identité et la facture était envoyée à la fausse adresse sur la carte donc jamais payée (en Belgique, on paye 10 jours après l’acceptation de la commande). Cette supposition était corroborée par les photos peu crédibles des personnes grimées et le fait que c’étaient des faux papiers de moyenne qualité qui avaient été commandés par Khalid EL BAKRAOUI. Pour lui, c’était un client comme les autres qu’il n’a rencontré que deux ou trois fois et qui lui avait été présenté par le gérant d’un Café.
Par ailleurs, sur la radicalisation de Khalid EL BAKRAOUI, il a indiqué l’avoir reconnu une fois devant la juge d’instruction belge tant on lui avait mis la pression, mais qu’il ne l’a réellement soupçonnée que début 2016 et qu’il a été atterré en apprenant son implication dans les attentats de Bruxelles. L’un de ses Conseils a rappelé qu’il a dénié avoir constaté la radicalisation de ce dernier à 32 reprises et ne l’a reconnue qu’une fois, sachant qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un interprète et qu’il était sous traitement antidépresseur lourd. De plus, ses Conseils ont souligné que son avocate belge l’avait exhorté à reconnaître la radicalisation de Khalid EL BAKRAOUI, alors qu’il ne savait même pas ce que le terme « radicalisation » recouvrait, par un simple calcul : il risquait moins que pour du trafic de faux papiers selon le droit belge.
Un des membres du réseau de faux papiers dit « Catalogue » a semblé confirmer les explications sur les faux papiers fournies par l’accusé, son témoignage était toutefois confus. Ce dernier a expliqué que KHARKHACH lui commandait peu de faux papiers et que leurs faux papiers servaient essentiellement à des personnes souhaitant passer des frontières ou en situation irrégulière. Il a cependant indiqué avoir noté l’étrangeté des photos et l’empressement de KHARKHACH pour avoir ces faux papiers.
Concernant les autres témoins de personnalité, dont son épouse, tous ont souligné sa grande gentillesse et naïveté. Pour tous, il ne savait pas à quoi il participait, notamment car il connaissait très peu Khalid EL BAKRAOUI. Pour son épouse, qui l’aidait parfois dans le trafic de faux papiers, KHARKHACH n’était pas inquiet et ne savait rien de la radicalisation de EL BAKRAOUI, il n’a commencé à s’inquiéter qu’en le reconnaissant lors des attentats de Bruxelles.
Salah ABDESLAM (mardi 15 et mercredi 16 mars) :
Il a d’abord tenu à déclarer qu’il voulait aider ses « frères » à passer en Europe pour fuir la guerre en Syrie, qu’ils soient de l’EI ou non, comparant la situation à celle de l’Ukraine actuellement. Il aidait simplement et donc ne discutait pas avec les personnes qu’il a pu ramener, ne demandant même pas leur nom, ce qui était la consigne. Il a justifié le caractère clandestin de ces voyages par le fait que c’était une entrée illégale en Belgique et qu’il pensait être dans l’illégalité car il ignorait qu’ils étaient Européens.
Il a contesté avoir effectué le premier voyage (HADFI / AKROUH) et le troisième (commando du Bataclan), mais a reconnu avoir fait le deuxième (LAACHRAOUI / BELKAID) et le quatrième (KRAYEM / AYARI /DARIF), n’évoquant pas spécialement le cinquième hormis sur la location du véhicule.
Par ailleurs, il a refusé de dire à la demande de qui il avait loué les véhicules pour tous ces voyages, fait les voyages ou encore qui lui avait donné l’argent pour les locations ou qui était coordinateur des voyages. Il a toujours refusé de donner des noms d’organisateur, disant qu’il ne parlait pas sur les morts, ou de passagers. Il a également refusé de répondre sur la téléphonie qui laissait penser à des transferts de passagers dans le véhicule de BAKKALI pour le convoyage final vers les planques.
Il a cependant concédé être allé dans le magasin d’artifices Magiciens du feu pour l’achat du dispositif de déclenchement de feux d’artifices pour une fête afin de rendre service à quelqu’un qui ne pouvait se déplacer. Il a en revanche contesté être allé chez Irrijardin pour l’achat d’oxygène actif (composé du TATP), bien qu’il ait loué le véhicule ayant servi à ce déplacement.
Enfin, il a tenu à dédouaner AMRI qui lui a rendu service pour la location du véhicule du cinquième voyage, le louant à sa place car il avait eu une altercation avec le loueur.
Il a conclu son propos en disant qu’on attendait de lui des réponses qu’il n’avait pas car c’était le seul survivant, mais qu’il faisait de son mieux pour répondre aux victimes même s’il n’était pas toujours à la hauteur.
Mohamed AMRI (mercredi 16 mars) :
Il a reconnu avoir accompagné ABDESLAM pour la location de certains véhicules et en avoir loué un à sa place car ce dernier avait eu des soucis avec le loueur précédemment (dégâts imputés à tort sur dépôt de garantie) et qu’il n’avait pas son permis. Ce grand nombre de location ne l’a pas interpellé car tout le monde roulait en location dans le quartier. Quant au fait de louer un véhicule pour Salah ABDESLAM, il a rappelé se sentir redevable envers son frère Brahim (travail et voiture qu’il lui avait vendu peu cher), donc par extension envers Salah.
Osama KRAYEM (jeudi 17 mars) :
Il a gardé le silence et refusé de s’exprimer comme depuis de long mois et de prendre un casque de traduction pour écouter les questions qui lui auraient été posées.
Sofien AYARI (jeudi 17 mars) :
Il a gardé le silence en justifiant son choix par le fait qu’il allait se défendre comme un acharné pour prendre une longue peine et qu’il a remarqué que « ceux qui parlent dans ce procès sont accusés de se plaindre ».
Yassine ATAR (jeudi 17 mars) :
Il a dénié avoir accompagné son cousin Ibrahim EL BAKRAOUI à l’aéroport pour son départ en Grèce (deuxième tentative de rejoindre la Syrie ndlr.) et avoir rencontré son autre cousin Khalid EL BAKRAOUI dans la planque de Verviers.
Mohamed ABRINI (mardi 22 mars) :
Son interrogatoire a amené une révélation comme un véritable coup de théâtre, sur laquelle il a promis de s’expliquer lors de son prochain interrogatoire : il aurait dû faire partie du commando du 13 novembre 2015. Il a indiqué qu’il dirait pourquoi il n’avait finalement pas été choisi, mettant cela en corrélation avec son désistement des attentats de Bruxelles où il n’a pas pu se résoudre à se faire exploser.
Autre révélation, il aurait rencontré ABAAOUD deux fois, dont une fois la veille des attentats (12 novembre) mais ils n’en auraient pas parlé, bien qu’il savait qu’il était là pour ça.
Sur le reste, il a contesté avoir loué une planque ou cache. Son numéro de téléphone a pu se retrouver sur un contrat de location de voiture car c’était une pratique de mettre plusieurs numéros si le locataire ne répondait pas afin que le loueur sache si la location allait être prolongée. Pour l’utilisation de son téléphone pour la location d’une planque, il a supposé que DAHMANI s’était servi de son téléphone. Il a par ailleurs contesté avoir fait le voyage chez Irrijardin d’achat d’oxygène actif (composé du TATP).
Il a enfin reconnu avoir fréquenté plusieurs des caches et y avoir vu des armes mais uniquement après les attentats, n’ayant eu que connaissance de leur existence avant les faits.
Mohamed BAKKALI (mardi 22 mars) :
Il a gardé le silence et refusé de s’exprimer.
Abdellah CHOUAA (vendredi 25 mars) :
Il a nié avoir servi de voiture ouvreuse pour le déplacement à Charleroi du 2 octobre 2015, expliquant sa présence sur place (à proximité d’une planque), corroborée par le bornage téléphonique, par sa possible rencontre avec une fille, indiquant qu’il fréquentait assidûment les sites de rencontre à cette période bien qu’aucun élément d’enquête ne le confirme. Son Conseil a souligné que ses écoutes n’avaient rien donné et qu’il n’aurait pas été malin de faire ce déplacement avec son propre véhicule.
Compte-rendu d'audience du 23 au 28 mars 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les témoignages des enquêteurs belges et de la section antiterroriste française sur les ultimes préparatifs des attentats sur la période du 7 au 13 novembre 2015, à savoir :
- Le plan des attentats de la cellule terroriste (ordinateur de la rue Max Roos) et déplacement de KRAYEM et AYARI à l’aéroport d’Amsterdam Schiphol (mercredi 23 mars) ;
- Location des véhicules et des planques en France, achat de puces téléphoniques et départs vers la France (jeudi 24 mars) ;
- Location des planques en France (suite), retour de Mohamed ABRINI en Belgique et déroulement de la journée du 13 novembre (lundi 28 mars).
Quelques témoins ont également été entendu le vendredi 25 mars.
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par des témoignages des enquêteurs belges particulièrement techniques et détaillés, aussi seul l’essentiel des points exposés seront abordés dans le présent compte rendu.
Un élément important est à noter : Brahim ABDESLAM était omniprésent dans cette phase des derniers préparatifs alors qu’il n’apparaissait pas dans les préparatifs précédents.
La planification des attentats
A titre liminaire, il convient d’indiquer que la planque de la rue Max Roos est celle dont sont partis les frères EL BAKRAOUI, ABRINI et LAACHRAOUI pour commettre les attentats de Bruxelles le 22 mars 2016. C’est à proximité de cette planque, plus précisément dans une benne à ordures, qu’a été retrouvé l’ordinateur dit de la rue Max Roos qui contenait l’ensemble de la planification des attentats de la cellule franco-belge. Il contenait un logiciel de cryptage et avait été utilisé par les dirigeants de cette cellule, à savoir les frères EL BAKRAOUI et Najim LAACHRAOUI.
Cet ordinateur a été exploité autant que faire se peut, de nombreux fichiers ayant été endommagés ou effacés, et a fait apparaître les dossiers suivants concernant les attentats :
- Un dossier « explosifs » créé le 18 octobre 2015 avec la formule du TATP ;
- Un dossier « targets » du 12 octobre 2015 contenant les mentions :
- Jeunesse catholique, royaliste, punk ;
- Petit peuple ;
- Éducation ;
- Aristocratie – Bourgeoisie ;
- Défense.
- Un dossier « 13 novembre » créé le 7 novembre 2015 contenant les sous-dossiers :
- « Groupe français » avec une photo du Bataclan ;
- « Groupe irakien » (Stade de France) ;
- « Groupe Omar » (faisant supposément référence à ABAAOUD et au commando des terrasses) ;
- « Groupe métro » ;
- « Groupe Schiphol ».
Dans cet ordinateur a également été retrouvé un fichier de visite virtuelle du Bataclan consulté les 7 et 10 novembre, des vidéos de morts « en martyrs » et plusieurs images aériennes du Stade de France.
Par ailleurs, d’autres repérages auraient été faits d’après les conclusions des enquêteurs puisqu’ils ont retrouvé des recherches sur une carte des lycées militaires en France, la Tour Eiffel ou encore l’Euro de foot, mais sans certitude.
L’élément le plus important à retenir est que le Bataclan a été choisi pour cible le 7 novembre 2015, tandis que les autres lieux ont été déterminés le 10 novembre si l’on se réfère à la date de création des dossiers.
Les attentats avortés
Deux sous-dossiers du dossier « 13 novembre » font référence à des attentats avortés : le « groupe métro » et le « groupe Schiphol ».
Concernant le « groupe métro », les enquêteurs belges n’ont aucune information quant à l’échec de ce projet, bien qu’ils aient avancé l’hypothèse que l’arrestation d’USMAN et HADDADI avait empêché la réalisation de cet attentat et amené la cellule franco-belge à revoir ses plans en réduisant le nombre de cibles.
Concernant le projet avorté à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, celui-ci devait être réalisé par KRAYEM et AYARI. A partir des déclarations de ces derniers en procédure, parfois contradictoires, les enquêteurs belges ont établi que des allers simples leur avaient été réservés pour se rendre à Amsterdam. Sur place, KRAYEM devait aller vérifier s’il existait des consignes au sein de l’aéroport de Schiphol sans savoir dans quel but. Il ne les aurait pas trouvées (il a fait tous les étages sauf le sous-sol où elles se trouvaient). Il en aurait alors informé Khalid EL BAKRAOUI qui aurait dès lors supposément laissé tomber le projet. KRAYEM et AYARI ont indiqué que c’était un simple voyage de reconnaissance, sans armes ni explosifs, mais qu’ils ignoraient les projets de EL BAKRAOUI pour ce lieu.
La location des véhicules
Les véhicules ayant servi à se rendre en France ont tous été loués le 9 novembre 2015. Salah ABDESLAM et Mohamed ABRINI ont loué la Clio et la Polo avec de vrais papiers (permis et carte d’identité) mais un numéro de téléphone dédié, tandis que Brahim ABDESLAM a loué la Seat Leon avec ses vrais papiers et téléphone (il a été déposé par AMRI à cet effet à l’agence de location).
La location des planques en France
Le pavillon de Bobigny était réservé le 9 novembre 2015 pour une période du 10 au 17 novembre 2015. Le 10 novembre 2015, Brahim ABDESLAM faisait un aller-retour en France avec ABRINI pour prendre les clés du pavillon de Bobigny. Il faisait l’état des lieux, récupérait les clés et payait la location en liquide vers 23 heures.
Puis, tous deux se rendaient le 11 novembre 2015 à 1 heure du matin dans un hôtel du Blanc-Mesnil pour tenter de louer des chambres mais leur carte bancaire était refusée.
Enfin, ils se rendaient dans un appart-hôtel d’Alfortville et louaient deux chambres du 11 au 17 novembre.
L’enquête n’aura pas su déterminer pourquoi les réservations effectuées allaient jusqu’au 17 novembre.
Des traces d’ADN, d’explosifs et de préparation des gilets seront retrouvées dans ces planques
Les lignes téléphoniques dédiées
Le 11 novembre 2015, 14 puces téléphoniques étaient achetées spécialement pour les attentats. Celles-ci ont permis de déterminer quels numéros étaient les « coordinateurs » restés en Belgique et quels numéros étaient les « auteurs » en France.
Pour exemple, Khalid EL BAKRAOUI a été identifié comme coordinateur d’après l’activité de sa puce téléphonique, mais pas les frères ABDESLAM.
On remarquera par ailleurs un schéma classique de prise d’instructions : la planque d’Alfortville appelait la Belgique, qui appelait ensuite la planque de Bobigny, les numéros en Belgique étant donc ceux des coordinateurs.
Voyage vers la France
Le 12 novembre 2015, vers 3 heures du matin, les frères ABDESLAM et ABRINI récupéraient les véhicules Seat Leon et Clio. Ils se rendaient alors dans la planque de Charleroi où se trouvaient ABAAOUD, AKROUH et les deux Irakiens du Stade de France. Puis, avec la Polo qui était à la planque de Jette, les véhicules prenaient la route de la France dans l’après-midi du 12 novembre.
Il est supposé que la composition des voitures était la suivante :
- Seat Leon : ABAAOUD, AKROUH et les 2 Irakiens du Stade de France ;
- Clio : les frères ABDESLAM et ABRINI ;
- Polo : commando du Bataclan (AMIMOUR, MOSTEFAÏ, MOHAMED-AGGAD) et HADFI (qui a changé de planque au dernier moment dans la soirée du 12 novembre, donc probablement changement de plan, il ne devait pas faire partie du Stade de France à la base).
Le premier véhicule à arriver en France est la Polo, suivie par la Clio puis la Seat Leon.
Dans la journée du 13 novembre, il semble que la Clio ait fait des repérages des lieux des attentats dans le 11ème arrondissement. Un passage près de Roissy a également été noté sans qu’il n’ait pu être expliqué.
Il est à noter qu’HADFI aurait changé de planque dans la nuit du 12 au 13 novembre (d’Alfortville à Bobigny). Les enquêteurs ont supposé qu’il devait initialement faire partie du commando du Bataclan, sans que l’on sache la raison de ce changement pour le commando du Stade de France. Il a cependant été supposé qu’il a remplacé ABRINI au pied levé car son déplacement correspond au départ d’ABRINI vers la Belgique d’après les données téléphoniques.
Concernant ABRINI, il expliquera sa présence comme un adieu pour le « dernier voyage » de ses amis (sachant qu’il a récemment révélé qu’il aurait dû faire partie du commando lors de son interrogatoire du 22 mars 2022 et que le bailleur du pavillon de Bobigny a entendu une discussion où Brahim ABDESLAM lui avait dit quelle chambre des six serait la sienne, ce qui laisse entendre qu’il devait rester ndlr.).
Il a par ailleurs précisé qu’une des voitures contenait un brouilleur, les enquêteurs belges ayant supposé que c’était pour cacher la présence des armes et explosifs récupérés dans la planque de Charleroi (ABRINI ayant dit avoir vu des sacs et des valises ndlr.).
Le concernant, il rentrera en Belgique dans la nuit du 12 au 13 novembre 2015 en prenant un taxi près d’un restaurant à Noisy-le-Sec (à 2 kilomètres de la planque de Bobigny). Ces conditions de départ ont été jugées comme démontrant qu’il était imprévu et qu’ABRINI aurait bien dû faire partie des commandos.
Les témoins
Un des témoins entendus, condamné dans un dossier parallèle à celui des attentats, connaissait BAKKALI mais a contesté que celui-ci lui ait demandé de trouver des armes ou munitions. C’est Khalid EL BAKRAOUI qui lui avait demandé de trouver des chargeurs de kalachnikov uniquement (qui sont en vente libre en Belgique) pour « une œuvre d’art », mais il a admis avoir menti car il avait peur et il savait que s’il parlait ce dernier lui aurait « mis une balle dans la tête ». Il a également indiqué qu’aucune radicalisation n’était visible chez ce dernier et qu’il croyait qu’il s’était rangé en sortant de prison.
Cependant, un autre témoin a affirmé, lui, que BAKKALI lui avait demandé de lui trouver des armes pour des personnes qui voulaient faire un braquage à Bruxelles. Ce dernier lui a dit qu’il ne connaissait personne et n’a rien fait en ce sens, mais il a tout de même été inquiété dans un dossier parallèle.
Enfin, un dernier témoin a confirmé qu’aucune radicalisation n’était visible chez les EL BAKARAOUI et qu’il ne comprenait pas ce que Yassine ATAR faisait là.
Compte-rendu d'audience du 4 au 8 avril 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les témoignages des enquêteurs belges et de la Sous-direction antiterroriste sur :
- La fuite de Salah ABDESLAM et son interpellation (lundi 4 avril et mercredi 6 avril) ;
- Les contacts et aides entre les différents protagonistes des attentats entre le 13 et le 18 novembre (mardi 5 avril) ;
- Les cavales de Mohamed ABRINI, Osama KRAYEM et Sofien AYARI et leurs interpellations, ainsi que la fuite d’Ahmed DAHMANI (mercredi 6 avril) ;
- Les fichiers informatiques et documents retrouvés en lien avec le 13 novembre (mercredi 6 avril) ;
- Le complément d’informations de la Juge d’instruction belge PANOU (jeudi 7 avril) ;
- La fuite et la neutralisation d’Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH (vendredi 8 avril).
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par les derniers témoignages de la police fédérale belge, ce qui a entraîné de nombreuses frictions lors des questions de la Défense. Le témoignage de la juge d’instruction belge PANOU, particulièrement exhaustif, a eu le même effet en ce que la Défense a eu le sentiment qu’elle présentait le travail des enquêteurs belges comme étant exempt d’erreurs ou approximations, amenant à un débat particulièrement tendu. Enfin, il y a eu le témoignage particulièrement attendu de Soraya MESSAOUDI, dite Sonia dans les médias, qui a permis l’interpellation d’ABAAOUD.
La fuite de Salah ABDESLAM
Selon les enquêteurs belges et de la Sous-direction antiterroriste, la fuite de Salah ABDESLAM est apparue comme ayant été complètement improvisée. Il a abandonné son véhicule Clio dans le 18ème arrondissement vers 22h (mal garé sur la chaussée comme abandonné dans la précipitation suite à une panne mais aucune expertise n’a été faite sur le véhicule ndlr.) et a acheté une puce de téléphone avant supposément d’emprunter la ligne 4 du métro parisien jusqu’à Montrouge où il a abandonné sa ceinture d’explosifs. Il a alors contacté Mohammed AMRI pour que ce dernier vienne le chercher en arguant d’une panne de voiture, ce qu’il ne pouvait faire dans l’immédiat puisqu’il travaillait au Samu social cette nuit-là, c’est pourquoi il lui a donné le contact d’Hamza ATTOU. Les trois se sont alors organisés par de nombreux échanges téléphoniques afin d’aller récupérer Salah ABDESLAM à la fin du travail d’AMRI, ce dernier attendant à Châtillon caché dans une cage d’escalier, endroit où il rencontrera les adolescents avec qui il discutera de tout et de rien durant deux heures et demie.
AMRI et ATTOU sont donc allés récupérer Salah ABDESLAM vers 5h40 en faisant l’aller-retour avec la Belgique. Ils ont tous deux indiqué qu’il pleurait et était dans un grand état de nervosité, il a parlé de la mort de son frère et des attentats et aurait menacé de faire sauter la voiture s’ils ne le ramenaient pas, ce qu’ils ont fait car ils avaient vraiment peur devant sa panique.
Sur le chemin du retour, ils ont été contrôlés trois fois par les forces de l’ordre. Ils sont arrivés en Belgique vers 10 heures le 14 novembre. Dès son arrivée à Laeken, Salah ABDESLAM a acheté des vêtements, s’est changé, est allé chez le coiffeur et a acheté un téléphone. AMRI est alors parti et Ali OULKADI a rejoint ABDESLAM et ATTOU dans un Café. ABDESLAM a alors demandé à OULKADI de la conduire à Schaerbeek (lieu d’une planque ndlr.), ce que ce dernier a accepté de faire car il pensait qu’il était une victime des agissements de Brahim.
Ils ont quitté Laeken à 14h et il a déposé ABDESLAM à l’angle d’une rue après que ce dernier lui a fait ses adieux. ABDESLAM a ensuite rejoint la planque à pied.
Il est à noter que la Défense de Salah ABDESLAM a particulièrement insisté sur l’absence d’expertise du véhicule Clio qui aurait pu corroborer la panne avancée par ce dernier à AMRI et ATTOU. Également, pour prouver son désistement volontaire qui est remis en cause par l’accusation en raison de la défectuosité de sa ceinture d’explosifs, elle a insisté sur le fait qu’un couteau exempt de toute défectuosité était présent dans le véhicule et qu’il aurait pu s’en servir pour commettre un attentat en lieu et place de sa ceinture si telle avait été son intention.
La suite des attentats (cavales, planques, réorganisation de la cellule, arrestations)
Plusieurs protagonistes se sont repliés sur la planque de la Rue Henri Berger à Schaerbeek, à savoir :
- Mohamed ABRINI, arrivé le 14 novembre entre 20h et minuit (avant il a effectué quelques activités banales avec sa compagne et il a demandé à son frère de cacher un ordinateur et ses vêtements de Paris ndlr.) ;
- Salah ABDESLAM, arrivé dans l’après-midi du 14 novembre ;
- Osama KRAYEM ;
- Sofien AYARI.
Étaient également présents Mohamed BELKAÏD et Najim LAACHRAOUI.
Khalid EL BAKRAOUI est ensuite venu récupérer AYARI, KRAYEM et BELKAÏD pour les conduire dans une planque à Jette.
ABRINI indiquera que c’est à partir de ce moment-là que la cellule s’est réorganisée pour préparer les attentats de Bruxelles. Le plan était déjà prévu selon lui, mais pas dans l’immédiat car la France et la Belgique étaient en état d’alerte.
Dans les jours suivants, AMRI, ATTOU, OULKADI, CHOUAA et BAKKALI seront arrêtés. Il est à noter à l’égard de BAKKALI que les enquêteurs belges ont souligné que, connaissant la plupart des planques où se sont repliés les membres de la cellule, il aurait pu empêcher la survenance des attentats de Bruxelles-Zaventem s’il avait parlé lors de ses deux auditions avant ces derniers.
Comme déjà indiqué, les attentats de Bruxelles ont été précipités par deux évènements marquants :
- La perquisition à Forest Rue du Dries le 15 mars 2016 où BELKAÏD a trouvé la mort tandis qu’ABDESLAM et AYARI parvenaient à s’enfuir ;
- L’interpellation d’ABDESLAM et AYARI le 18 mars 2016.
Quant à Ahmed DAHMANI, son exfiltration de Belgique a été organisée les 13 et 14 novembre par Obeida Aref DIBO (accusé présumé mort et haut gradé de l’EI ndlr.). Un voyage vers la Turquie était réservé le 13 novembre dans l’après-midi et il passait sa dernière soirée au Café Time Out de Molenbeek pour faire ses adieux. Il prenait ensuite son vol vers la Turquie à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol et était filmé à son arrivée le matin du 14 novembre. Il prenait alors contact avec DIBO qui le mettait en relation avec ses cousins passeurs et faussaires et un troisième individu non identifié. Les cousins de DIBO étaient arrêtés, ce qui amenait à l’interpellation de DAHMANI à 19 heures à son hôtel. Il était trouvé avec des faux papiers et deux téléphones ayant permis de retracer les étapes de son exfiltration, ainsi que les instructions qui lui avaient été données (détruire son passeport belge, ne pas attirer l’attention, dire qu’il était Syrien).
Les fichiers informatiques et documents retrouvés en lien avec le 13 novembre
Les perquisitions de la Rue Max Roos, dernière planque de la cellule avant les attentats de Bruxelles, et de la Rue du Dries à Forest ont permis aux enquêteurs de retrouver des fichiers informatiques et documents en lien avec le 13 novembre.
Dans l’ordinateur de la Rue Max Roos (déjà évoqué dans les précédents comptes rendus ndlr.), un fichier audio créé ente le 13 et le 15 mars 2016 s’est avéré particulièrement intéressant. Khalid EL BAKRAOUI et Najim LAACHRAOUI correspondaient avec Oussama ATAR pour lui demander la marche à adopter désormais. Ainsi, ils évoquaient la fabrication d’explosifs, la stratégie à adopter sur le court et long terme (évocation de l’Euro de foot et de la possibilité d’enlever des personnalités pour obtenir la libération de « frères » en prison ndlr.), les instructions à donner aux « frères » en France et comment les former, la nécessité de prévoir des planques de repli pour que ce qui était arrivé à ABAAOUD et AKROUH ne se reproduise pas, ou encore les raisons des attaques qui seront perpétrées à Bruxelles. Il est à noter qu’il y a l’évocation d’ABRINI qui passe le bonjour à un membre de l’EI, BAZAROUJ, qui l’a aidé pour son voyage en Syrie.
Une clé USB a également été retrouvée chez EL HADDAD ASUFI contenant de nombreux fichiers audios d’Ibrahim EL BAKRAOUI. Dans l’un d’entre eux, adressé à son cousin Yassine ATAR (mais on ne sait pas s’il l’a reçu ndlr.), il le remerciait pour tout ce qu’il avait fait et l’enjoignait de prendre les armes ou de rejoindre l’EI en espérant qu’il les « rejoigne au Paradis », disant qu’il allait lui laisser une dernière instruction par l’intermédiaire qui lui remettrait le message. Il indiquait également qu’il ferait un message de soutien à BAKKALI pour le dédouaner, fichier effectivement retrouvé à l’attention de l’Avocat de ce dernier.
Concernant les documents retrouvés Rue Max Roos et Rue du Dries, certains sont à noter :
- Une lettre du 20 mars 2016 de Khalid EL BAKRAOUI qui intime à ABRINI de ne pas rater une deuxième fois l’entrée du Paradis en martyr ;
- Une lettre du 2 février 2016 d’ABRINI à sa famille où il révèle son voyage en Syrie et avoir voulu voir si l’EI était dans le vrai après la mort de son frère, ce qui était le cas, son « combat » étant légitime et même obligatoire. Il rappelait également son allégeance et justifiait les attentats du 13 novembre ;
- Une lettre du 11 mars 2016 adressée à une certaine Nawal qui explique que maintenant elle comprend qu’il est « revenu du Sham pour frapper fort » (peut-être d’ABRINI ou de Khalid EL BAKRAOUI car le prénom de leurs compagnes respectives est Nawal ndlr.) ;
- Un contenu effacé attribué à Salah ABDESLAM où il explique qu’il aurait voulu mourir avec ses frères mais que sa ceinture avait un défaut, qu’il ne pouvait partir en Syrie car il devait « travailler» avec son frère et ne pas être « grillé » pour cette raison. Enfin, il indiquait avoir renouvelé son « intention », ce qui laissait entendre que son implication dans le 13 novembre était volontaire ;
- Trois lettres manuscrites de Salah ABDESLAM à sa mère, sa sœur et sa compagne où il évoque à chaque fois son allégeance et son engagement volontaire à servir « la cause » ainsi que les justifications « classiques » des attentats.
Les précisions apportées par la Juge d’instruction belge PANOU
La Juge d’instruction du volet belge a été invitée à revenir pour apporter son éclairage sur les révélations ayant pu intervenir à ce stade du procès.
Concernant les révélations d’ABRINI sur le fait qu’il aurait dû faire partie des commandos du 13 novembre et qu’il avait été remplacé au dernier moment par Salah ABDESLAM, elle s’est dite extrêmement surprise car la cellule, surtout ABAAOUD, ne pouvait pas laisser quelqu’un d’aussi bien informé vaquer tranquillement à ses occupations, comparant cette situation avec la situation totalement inverse du vent de panique qui a entraîné une réorganisation en urgence de la cellule après une défection dans l’attentat du Thalys. Quant au fait d’avoir seulement accompagné les membres du commando pour des adieux, elle a rappelé qu’il avait eu largement le temps de faire ceux-ci dans la planque de Charleroi la veille.
Elle a également insisté sur le fait qu’ABRINI faisait partie de ces personnes installées dans une radicalité constante qui ne feraient jamais défection, qui étaient des candidats sérieux et que l’on n’est pas allés chercher sans raisons, rappelant son basculement décrit par beaucoup à la mort de son frère bien avant novembre 2015. Il aurait d’ailleurs dit sur son voyage en Syrie y être allé à 95% pour aller sur la tombe de son frère et à 5% pour combattre.
Dès lors, elle a attribué sa renonciation au seul fait qu’il est un être humain qui a été placé face à un choix difficile qui amène forcément des hésitations, ce qui ne remet pas en question le fait qu’il ait été « appelé par la cause ».
Elle a réitéré sa surprise face aux déclarations de Salah ABDESLAM à l’audience car sa radicalisation était à nouveau ancienne et établie à fin 2014 pour elle (déclarations de sa compagne, visionnage des vidéos de propagande, discussions Skype avec ABAAOUD, départ de Brahim connu de tiers à la famille et donc forcément connu de la famille à selon elle). Elle a estimé que ses actes de participation n’étaient pas juste avant les attentats, évoquant le fait d’avoir conduit son frère à l’aéroport et d’être venu le récupérer lors de son voyage en Syrie, la présence de son numéro de téléphone sur le bail de la planque de Tournai, le voyage aux Magiciens du feu alors que les dispositifs de feu d’artifice se trouvent partout en Belgique, son voyage en Grèce de seulement trois jours ou encore les voyages qu’il a reconnu devant elle de convoyage des assaillants qu’il conteste aujourd’hui. Elle a également évoqué le fait qu’il ait passé 20 heures en voiture avec ABAAOUD donc qu’ils ont forcément discuté, ou encore qu’il fréquentait les mêmes mosquées que LAACHRAOUI.
En résumé, pour elle, les déclarations d’ABDESLAM ne sont absolument pas crédible au regard de ces éléments. D’autant plus que, à son sens, son frère Brahim était en préparation des attentats dès janvier 2015 (voyage en Syrie, vente de sa voiture, diverses locations).
Concernant les déclarations de Farid KHARKHACH selon lesquelles la police et elle-même auraient fait pression sur lui pour qu’il avoue, avec la complicité de son avocate commise d’office qui aurait même menacé de le gifler, la Juge d’instruction s’est montrée outrée par le scénario avancé, rappelant qu’un contrôle de légalité de son instruction pouvait être demandé à tout moment par ses Avocats.
Elle a balayé avec agacement les propos de KHARKHACH selon lequel il aurait notamment subi des pressions, en rappelant que les interrogatoires n’étaient pas filmés en Belgique et qu’aucune poursuite disciplinaire n’avait été engagée à son encontre ou de l’Avocate de KHARKHACH, que ce dernier comprenait le français et aurait pu faire usage de son droit au silence, concluant qu’il était d’ailleurs le seul qu’elle n’ait jamais vu autant s’expliquer en 15 ans.
Sur les explications de Mohammed BAKKALI concernant le box d’Etterbeek qu’il a dit avoir loué pour son commerce, elle a balayé celles-ci en rappelant qu’aucun stock d’électroménager (activité avancée) n’y avait été retrouvé et que son bailleur et associé était immédiatement rentré en clandestinité après l’arrestation de BAKKALI, abandonnant femme et enfants, ce qui laissait supposer de la réalité de l’utilisation de ce box.
Enfin, elle a apporté quelques précisions : concernant la législation sur les armes, elle a confirmé qu’acheter des chargeurs de kalachnikov n’était pas une infraction à l’époque, tenant cependant à préciser que Bruxelles n’était pas la plaque tournante du trafic d’armes présentée dans les médias. Elle a par ailleurs révélé qu’un autre ordinateur avait été trouvé avec celui de la Rue Max Roos par les éboueurs, mais qu’il était tant abîmé qu’ils n’ont pas pensé à le récupérer et il n’a jamais pu être retrouvé malgré de nombreuses recherches.
La Défense n’a pas manqué de tenter de nuancer les propos de cette Juge d’instruction, voire de tenter de mettre à mal son instruction. Ainsi, ont été évoqués pour exemple la non-communication de certaines pièces du dossier, l’absence d’indices suffisants à l’encontre de Yassine ATAR, ou encore l’accès à l’entièreté du dossier seulement en juillet 2021 au vu des délais de copie durant lesquels d’autres actes étaient faits.
La Défense de Salah ABDESLAM a enfin pointé le fait que les propos de la Juge constituaient un retour en arrière en septembre alors que, selon elle, des manquements flagrants de la part des enquêteurs belges ont été mis en lumière au cours du procès, regrettant donc l’absence de remise en question de celle-ci dans ses propos et son « manque d’humilité ». De nombreux mouvements d’humeurs dans la ligne de ces propos ont eu lieu lors des interventions de la Défense face à une attitude considérée comme trop sûre d’elle de la part de la Juge d’instruction.
La fuite d’ABAAOUD et AKROUH et leur neutralisation
La fuite d’ABAAOUD et AKROUH a pu être retracée grâce aux informations données par Soraya MESSAOUDI ainsi qu’aux téléphones retrouvés après l’assaut.
Le témoignage de Soraya MESSAOUDI a tout d’abord permis de savoir qu’ABAAOUD était bien en Europe puisque jusqu’ici il était considéré comme étant sur zone. Il aurait expliqué être venu vérifier la bonne mise en place de ses hommes (également d’empêcher les défections ndlr.).
ABAAOUD et AKROUH ont abandonné leur véhicule à Montreuil vers 22 heures le soir du 13 novembre pour prendre la ligne 9 du métro parisien. Cela n’a pu être expliqué, notamment au regard du fait qu’un armement non utilisé était présent dans le véhicule, comme des couteaux particulièrement effilés. De surcroît, le trajet retracé du véhicule est apparu comme étant particulièrement erratique et la ligne téléphonique d’ABAAOUD est devenue une ligne de vie et non plus une ligne conspirative peu active. Enfin, qu’ABAAOUD se retrouve dans un buisson à Aubervilliers et doive faire appel à sa cousine qui a un profil aux antipodes du sien (consommatrice d’alcool et de stupéfiants) montre bien que quelque chose a dysfonctionné (une précédente tentative d’exfiltration par une autre jeune femme avait échoué). Il est à noter que les coordinateurs belges ont fait appel à Hasna AÏT BOULAHCEN car un mariage était prévu entre elle et son cousin à l’origine (annulé par la famille d’ABAAOUD en raison de sa différence de rang social) et elle était amoureuse de lui selon les déclarations de son frère, éléments s’ajoutant à sa radicalisation et ses contacts de longue date avec des jihadistes membres de l’EI.
Il est supposé que l’évènement ayant entraîné cette désorganisation puisse être l’échec de l’attaque du Stade de France, la fuite de Salah ABDESLAM ou encore l’attentat avorté à Amsterdam-Schiphol, notamment eu égard au fait que le véhicule a semblé se diriger vers Roissy-Charles de Gaulle peut-être pour faire un attentat, mais il se serait perdu dans l’échangeur de Bagnolet.
Il est à souligner en tout état de cause qu’ABAAOUD et AKROUH n’ont pas été exfiltrés par la cellule belge qui avait leur position, ce qui laisse entendre qu’ils ont été maintenus en clandestinité pour commettre un nouvel attentat.
Concernant sa traque, elle s’est déroulée ainsi :
- Le 16 novembre, aux alentours de 14h, Soraya MESSAOUDI contactait les services de police après plusieurs tentatives car elle n’était pas crue. Elle expliquait héberger Hasna AÏT BOULAHCEN qui avait été contactée pour prendre en charge son cousin qu’elle avait décrit comme un mineur à la rue. Elle communiquait le numéro de téléphone d’ABAAOUD qui permettait sa localisation.
- Lors de son audition ce même jour à 18h30, Soraya MESSAOUDI expliquait que Hasna AÏT BOULAHCEN avait reçu un appel d’un numéro belge pour aller récupérer « un frère » contre 5.000 euros. Elle l’avait accompagnée en voiture avec son compagnon au point de rendez-vous près du buisson car cette dernière n’avait pas de véhicule. ABAAOUD aurait dit à sa cousine avoir besoin d’argent, d’un logement et d’une tenue type costume (pour mieux se fondre dans la masse à la Défense, attentat projeté). Il parlera également de nouvelles attaques qu’il projette comme des écoles, des transports ou des quartiers juifs. Il expliquera également être venu par la route des migrants.
- Soraya MESSAOUDI était relâchée avec des consignes de sécurité car Hasna AÏT BOULAHCEN se méfiait d’elle tandis qu’elle cherchait un logement pour ABAAOUD. Pour ce faire, cette dernière sera en contact permanent avec un des numéros coordinateurs belges et recevra des mandats cash. Elle mobilisera également tout son réseau, notamment son dealer SOUMA qui la mettra en contact avec Jawad BENDAOUD qui lui fournira un appartement squatté dans une résidence Rue du Corbillon à Saint-Denis.
- Une surveillance était également mise en place concernant Hasna AÏT BOULAHCEN dans les 36 heures, délai incompressible en raison des autorisations nécessaires.
- Le 17 novembre, Soraya MESSAOUDI recontactait les services de la SDAT en indiquant qu’elle avait entendu dans une conversation entre Hasna AÏT BOULAHCEN et ABAAOUD que ce dernier projetait un attentat à la Défense le 18 novembre. Il aurait également été fait mention qu’ABDESLAM aurait rejoint ABAAOUD dans le buisson « conspiratif » d’Aubervilliers.
- Plus tard dans la journée, Soraya MESSAOUDI indiquera à la SDAT avoir réussi à soutirer à Hasna AÏT BOULAHCEN, en la faisant boire sur leurs conseils, l’adresse de la planque de Saint-Denis et les codes d’accès. Elle précisera qu’il lui a été indiqué que 80 jihadistes pourraient être présents à cette adresse.
- Aux alentours de 20 heures, une surveillance permettait de voir Hasna AÏT BOULAHCEN rejoindre son cousin et AKROUH au buisson d’Aubervilliers, mais l’interpellation n’était pas possible en raison de la grande fréquentation à proximité. Ils prenaient la route de la cache de Saint-Denis où ils arrivaient vers 22h40.
- L’intervention pour interpellation était organisée avec précaution dans l’ignorance de savoir de quels armements ils disposaient, l’impossibilité de reconnaissance des lieux et la volonté d’éviter tout dégât humain. Celle-ci débutait le 18 novembre à 4h20 et durait jusqu’à midi en raison d’un échange de feu nourri et de l’utilisation d’explosifs.
- Les constations débutaient le 19 novembre à 2 heures car l’immeuble était en péril (risque d’effondrement) et avait dû être solidifié. Celles-ci permettaient de confirmer les décès d’AÏT BOULAHCEN, ABAAOUD et AKROUH.
- De nombreuses personnes avaient été placées en garde à vue, dont Soraya MESSAOUDI pour écarter tout risque, notamment eu égard à la déclaration de la présence de nombreux jihadistes dans l’immeubles. Tous étaient relâchés et Soraya MESSAOUDI était placée en sous protection.
Concernant le témoignage de Soraya MESSAOUDI, cette dernière a apporté quelques précisions :
- Elle hébergeait Hasna AÏT BOULAHCEN car elle l’avait connue via des associations et l’avait déjà hébergée auparavant quand elle était à la rue. Elle l’avait à nouveau hébergée à partir de novembre 2015.
- Le soir des attentats, elles regardaient ensemble le match de foot et Hasna avait rigolé en disant que les victimes étaient des « mécréants », elle l’avait alors reprise avec véhémence. Le lendemain, elles sont sorties manger à l’extérieur pour se changer les idées et c’est là que Hasna AÏT BOULAHCEN a reçu un appel d’un numéro belge pour aller chercher son cousin. Hasna a alors expliqué qu’il était mineur et à la rue, ce qui l’a convaincue de l’accompagner en voiture le chercher.
- C’est arrivée au point de rendez-vous qu’elle a compris que quelque chose n’allait pas, notamment quand Hasna AÏT BOULAHCEN a sauté dans les bras d’ABAAOUD en disant « Abdelhamid tu es vivant !». Elle a alors demandé à ABAAOUD qui il était et s’il avait participé aux attentats, ce qu’il a confirmé avec un regard froid et des propos choquants. Il lui a intimé l’ordre de ne pas parler de lui.
- Quand ils sont remontés dans le véhicule, ABAAOUD a menacé son compagnon, dont il ignorait la présence, avec une arme à feu, ce qui a fait rire Hasna AÏT BOULAHCEN. Elle a également constaté qu’il avait une ceinture d’explosifs sur lui. Il a reçu un appel d’un coordinateur belge qui a dit que s’il lui arrivait quoique ce soit, il arriverait la même chose à elle et ses proches.
Elle a indiqué n’avoir jamais compris pourquoi ABAAOUD s’était autant confié à elle, alors qu’elle l’avait traité d’assassin quand il avait avoué sa participation aux attentats. Elle suppose que c’est parce qu’elle est elle-même musulmane, mais peut-être aussi parce qu’il l’a traitée de mécréante et que Hasna AÏT BOULAHCEN a dit qu’ils étaient « les prochains sur la liste ».
En tout état de cause, elle a indiqué ne pas regretter ce qu’elle a fait car cela a permis de sauver des vies, même si cela a bouleversé sa vie et celle de ses proches et que de nombreuses séquelles subsistent à ce jour. Elle refuse d’ailleurs le statut de victime mais a un suivi psychologique régulier. Elle a enfin eu beaucoup de mal à accepter le programme de protection car, avant que la loi ne soit modifiée pour elle, celui-ci était nommé « programme des repentis » alors qu’elle n’avait aucune implication de près ou de loin avec le jihadisme et les attentats.
Compte-rendu d'audience du 12 au 15 avril 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les derniers interrogatoires des accusés sur la suite des attentats et les thèmes abordés dans le précédent compte-rendu.
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par le revirement de Salah ABDESLAM qui a consenti à s’expliquer très longuement pour livrer « sa vérité ». Il a fait de nombreuses révélations à l’occasion de ce dernier interrogatoire, expliquant que c’était la dernière fois qu’il pourrait s’exprimer et qu’il souhaitait le faire au mieux, notamment pour les victimes et pour montrer qu’il n’était pas le monstre que l’on présentait.
Il est à noter que KRAYEM, AYARI et BAKKALI ont choisi de persister dans leur silence jusqu’au bout, nous ne saurons donc jamais ce qu’il en était de l’attentat supposément avorté à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol concernant les deux premiers, ainsi que de l’étendue de la participation du dernier.
Les interrogatoires des accusés ayant pris en charge Salah ABDESLAM après les attentats (AMRI, ATTOU, OULKADI)
Mohammed AMRI (mardi 12 avril) : Le soir du 13 novembre, il travaillait au Samu Social. Il ignorait tout des attentats lorsque Salah ABDESLAM l’a appelé vers 22h30 d’un numéro français inconnu. Ce dernier lui a expliqué qu’il était « dans la merde » car il venait de « crasher » sa voiture en France (il n’a pas parlé de panne ndlr.) et il avait besoin qu’on vienne le chercher, le tout en pleurant, c’était d’ailleurs la première fois qu’il l’entendait pleurer depuis qu’il le connaissait. Il lui a répondu qu’il ne pouvait pas venir dans l’immédiat car il travaillait, ABDESLAM lui a demandé s’il connaissait quelqu’un d’autre qui pourrait l’aider, il a alors pensé à ATTOU et lui a donné son numéro. Dès lors, plusieurs échanges pour s’organiser entre les trois ont eu lieu.
Il ne savait pas comment ABDESLAM se souvenait de tête de son numéro et il s’est dit un peu inquiet quand il a appris pour les attentats de le savoir en France, mais ABDESLAM lui a répondu qu’il était loin de Paris.
A la fin de son travail à 2 heures du matin, il a demandé à ATTOU de venir avec lui chercher ABDESLAM, l’adresse leur ayant été envoyé par ce dernier par SMS. Il a rentré l’adresse dans son GPS sans faire attention au fait que c’était près de Paris, ce n’est qu’arrivé à Châtillon qu’il a fait le lien car il n’a pas prêté attention aux panneaux sur la route.
Il est revenu sur certaines de ses déclarations, à savoir qu’il avait déclaré sous pression qu’ATTOU lui avait demandé lors du trajet si ABDESLAM était impliqué dans les attentats, ou encore qu’il avait déclaré qu’ils étaient allés à Barbès car c’était la consigne d’ABDESLAM si on l’interrogeait, de dire qu’il était allé voir sa famille et qu’ils l’avaient récupéré là-bas.
Arrivés au McDonald’s de Châtillon près d’un HLM, ABDESLAM est arrivé à pied de nulle part et leur a dit qu’il les avait rejoints en taxi. Lorsqu’il est monté dans la voiture, il leur a avoué avoir menti, qu’il n’y avait pas eu d’accident et que les attentats c’étaient eux, qu’ils étaient un groupe de dix, sans donner plus de détails ni de noms à part celui de Brahim en disant qu’il ignorait s’il était mort. Il s’est par ailleurs débarrassé de la grosse doudoune qu’il portait. Il parlait peu, était agité, stressé, énervé, ce n’était pas le « Salah qu’il connaissait ». Il leur a également indiqué qu’il était allé dans un Café pour se faire exploser mais qu’il avait renoncé (mais aurait dit aussi que sa ceinture n’avait pas fonctionné et qu’il s’en était débarrassé avant de prendre un taxi dans le 18ème arrondissement pour aller à Châtillon ndlr.). Il ne se souvenait plus en revanche s’il avait dit qu’il voulait venger son frère ou ses frères comme il avait pu le déclarer en procédure.
Il a expliqué qu’ils sont repartis en voiture vers Bruxelles malgré ces révélations car ils étaient tétanisés, choqués et avaient peur, ils n’ont pas eu le courage de dire à ABDESLAM de descendre. En revanche, contrairement à ce qui a pu être dit, ABDESLAM ne les a pas menacés pour ce faire et il n’avait pas d’arme.
Sur le chemin du retour, ils ont subi trois contrôles aux barrages mis en place suite aux attentats (sachant qu’ABDESLAM avait donné la consigne de prendre des routes secondaires pour les éviter ndlr.). Il a indiqué que, lors du second contrôle, qui a été particulièrement long, il a dit à Salah ABDESLAM que ce n’était pas bien ce qu’ils avaient fait, ce à quoi ce dernier aurait répondu « Ferme ta gueule, qu’est-ce que tu connais de le religion ». Cependant, au fil du trajet, ABDESLAM semblait moins énervé, plus fatigué, mais restait stressé et autoritaire.
Arrivés à Laeken, alors qu’ABDESLAM est sorti du véhicule pour acheter des vêtements et aller chez le coiffeur, il a pris la décision de partir le plus vite possible en laissant son véhicule sur place, demandant à ATTOU de lui ramener sa voiture vers 15 heures. Il a tout de même dit au revoir à ABDESLAM qui lui a répondu qu’ils ne se reverraient jamais.
Il est ensuite rentré chez lui, n’a rien osé raconter à son épouse et a été interpellé à 15h30 le 14 novembre.
Il a conclu son interrogatoire en indiquant qu’il en voulait beaucoup à Salah ABDESLAM qui savait « qu’il le mettait dans la merde » et qui avait abusé de sa gentillesse.
Sa Défense a tenu à souligner que l’ignorance du fait que la destination était Paris ne changeait rien (car cela a été jugé peu crédible ndlr.), démontrant que s’il avait été impliqué en toute connaissance de cause il n’aurait pas été au téléphone avec ABDESLAM devant un collègue et il serait parti directement le chercher pour éviter les barrages routiers.
Hamza ATTOU (mardi 12 avril) : Le soir des attentats, c’est ABDESLAM qui l’a appelé en premier, pas AMRI, d’un numéro inconnu français mais il a décroché car il avait l’habitude des numéros inconnus avec le trafic de stupéfiants. Il lui a dit qu’il avait eu un accident en France, que sa voiture était en panne et qu’il fallait venir le chercher, AMRI ne pouvant pas car il travaillait. Il lui a répondu qu’il n’avait ni voiture ni permis, mais qu’il allait voir ce qu’il pouvait faire. Il croit se souvenir qu’AMRI l’a ensuite appelé pour lui demander ce qu’il allait faire et qu’il a rappelé ABDESLAM pour lui dire qu’il n’avait pas trouvé de solution. Ce dernier lui a demandé de tenter de joindre sa famille en France à un moment donné, mais il n’avait pas leur numéro.
Il a ensuite confirmé l’enchaînement du départ expliqué par AMRI, indiquant qu’ils ont appris pour les attentats à une station-service où le caissier lui en a parlé, mais il n’y a pas prêté attention plus que cela. Il a par ailleurs précisé qu’il ne s’était jamais rendu compte qu’ils étaient en banlieue parisienne puisqu’il n’y était jamais allé.
Il a confirmé qu’arrivés sur le parking du McDonald’s, il n’a pas vu d’où ABDESLAM arrivait. Ce dernier transpirait, respirait fort et n’était « pas lui-même ». Quand il lui a demandé où était sa voiture, ABDESLAM lui a répondu que ce n’était qu’un prétexte pour les faire venir et a parlé des attentats, qu’ils étaient dix, qu’il était le dernier survivant et que Brahim était mort. Il n’était pas armé. Il a expliqué avoir abandonné sa ceinture d’explosifs dont le détonateur n’avait pas fonctionné. Il a également dit qu’il était « cramé », qu’il avait loué des voitures et des appartements, que son nom était partout.
Il a été très choqué par les révélations d’ABDESLAM et a décrit le même état de sidération et la même peur qu’AMRI pour expliquer qu’ils aient tout de même « consenti » à ramener ABDESLAM en Belgique. Il a d’ailleurs précisé qu’il ne comprenait pas comment les policiers n’avaient pas remarqué qu’il tremblait de peur lors des contrôles. Il a par ailleurs tenu à préciser que certaines de ses déclarations en procédure avaient été faites sous la pression des enquêteurs et par peur, comme le fait que Salah ABDESLAM les aurait menacés de faire sauter la voiture s’ils ne le ramenaient pas en Belgique.
Arrivés à Laeken, il a accompagné ABDESLAM acheter des vêtements, un téléphone et se couper les cheveux. Il a également appelé OULKADI à la demande d’ABDESLAM pour venir le chercher, sachant qu’il l’avait vu la veille pour lui vendre du stupéfiant et qu’il lui avait dit qu’il devait aller chercher ABDESLAM en France (mais il ne lui avait pas demandé de l’accompagner car c’était un père de famille et ils n’avaient pas la même relation qu’avec AMRI ndlr.). Il a indiqué se sentir coupable de cela, que s’il n’avait pas parlé de sa rencontre de la veille avec OULKADI, qui lui avait demandé des nouvelles de Brahim, Salah ABDESLAM n’aurait pas pensé à le contacter et il n’aurait donc pas été impliqué. OULKADI les a rejoints et ABDESLAM leur a dit qu’ils allaient discuter dans un Café, leur demandant de laisser leurs téléphones dans la voiture.
Ali OULKADI (mercredi 13 avril) : Son interrogatoire a été marqué par sa grande émotion lors de celui-ci.
Il a expliqué que, depuis plusieurs jours, il s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles de Brahim ABDESLAM alors qu’ils se retrouvaient tous les soirs. Par ailleurs, le soir des attentats, il regardait le match de foot dans un Café et a vu un flash info, mais n’a pas immédiatement compris qu’il s’agissait d’attentats car il n’y avait pas le son, que des images de voitures de police. C’est en rentrant chez lui qu’il a appris pour ceux-ci par ses parents qui étaient devant les informations.
Le 14 novembre, ATTOU l’a appelé d’un phone shop pour lui demander de venir le retrouver, sans plus de précisions. Il ne s’en est pas inquiété car il faisait souvent cela pour le stupéfiant. Arrivé au rendez-vous près du métro, il a vu ATTOU puis Salah ABDESLAM sortir de derrière un abribus, sa veste remontée sous son nez. Il a immédiatement compris que quelque chose n’allait pas. Ces derniers sont montés dans sa voiture et il a alors demandé à Salah ABDESLAM si quelque chose était arrivé à Brahim, s’il y avait une mauvaise nouvelle, au vu de son attitude inhabituelle. Ce dernier lui a dit « chut » et qu’ils allaient aller discuter dans un Café, donnant pour instruction de laisser les téléphones dans la voiture.
C’est au Café, particulièrement fréquenté, que Salah ABDESLAM leur a annoncé que Brahim était mort et qu’il avait participé aux attentats. Il a également expliqué qu’ATTOU et AMRI étaient venus le chercher à Paris. Pour lui, Salah ABDESLAM était en détresse car il lui a expliqué qu’il était « dans la merde » car tout était à son nom (voitures et locations). Il a déduit des explications d’ABDESLAM qu’il avait fait des locations et avait accompagné les autres à Paris, prenant la fuite quand il avait réalisé l’ampleur de la chose. Il a par ailleurs précisé qu’ABDESLAM lui avait posé beaucoup de questions sur ce qui était dit dans les médias, lui demandant s’il était bien sûr des informations qu’il lui rapportait. Il s’est alors dit qu’ABDESLAM avait besoin d’aide et qu’il ne pouvait pas laisser quelqu’un dans une telle détresse, étant par ailleurs sous le choc de l’annonce de la mort de son ami Brahim.
En sortant du Café, il a demandé à Salah ABDESLAM ce qu’il allait faire et ce dernier lui a demandé de le déposer à Anderlecht, disant également à ATTOU de partir. ABDESLAM lui a donné l’itinéraire au fur et à mesure dans la voiture. Quand il lui a demandé de s’arrêter, ils se sont pris dans les bras et ABDESLAM lui a dit qu’ils ne se reverraient plus. Il a effacé ses empreintes avant de sortir de la voiture et lui a donné pour consigne d’attendre un peu en fumant une cigarette avant de repartir, ce qu’il a fait. Il ignorait où ABDESLAM était allé ensuite.
Les interrogatoires des autres accusés
Mohamed ABRINI : Le soir des attentats, après être rentré de Paris, il était dans un Café pour voir le match de foot et il a compris pour les attentats quand la diffusion a été interrompue. Il s’est dit surpris que ceux-ci interviennent aussi rapidement alors que les locations de logement étaient pour une durée de plus d’une semaine.
Khalid EL BAKRAOUI est ensuite venu le chercher pour le conduire dans la planque de la Rue Henri Berger. Quand il est arrivé, il y avait BELKAÏD, KRAYEM et LAACHRAOUI. Il y est resté deux ou trois semaines.
Il a également assisté au retour de Salah ABDESLAM dans cette planque le 14 novembre. Il était épuisé et livide. Il a alors entendu une dispute entre ABDESLAM et l’un des frères EL BAKRAOUI qui lui a demandé pourquoi il n’avait pas fait sauter son gilet avec un briquet ou une cigarette quand il a vu qu’il ne marchait pas. Il a à cet égard précisé qu’il ne croit pas que Salah ABDESLAM ait voulu actionner son gilet, corroborant le fait que c’était une excuse pour la cellule.
Par la suite, il a été transféré dans diverses planques de la cellule par LAACHRAOUI et Ibrahim EL BAKARAOUI : Jette, Rue du Dries à Forest, puis la Rue Max Roos.
Enfin, concernant les attentats de Bruxelles, ils ont été précipités, pour lui, à cause de l’arrestation de Salah ABDESLAM car c’était à l’origine un attentat pendant l’Euro de foot 2016 qui était prévu. Il a par ailleurs indiqué qu’on l’avait forcé à écrire un testament alors que sa connaissance de la religion « était proche de zéro » et à prendre des photos avec des armes pour les revendications ultérieures. Il a enfin contesté avoir écrit la lettre à Nawal (cf. compte rendu de la semaine dernière), il s’agissait d’une lettre de Khalid EL BAKRAOUI.
Il est à noter qu’il a refusé de répondre aux questions des Avocats de partie civile au motif qu’ils « ne posent des questions que pour passer à l’écran ».
Yassine ATAR : Il n’a fait que réaffirmer ses précédentes déclarations, à savoir que les contacts avec Khalid EL BAKRAOUI avant et le jour des attentats étaient pour son père à propos de la vente d’un terrain, tandis que ceux avec BAKKALI étaient pour leur affaire d’électroménager. Il a à nouveau contesté être allé dans la planque Rue Henri Berger en expliquant le bornage par le fait qu’il était allé voir un ami au moment incriminé, invoquant sa téléphonie pour le prouver.
Concernant l’enregistrement qui lui aurait été adressé par Khalid EL BAKRAOUI, il a expliqué que Yass n’était pas son surnom le plus courant, ce dernier étant Yaya, et que s’il avait vraiment voulu que cet enregistrement lui soit remis il serait passé par leur famille ou serait allé à son domicile, il n’aurait pas fini avec l’ordinateur de la Rue Max Roos dans une poubelle.
Ali EL HADDAD ASUFI : Le soir des attentats, il a vu le match chez lui puis il est sorti avant l’interruption de la diffusion pour livrer du stupéfiant. Il a par ailleurs reconnu être allé chez Ibrahim EL BAKRAOUI le 18 novembre vers minuit pour manger des pizzas et jouer aux jeux vidéo, indiquant qu’ils n’ont pas parlé des attentats ou pas plus que ça puisque ce dernier était dans la dissimulation.
Concernant la clé USB en sa possession qui contenait de nombreux documents de la cellule, il a expliqué qu’elle avait été déposée dans sa boite aux lettres dans le courant du mois de mars 2016 avec une enveloppe portant l’inscription « pour la maman d’Ibrahim ». Il l’a consultée une fois pour voir ce qu’elle contenait et n’a pris connaissance que de dix fichiers audios, les autres fichiers n’ayant été récupérés qu’ultérieurement par les enquêteurs via un logiciel d’extraction des éléments supprimés. Il a tenu à contester que cet envoi était une marque de confiance et d’amitié, rappelant que son prétendu ami Ibrahim avait fait un attentat à l’aéroport de Zaventem un jour où il y travaillait et où il aurait pu mourir.
Sa Défense a tenu à souligner que si son récit du soir des attentats a pu varier, c’est uniquement parce que la plupart des Belges ont été moins touchés par les attentats et ne se souviennent pas exactement de ce qu’ils faisaient ce soir-là. A cet égard, aucune investigation n’a été faite pour corroborer ou infirmer ses dires sur la livraison de cocaïne alors que les informations permettant d’interroger le client avaient été fournies aux enquêteurs. Plus encore, ils ont argué du fait que la Juge d’instruction PANOU aurait écarté deux éléments à décharge provenant du dossier Bruxelles (où elle a dit piocher ce qui intéressait uniquement le 13 novembre ndlr.), à savoir une conversation montrant qu’il se livrait de façon habituelle au trafic de stupéfiants et qui aurait donc mis à mal la théorie d’achat d’armes aux Pays-Bas, ainsi qu’un PV de police qui indiquait auprès de qui se fournissaient habituellement en armes les frères EL BAKRAOUI pour leurs braquages et qui n’a pourtant amené aucune investigations, ou encore le fait qu’ils ne mentionnaient pas que la plupart des fichiers radicaux de la clé USB avaient été effacés et récupérés via un logiciel d’extraction contrairement au dossier Bruxelles qui le mentionnait. Enfin, ils ont invoqué le fait qu’Ibrahim EL BAKRAOUI s’était surtout servi d’EL HADDAD ASUFI, comme de beaucoup d’autres personnes.
L’interrogatoire de Salah ABDESLAM (13, 14 et 15 avril)
Il a tenu à expliquer qu’il a gardé le silence jusqu’ici en raison des conditions de son arrestations, mais également car c’était une consigne qu’il avait reçue. Puis, après, les médias ont créé le personnage du monstre qu’il a laissée grandir et il ne savait plus comment faire.
Il a à nouveau expliqué qu’il a su qu’il devait faire partie des attentats que le 11 novembre 2015 lors de sa rencontre avec ABAAOUD (dont il ignorait le retour en Belgique). Auparavant, le projet était bien qu’il parte en Syrie, son frère lui ayant expliqué qu’il avait « aidé » sans le savoir l’EI, bien qu’il ignorait que c’était pour des attentats. Brahim ne lui aurait révélé son voyage en Syrie qu’à l’été 2015. Il attendait donc uniquement le « feu vert » pour partir, son frère lui ayant expliqué que les routes pour la Syrie étaient compliquées à ce moment-là.
Lors de la rencontre, ABAAOUD ne lui a pas donné de cibles, mais il lui a dit qu’il devrait porter une ceinture d’explosifs et aller se faire exploser dans un endroit précis. Il était sous le choc et dans l’impasse, ABAAOUD ayant ajouté qu’en réalité aucun voyage n’avait jamais été prévu pour lui vers la Syrie. A ce moment-là, l’amitié n’existait plus et il était juste un moyen pour ABAAOUD de parvenir à ses fins.
Il a fini par accepter, devant l’insistance de son frère Brahim qui n’a cessé de lui dire qu’il en était capable et qu’il devait le faire avec lui, dans le cas contraire il n’aurait jamais accepté. Il a expliqué que même à la planque de Bobigny, il n’était pas sûr et qu’il a senti qu’il n’en était pas capable.
Il a alors révélé que son objectif était un bar dans le 18ème arrondissement de Paris, « côté bobo » à l’angle d’une rue (il n’a pas su retrouver son nom mais en a fourni une description ndlr.). Il n’a jamais parlé de cet objectif, notamment devant la juge d’instruction, car pour lui cela aggravait les charges à son encontre d’avoir d’abord déposé le commando du Stade de France puis d’être allé ailleurs pour se faire exploser.
Il s’est donc rendu dans ce bar le soir des faits, a commandé une boisson et, en regardant les gens autour de lui, il s’est dit « non je ne vais pas le faire ». Il a donc renoncé et est sorti.
Il a pris sa voiture dans un état second, ne sachant où aller, jusqu’à ce que celle-ci tombe en panne alors qu’une voiture de police était à proximité. Il a tenté de la faire redémarrer mais comme elle était mal garée sur la chaussée, ce qui pouvait attirer l’attention, il a décidé de l’abandonner et de partir à pied. Il a expliqué qu’à ce moment-là, il a eu le sentiment qu’il était « fichu » car il portait une ceinture d’explosifs et que seules deux possibilités s’offraient à lui : tenter de rentrer en Belgique ou aller jusqu’au bout.
Il a alors acheté un téléphone et appelé AMRI, le seul numéro qu’il connaissait par cœur car ce dernier lui rendait très souvent service en le véhiculant par exemple. Il ne se souvient plus exactement du déroulement des faits, mais se souvient avoir dit qu’il était « dans la merde » et qu’il fallait venir le chercher, étant assez autoritaire. Il ne sait plus en revanche si c’est AMRI ou lui qui a contacté ATTOU quand ce dernier a dit qu’il travaillait.
Il a ensuite pris un taxi et non pas le métro comme cela avait été supposé par les enquêteurs. Il a demandé au taxi de se diriger vers le Sud de Paris, souhaitant s’éloigner le plus rapidement possible pour se débarrasser de sa ceinture, et lui a dit de se stopper lorsqu’il n’avait plus d’argent sur lui pour le payer. Arrivé à Montrouge, il a abandonné sa ceinture dans un endroit discret en la neutralisant en retirant le bouton déclencheur et la pile. Puis, il s’est rendu à Châtillon à pied.
Arrivé à Châtillon, il a rencontré des jeunes à qui il a expliqué qu’il était « en galère » car sa voiture venait de tomber en panne et il ne savait pas où dormir vu qu’il vivait en Belgique. Ces derniers lui ont d’abord indiqué des voitures volées sur le parking où il pouvait entrer et se reposer, puis, devant son refus, une cage d’escalier d’un immeuble proche où beaucoup d’entre eux traînaient. Il a alors acheté un fastfood pour reprendre des forces malgré l’absence de faim car il savait que la nuit serait longue, puis l’a offert aux jeunes présents dans la cage d’escalier avec qui a discuté pendant plusieurs heures pour garder une contenance et retrouver ses esprits, discutant de sa fiancée, de son cousin de Barbès qui allait venir le chercher ou des attentats à l’initiative des jeunes (ces derniers déclareront qu’il avait l’air inquiet et en même temps qu’il souriait ndlr.).
Concernant la partie préparatifs des attentats, il a d’abord indiqué que c’est Brahim qui lui avait demandé de louer des véhicules. Il a cependant contesté que son voyage en Grèce avec DAHMANI avait un rapport avec un convoyage de personnes ou un éventuel départ en Syrie commun. Il n’a par ailleurs pas souhaité s’exprimer sur ABRINI, estimant que l’on devait s’en tenir aux déclarations de ce dernier, concédant toutefois qu’il ignorait si tous deux avaient été prévus dans les commandos à l’origine ou s’il l’avait remplacé.
Concernant les attentats, il a confirmé que l’affectation sur les différents lieux des attaques était inconnue des opérationnels, chacun n’ayant connaissance que de sa partie. Il a indiqué qu’il ignorait donc qu’une attaque était prévue au Bataclan ou ce que devait faire son frère Brahim. Il savait uniquement pour le Stade de France puisqu’il devait y conduire le commando, puis pour sa cible dans le 18èmearrondissement.
Ainsi, il avait fait le repérage dans la journée du 13 novembre avec Brahim car il n’aurait pas de téléphone pour se localiser : ils sont partis à pied de la planque de Bobigny, puis ont pris un taxi pour aller au Stade de France, puis un nouveau taxi pour le bar du 18ème avant de rentrer en fin de journée à la planque de Bobigny. On lui a rapidement mis sa ceinture d’explosifs et il a été séparé de Brahim.
Concernant les déclarations d’AMRI et ATTOU sur son retour en Belgique, il a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec celles-ci mais qu’il ne leur en voulait pas au vu de la pression qui avait été faite sur eux. Il a ainsi expliqué qu’il n’avait pas parlé directement en montant dans le véhicule et qu’il n’avait pas pu leur fournir certaines informations, comme le fait qu’ils étaient dix puisqu’il ne connaissait que le nombre d’opérationnels présent à Bobigny, ou encore qu’il avait dit vouloir venger son frère puisque ce dernier était probablement mort en opération martyr, étant dans l’incertitude de son décès à ce moment-là. Il a enfin vivement contesté avoir dit devant eux que sa ceinture n’avait pas marché, il ne l’a dit qu’aux membres de la cellule pour garder une contenance et ils n’en faisaient pas partie.
Durant le trajet, il était épuisé mais a concédé qu’il avait pu craquer à un moment et pleurer. Pour lui, il était déjà en cavale et devait donc se faire discret. Il avait d’abord pensé à prendre un hôtel à proximité pour éviter les barrages, mais, devant le refus d’AMRI, il a accepté de prendre la route en lui demandant d’emprunter le réseau secondaire pour éviter les contrôles. Il ne leur aurait d’ailleurs parlé qu’après le second contrôle qui a duré un certain moment (où il a d’ailleurs présenté sa vraie CNI qu’il avait demandé à AMRI de cacher ndlr.), expliquant qu’il ne voulait pas qu’ATTOU et AMRI perdent leur sang-froid.
Sur l’arrivée à Laeken, il a confirmé avoir acheté des vêtements et être allé chez le coiffeur. AMRI est alors parti en confiant ses clés à ATTOU, sûrement parce qu’il commençait à réaliser la réalité de la situation. Lorsqu’ATTOU a dit qu’il voulait appeler OULKADI, il a reconnu qu’il en avait profité pour changer de véhicule car il n’avait pas confiance, se disant désolé d’avoir impliqué ce dernier mais avoir tout de même pris la précaution de dire à ATTOU d’appeler d’un phone shop pour qu’OULKADI ne soit pas identifié. Il a par ailleurs confirmé ne pas avoir donné l’adresse de la planque à OULKADI par sécurité.
Sur l’épisode du Café, il a expliqué qu’il se souvenait des conseils de son frère pour parler, à savoir laisser les téléphones dans un véhicule et aller dans un endroit très fréquenté.
Concernant la planque, il la connaissait car le 11 ou 12 novembre il était passé devant avec son frère Brahim, ce dernier lui avait alors indiqué qu’il s’agissait d’une des caches. A son arrivée, il a confirmé qu’il y avait eu une dispute car il n’était pas censé connaître cette planque et y être présent, mettant la cellule en danger par son non passage à l’acte. Il a concédé qu’y étaient présents Ibrahim EL BAKRAOUI, BELKAÏD et ABRINI, ne se souvenant plus des autres puisqu’il a rapidement été transféré dans une autre cache. Il ignorait cependant tout des projets ultérieurs de la cellule et des autres caches.
Enfin, concernant les écrits constituant son supposé testament, il a rappelé qu’il ne pouvait pas faire autrement puisqu’il n’avait pas dit qu’il avait renoncé et qu’il ne pouvait plus se défaire de son mensonge. Il ne les a cependant pas écrits, les ayant exprimés seulement oralement à une tierce personne.
Les questions du Ministère Public :
Suite à ces nombreuses révélations, le Ministère Public s’est montré particulièrement virulent et agacé, soulignant qu’il était aisé de choisir son moment pour parler en fonction de tout ce qui avait été dit auparavant. Ses nombreuses questions ont amené à des précisions de la part de Salah ABDESLAM.
Concernant la mission confiée par son frère Brahim, il maintenu qu’il s’agissait de voyages pour ramener des personnes ayant fui la Syrie dans un but humanitaire, il ignorait tout des attentats à ce moment-là et les avait faits dans la clandestinité car il s’agissait d’une entrée illégale sur le territoire.
Concernant le fait qu’il ait incriminé seulement BAKKALI en disant que ce dernier avait récupéré DARIF, AYARI et KRAYEM après qu’il les ait ramenés, il a justifié qu’il n’avait parlé que de ceux qui refusaient de s’expliquer.
Sur le fait qu’il avait déjà fait des locations de voitures et des dépôts d’argent le 9 novembre, avant sa rencontre avec ABAAOUD, il a réitéré qu’il ignorait que cela servirait aux attentats, seul ABRINI qui l’accompagnait savait. Il pensait que cela servirait aux personnes qu’il exfiltrait de Syrie. L’Avocat général lui a opposé qu’ABRINI avait dit lui avoir parlé des projets d’ABAAOUD avant la rencontre du 11 novembre, ce à quoi il a répondu qu’ABRINI lui-même avait déclaré qu’il ne fallait pas croire tout ce qu’il disait.
Par ailleurs, il a réitéré qu’il ignorait qu’il devait remplacer ABRINI, pour lui il avait été choisi par ABAAOUD. Sa défection ne l’a pas influencé.
Sur le soir des attentats, il n’a pas entendu les explosions au Stade de France puisqu’il est parti après avoir déposé le commando.
Il a en outre réaffirmé avec force que sa voiture était bien tombée en panne, contrairement aux déclarations d’AMRI et ATTOU, indiquant qu’elle était mal garée en travers d’un passage piéton, tandis que l’Avocat général lui opposait que les caméras laissaient penser qu’il l’avait garée tranquillement sans précipitation.
Concernant ses discussions sur le trajet du retour, l’Avocat général a tenté de mettre à mal ses déclarations en indiquant qu’ATTOU avait dit qu’il avait déclaré qu’ils étaient dix lors de son arrestation le 18 novembre, soit avant que l’information ne sorte dans la presse.
Enfin, à la dernière question du Ministère Public, Salah ABDESLAM a tenu à déclarer qu’il n’en voulait pas à son frère Brahim car « il avait des convictions, il est allé jusqu’au bout ».
Les questions des parties civiles
A une question de partie civile, il a répondu qu’il n’avait en réalité jamais été un combattant de l’État Islamique, comme il avait pu le déclarer à l’ouverture du procès, car il n’était jamais allé en Syrie et n’avait jamais combattu. Il aurait déclaré cela pour rappeler son adhésion idéologique et pour « ne pas se cacher derrière (son) petit doigt et ne pas se foutre du monde (sic) ». Il a toutefois nuancé cette adhésion en disant que, s’il était convaincu par le combat mené, il n’avait jamais adhéré au fait de commettre des attentats, ce qu’il avait dit à ABAAOUD, sa participation ne résultant que de l’insistance de son frère Brahim.
Il n’a pas pu donner davantage de précisions sur l’organisation des attentats, mais a concédé que le Bataclan avait dû être pour les plus aguerris car tirer à la kalachnikov ainsi n’était pas aisé, mais également qu’il y avait effectivement dû y avoir un imprévu pour qu’ABAAOUD se retrouve dans un buisson.
En outre, il a reconnu que dans le taxi qu’il a emprunté pour Montrouge, la radio était allumée et qu’à chaque fois que le nombre des victimes augmentait, il s’enfonçait dans la détresse. Il a par ailleurs tenu à déclarer que les images du Bataclan lui avaient fait froid dans le dos, indiquant que ce qui faisait peut-être la différence entre lui et les autres, c’était qu’il n’aurait jamais pu faire ça.
Il a fini par déclarer, lorsqu’on lui a demandé comment il voulait qu’on se souvienne de lui, qu’il ne voulait pas qu’on se souvienne de lui, qu’il voulait être oublié.
Les questions de sa Défense
Enfin, sa Défense a tenu à rappeler son allégeance 48 heures avant les attentats, qu’il était persuadé de partir en Syrie car on l’avait acculé en lui demandant de faire diverses locations et qu’il ne savait pas que ça allait se passer comme ça. Il a d’ailleurs indiqué que, s’il avait su qu’il devait ramener des terroristes et non des réfugiés, il aurait refusé. Il a déclaré qu’il voulait faire le bien au départ, jusqu’à ce qu’il soit acculé et n’ait plus le choix. Sa Défense a d’ailleurs rappelé que Brahim était son frère préféré, admiré, qu’il s’était beaucoup occupé de lui, rappelant ainsi l’emprise qu’il avait pu avoir sur Salah ABDESLAM, l’obligeant à dire oui.
Son interrogatoire s’est conclu par une déclaration où il a dit qu’il ne regrettait pas d’avoir renoncé. Il a alors demandé aux victimes, même si cela était impossible, de bien vouloir lui pardonner. Il a également demandé pardon à ses amis AMRI, ATTOU et OULKADI pour leur avoir « volé six ans de leur vie » et à sa mère. Il a fondu en larmes lors de ces ultimes déclarations et a souhaité que son interrogatoire prenne fin à ce moment-là, laissant la salle d’audience sonnée devant ses larmes.
Compte-rendu d'audience du 20 au 22 avril 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique les expertises psychologiques et / ou psychiatriques des accusés.
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience a été marquée par l’acceptation du versement aux débats de l’enregistrement intégral de l’attaque du Bataclan suite à de nombreuses demandes formulées à l’audience. Cet enregistrement ne sera pas diffusé à l’audience mais vous pouvez nous en demander la communication.
Concernant les expertises, tous les accusés ont été déclarés responsables et exempt de troubles ou affections psychologiques.
Certains incidents sont cependant intervenus lors des exposés des experts, la Défense estimant qu’ils se permettaient des appréciations sur les accusés jugées comme dépassant leur cadre de compétence.
Les expertises psychologiques/psychiatriques
Hamza ATTOU (mercredi 20 avril) : Aucune affection mentale particulière n’a été décelée.
Le psychiatre a relevé une personnalité timide, influençable, immature, fragile et inhibée, qui a du mal à se situer par rapport aux autres. On note également une alcoolo-dépendance et une dépendance au cannabis importantes avant l’incarcération (1 litre de whisky par jour ou 10 bières, 100 g de cannabis par jour). Il aurait également évoqué, dans son rapport aux faits, avoir peur de Salah ABDESLAM et qu’il se venge. Aucune pathologie psychiatrique n’a été relevée, bien qu’un suivi soit conseillé pour ses dépendances et également pour trouver du sens à sa vie.
Pour l’expert psychologue, il s’agit d’un homme calme et pondéré, réfléchi mais avec une adaptation professionnelle (pas de diplôme) et personnelle (pas de vie affective) en discordance.
Mohammed AMRI (mercredi 20 avril) : Le psychologue a relevé un caractère plutôt immature pouvant être intolérant aux situations de stress, ainsi qu’une personnalité plutôt influençable de suiveur. Il s’est montré méfiant lors des tests pratiqués, prétextant ne pas s’engager pas dans quelque chose dont il ne connaît pas la finalité, sans que cela ne soit cependant en contradiction avec son récit des faits et de son implication. Aucune affirmation d’un engagement islamiste n’a été relevée.
La Défense a cependant tenu à indiquer que le psychologue formulait des appréciations qu’il disait lui-même dépasser sa compétence et qu’il se basait sur un entretien de seulement une demi-heure pour dresser un tel profil.
La lecture du rapport du Quartier d’Évaluation de la Radicalisation à la suite de cet exposé a permis de souligner chez lui des difficultés cognitives et des capacités de compréhension restreinte, ainsi qu’une tendance à acquiescer sans donner son avis, à ne pas s’affirmer, laissant les autres s’exprimer et prendre l’initiative en restant en retrait et en les suivant. Son fonctionnement psychologique a été jugé comme étant une cause de vulnérabilité car il n’était pas en mesure de verbaliser ses émotions et opinions, constat à mettre en perspective avec son sentiment de honte par rapport aux faits et à la douleur causée à sa famille.
L’expert psychiatre entendu le 22 avril a exclu toute pathologie mentale chez lui, notamment due à sa grande consommation de cannabis dans sa jeunesse. Il a toutefois souligné son grand sentiment de redevabilité envers Brahim ABDESLAM.
Farid KHARKHACH (mercredi 20 avril) : Le psychologue a relevé qu’il a dit souffrir de nombreuses affectations somatiques et psychologiques, décrivant une symptomatologie anxieuse de type obsessionnelle. Concernant l’examen en lui-même, il a noté qu’il semblait satisfait de pouvoir parler de lui et de l’attention qu’on lui portait. On note une intégration difficile en Belgique et des déboires sentimentaux dans son parcours. Cependant, les tests pratiqués (Rorschach, tâches d’encres) n’ont pas démontré de caractère obsessionnel selon l’expert, mais une absence de repères parentaux et une conflictualisation de sa relation avec les autres. Il a d’ailleurs indiqué que, à propos de l’explication des faits de trafic de faux papiers pour aider financièrement sa sœur atteinte d’un cancer, il lui a semblé étrange que dans une famille que l’accusé présentait comme si unie, un de ses membres doive être dans l’illégalité pour aider. Aucune radicalisation n’a été relevée.
Il a alors conclu que l’accusé n’avait pas d’affection particulière dépressive ou obsessionnelle, contrairement à ce que l’accusé n’a cessé d’avancer lors de l’examen et au procès, relevant tout de même qu’il suivait un traitement médicamenteux au moment de l’examen.
Enfin, l’expert psychologue a formulé quelques appréciations -contestées pour la Défense : selon l’expert la symptomatologie anxieuse et obsessionnelle évoquée par l’accusé a pu l’être pour atténuer sa responsabilité ; de même, la prétendue la difficulté avec le réel lui permettrait de ne pas se confronter à la réalité.
La Défense a contesté ces conclusions qui remettaient en cause la sincérité de KHARKHACH, les opposant notamment à une expertise psychologique privée qui a été réalisée ultérieurement. Cette expertise privée concluait à une structuration de personnalité phobique extrême avec une psychose ordinaire et une personnalité naïve. La Défense a également rappelé qu’il était sous traitement au moment de l’expertise, mais surtout que les tests pratiqués étaient très décriés et que l’expert s’était permis des appréciations ne relevant pas de sa compétence.
L’expert psychiatre a quant à lui relevé lors de l’entretien qu’il avait une posture critique vis-à-vis de ses propos et de sa façon de s’exprimer. Il a décrit une personnalité harmonieuse mais avec des périodes d’angoisses sans que cela ne puisse être rattaché à une pathologie, évoquant plutôt un terrain névrotique à rapprocher des troubles obsessionnels compulsifs décrits par l’accusé. L’expert a donc conclu à une absence de pathologie et de dangerosité, soulignant des manifestations d’angoisse sans nécessité de soins psychiatriques.
Ali OULKADI (mercredi 20 avril) : L’expert psychologue n’a relevé aucun élément particulier dans son parcours de vie qui semblait satisfaisant et équilibré. Le test de Rorschach a révélé une grande sensibilité et une chaleur dans sa relation avec les autres, ainsi qu’une certaine spontanéité. Cependant, sur les faits, il a été noté une reconnaissance ambiguë de ses responsabilités qu’il nuançait par son absence de réelle connaissance de son implication.
Il a été conclu qu’il s’agissait d’un homme sans pathologie ou affection particulière, présentant cependant un léger déséquilibre sur le plan de l’humeur pouvant entraîner une impulsivité comme mécanisme de défense. La Défense a souligné que ce dernier commentaire dépassait le cadre de compétence de l’expert.
L’expert psychiatre a quant à lui retrouvé chez lui une organisation groupale dans la relation qu’il avait avec Brahim ABDESLAM ayant pu avoir une incidence sur lui, notamment eu égard au fait qu’il se décrivait comme une victime de lui. L’expert a conclu à une absence de pathologie psychiatrique.
Mohamed ABRINI (jeudi 21 avril) : Selon l’expert, il ne présente pas de pathologie mentale ou de dangerosité, mais l’expert a indiqué qu’il avait relevé une personnalité de type antisocial avec une organisation pathologique chez lui sans nécessité de soins, notamment au regard de son parcours délinquantiel. Il a expliqué davantage ce point en exposant avoir constaté une capacité de transgression récurrente et peu de respect des normes sociales, la prison ne permettant pas d’apprendre pour ce type d’individu.
Sur sa radicalisation, il a reconnu devant l’expert être radicalisé mais refusant la violence (il aurait dit que le bruit des bombes en Syrie l’avait marqué et que ce n’était pas pour lui), comparant son recul au dernier moment à l’introspection d’un adolescent qui teste les limites. Il est revenu sur la mort de son frère qui l’a touché et marqué, ainsi que la souffrance occasionnée à sa famille, n’excluant pas que cela ait pu jouer un rôle dans son cheminement.
Concernant sa dangerosité sociale, l’expert a enfin estimé qu’elle dépendait de son mode de fonctionnement.
La Défense a souligné qu’il n’avait relevé aucune capacité particulière pour le mensonge ou la dissimulation chez l’accusé, ce que l’expert a confirmé.
Ali EL HADDAD ASUFI (mercredi 20 avril et jeudi 20 avril) : L’accusé a exposé avoir consulté un psychiatre avant son arrestation en mars 2016 car il était angoissé. Une importante consommation de cannabis à partir de l’âge de 20 ans a été relevée, sans qu’aucune pathologie secondaire en découle cependant. Aucune radicalisation n’était visible. Aucun trouble ou aucune pathologie n’ont été relevés chez lui, il n’y a donc pas de nécessité de soins.
Un second expert a exposé son parcours de vie sans particularité notable au plan psychiatrique, relevant l’absence de toute pathologie mentale malgré quelques traits antisociaux de transgression des interdits au regard des quelques infractions qu’il a commises. Concernant sa personnalité, il l’a décrite comme ayant une certaine méfiance, une intolérance à la critique et à la frustration, un manque d’empathie car il ne parlait que lui, un manque d’introspection et une certaine psychorigidité, constats à nuancer cependant par la proximité de l’expertise avec les faits (2016). Concernant sa radicalité, même s’il a quelques éléments de discours sur le plan géopolitique, celle-ci est à exclure bien que l’expert ait estimé qu’il faisait partie des profils « à risque » en terme de recrutement.
La Défense a tenu à souligner à cet égard que les éléments évoqués par l’expert s’expliquaient par la proximité de l’expertise avec les faits et que beaucoup sont partagés par le plus grand nombre au sein de la population, à l’instar du type antisocial associé à des infractions routières, ce que l’expert a tout à fait accordé, rappelant qu’il n’avait relevé aucune pathologie chez l’accusé.
Abdellah CHOUAA (mercredi 20 avril) : L’expert a relevé un fond d’anxiété chez lui. Il a fait montre d’un caractère plutôt sûr de lui et dans la maîtrise de ses émotions. Son parcours de vie n’a pas appelé de réflexion particulière, il semblait investi malgré une difficulté à se stabiliser sur le plan professionnel. Il a cependant montré une certaine défense à évoquer le plan religieux, se disant croyant mais non pratiquant et ayant reçu davantage de valeurs que de pratiques de la religion, passant sous silence la qualité d’immam de son père et la radicalité au sein de sa famille du père et du frère. Sur les faits, il les niait et revendiquait son innocence. Il a été conclu à l’absence de pathologie, de dangerosité et de nécessité de soins.
Sofien AYARI (jeudi 21 avril) : Il s’est montré peu accessible lors de son examen en s’exprimant peu, autant sur lui que sur les faits, exprimant simplement un regret de ne pas avoir assez manifesté son amour à ses parents et déclarant qu’il n’est qu’un « grain de sable dans l’univers ». L’expert a expliqué qu’il a des convictions qui sont les siennes mais pas de pathologie mentale. Le manque de prise sur le plan psychologique ne permettrait pas d’envisager de soins.
Sa Défense a tenu à souligner que l’examen a été réalisé six mois après les faits il y a six ans et que par conséquent il avait pu évoluer depuis.
Osama KRAYEM (jeudi 21 avril) : Au-delà de la difficulté d’une évaluation par l’intermédiaire d’un interprète, l’expert a relevé qu’il avait des difficultés à parler de lui ou de ses émotions. Il a relevé quelques traits de la personnalité dite paranoïaque, à savoir le contrôle et la méfiance, sans que cela ne soit pour autant une pathologie. Il a également noté que l’autre n’apparaissait pas dans son discours. Cependant, aucune pathologie n’a été décelée chez lui.
Sa Défense a tenu à nuancer son expertise en expliquant qu’elle avait eu lieu au début de son incarcération, dont les conditions étaient difficiles, sans qu’il n’ait été prévenu ou qu’on lui en ait expliqué le but, arguant qu’il a ultérieurement eu un suivi donnant pleine satisfaction car il avait été mis en confiance.
Adel HADDADI (vendredi 22 avril) : L’expert a souligné l’enfance difficile de l’accusé où il a vécu la violence de son frère alcoolique, qui lui a notamment brûlé les yeux en lui jetant du papier enflammé, subissant régulièrement ses coups qui étaient cachés par sa mère. Il a également relevé que sa famille l’a utilisé, lui prenant l’intégralité de ses salaires et le faisant travailler gratuitement pour eux.
Concernant son passage en Syrie, il y aurait également vécu la violence et l’asservissement, les humiliations et les mauvais traitements, ce qui l’aurait poussé à accepter la mission d’Oussama ATAR de venir en Europe pour s’extirper de ce contexte d’esclavagisme.
L’expert a conclu qu’il n’était pas un meneur mais un suiveur, soumis et passif. Il a exclu toute pathologie mentale chez l’accusé, notamment des psychoses dues aux violences infantiles.
Yassine ATAR (vendredi 22 avril) : Il a expliqué à l’expert qu’il était inquiété dans le présent dossier à cause de son entourage familial. Il s’est montré comme une victime du système et de sa famille, faisant part d’un important sentiment victimaire mais non pas de persécution, le tout dans un discours construit sans discordance. L’expert a conclu à l’absence de pathologie mentale chez lui, excluant une dangerosité psychiatrique mais évoquant un état pouvant être dangereux dans ses conclusions.
Mohamed BAKKALI (vendredi 22 avril) : L’expert a exposé qu’il s’était exprimé largement en déployant des explications construites. Après avoir évoqué son parcours de vie, l’expert a relevé que, sur les faits, il a expliqué qu’il avait toujours eu du mal à repousser les demandes des EL BAKRAOUI de faire des locations pour eux, qu’il s’était senti bloqué dans un engrenage. Il aurait déclaré avoir voulu appeler la police pour les dénoncer mais qu’il avait lui-même été arrêté avant. S’il a reconnu avoir fait les locations, il a expliqué être contre le meurtre d’innocents et que ce n’était pas l’Islam. L’expert a expliqué à cet égard qu’il évoluait dans un effet groupal avec les EL BAKRAOUI et que, sans pouvoir parler d’emprise, cela avait pu avoir une incidence sur lui. L’expert a conclu à l’absence de pathologie mentale chez lui, relevant toutefois qu’il pouvait avoir un cheminement illicite par rapport aux normes sociales au vu de son parcours.
Interrogé par la Défense, il a concédé que l’accusé pouvait garder le silence au procès de peur que ses propos soient mal interprétés, ayant lui-même relevé qu’il faisait attention à ce qu’il disait lors de leur entretien pour qu’il n’y ait pas de mauvaise interprétation.
Muhammad USMAN (vendredi 22 avril) : L’expert a expliqué que l’entretien avait été très difficile car il était recroquevillé sur lui-même, en plus de l’intermédiaire d’un interprète. Il a toutefois conclu à l’absence de pathologie psychiatrique après avoir retracé le court parcours de vie qu’il a pu obtenir de l’accusé.
L’expertise psychiatrique de Salah ABDESLAM (jeudi 21 avril)
Les deux experts psychiatre, les Dr Daniel Zagury et Bernard Bollivet, ont retracé le long parcours de refus de l’expertise par Salah ABDESLAM, celle-ci ayant finalement pu avoir lieu le 12 novembre 2021. Il a été coopérant mais en donnant des limites, à savoir refuser de parler des faits et de sa motivation, se montrant dans le contrôle en laissant transparaître peu d’émotions et de sentiments.
Il s’est plaint de ses conditions d’incarcération, mais n’a pas accepté de revenir sur l’épisode de juillet 2017 où il avait peur que ses gardiens l’empoisonnent et où il voyait de la colle sur les murs de sa cellule qu’il nettoyait, ses gardiens ayant indiqué qu’il avait aussi des hallucinations auditives où il entendait du tapage, le décrivant comme replié et agressif. Ces symptômes ont disparu lorsque l’administration pénitentiaire a aménagé ses conditions de détention très strictes (parloirs plus long, sport) et ne sont plus revenus depuis. A posteriori, les experts ont estimé qu’il s’agissait d’un épisode délirant isolé qui ne pouvait être rattaché à une psychose ou à un trouble psychiatrique.
Aucune personnalité psychopathique n’a été décelée chez lui ni aucun trouble psychiatrique au moment des faits. Les experts ont conclu à l’absence de toute pathologie mentale chez lui comme de dangerosité psychiatrique, l’estimant réadaptable sans nécessité de soins, même si un suivi est possible.
Concernant l’entretien en lui-même, ils ont décrit un homme attentif à peser chacune de ses paroles et à maîtriser ses réponses, semblant parfois lui-même surpris d’autant se confier, hésitant sur les limites de ce qu’il acceptait de dévoiler. Il oscillait entre des « protestations d’humanité » et le maintien affiché de son engagement idéologique, formulant l’attente que le rapport d’expertise le rende plus humain.
Sur son parcours de vie, ils ont noté une cassure professionnelle après un désinvestissement de l’école à l’adolescence et une adhésion à l’idéologie de l’EI. Également, il était, comme beaucoup de radicalisés, dans l’idéalisation de sa famille, étant incapable de les juger ou de livrer un quelconque conflit intime par rapport à eux. Il a beaucoup évoqué l’importance de son père, accordant beaucoup d’importance à son ressenti et souhaitant qu’il sache qu’il n’avait pas de « sang sur les mains ». Il a refusé de parler de sa fiancée.
Concernant son engagement idéologique, il mettait en avant une démarche personnelle d’engagement sans impliquer de tiers (suite aux exactions de la Coalition et de Bachar AL-ASSAD), expliquant qu’à partir du moment où il avait choisi son camp il s’agissait d’un engagement absolu, excluant tout doute ou hésitation. Il a précisé que le choix du combat était une action de guerre qui faisait nécessairement des victimes, mais qu’il n’était pas insensible à leur souffrance lors du procès, rattachant cependant cette souffrance au discours de l’EI de la violence légitimée par la violence originelle de la Coalition.
Les experts ont noté chez lui le sacrifice classique de la première tranche de vie, à savoir l’abandon de son mode de vie. A partir de là, comme tous les autres, il y a eu une inclusion dans un système totalitaire qui inhibe la « première personne ».
Il a énoncé le « bréviaire du radicalisé » sans pour autant le faire « comme un perroquet », laissant comprendre qu’il ne pouvait pas avoir de doute sinon il pourrait tomber en dépression. Ses mots ont témoigné de l’existence d’un débat interne au moins en germe chez lui pour les experts.
Les experts ont alors extrapolé ces constats en expliquant qu’il s’agissait typiquement de la question de la « banalité du mal », de se demander comment un homme a pu participer à de telles atrocités, bien qu’il n’ait pas de violence propre mais seulement d’emprunt. Ils ont alors expliqué qu’il ne fallait pas mettre en lien direct la personnalité de base avec la personne jugée car l’engagement sans faille dans ce système totalitaire de la radicalisation empêche tout débat interne, l’arsenal totalitaire le protégeant de l’homme qu’il était auparavant. Mais, aujourd’hui, ils ont indiqué que ce système pouvait se lézarder et se fendiller sans manifestation directe, le carcan dans lequel il est enfermé étant sans demi-mesure. Il n’a pas vraiment le choix même si l’émotivité contenue a effleuré à certains moments, sinon il tomberait dans la dépression. Ils ont ainsi souligné un écart entre la sensibilité propre et la détermination, le choix étant celui de la déshumanisation sans qu’il en ait conscience en tant que système de défense, indiquant qu’il ne pourrait authentiquement éprouver des sentiments à l’égard des victimes que s’il sortait de ce système de déshumanisation.
Ils ont par ailleurs expliqué qu’il ne fallait pas rentrer dans l’écueil de répondre rationnellement à un tel discours radicalisé, soulignant toutefois qu’il se montrait pédagogue dans ses explications sans jamais déraper dans l’exaltation ou la véhémence.
Ainsi, ils ont conclu que ce système constituait un déchirement avec la vie normale, protégeant de toute hésitation au profit d’un projet exalté. C’est en ce sens qu’il éprouvait un malentendu total sur le fait qu’on lui renvoie une image d’inhumanité puisque pour lui il s’agissait de « surhommes », de « super-musulmans ». Les processus psychologiques mis en avant sont ceux qui annihilent toute culpabilité, gêne ou émotion, toute contingence humaine classique puisqu’il s’agit d’une injonction divine.
Les experts ont cependant insisté sur le fait que « la forteresse commençait à vaciller » bien qu’il soit enfermé dans une prestance vis-à-vis de ses coaccusés et semblables. Il s’agit donc, pour eux, d’un homme ordinaire qui a choisi la déshumanisation et qui a aujourd’hui peur de s’en désengager, bien qu’une évolution ait été constatée chez lui vis-à-vis des victimes. Cela est démontré, à leur sens, par son double registre permanent entre ce qu’il donne à voir et ce qu’il dit.
Ils ont ainsi conclu leur explication en disant que l’enjeu pour Salah ABDESLAM était aujourd’hui de renier ou de se renier lui-même, soulignant qu’il a oscillé entre ces postures tout au long du procès, entre « le petit gars de Molenbeek et le soldat de Dieu » et que ce serait une erreur de l’enfermer dans un carcan alors qu’il a évolué au cours du procès.
Compte-rendu d'audience du 2 au 6 mai 2022
L’objet du présent compte rendu d’audience sera d’exposer, de façon synthétique et thématique, les derniers témoignages entendus. Ces témoins n’ont pu être auditionné auparavant en raison de nombreux changements de planning dus aux retards pris par l’audience, notamment lors des suspensions pour contamination des accusés au virus Covid-19.
Les témoins entendus sont les suivants :
- Bernard ROUGIER, sociologue travaillant sur la question de l’islamisme et du jihadisme (lundi 2 mai) ;
- Mohamed SIFAOUI, journaliste travaillant sur la question de l’islamisme et du jihadisme (lundi 2 mai) ;
- Marc TREVIDIC, ancien Juge à l’antiterrorisme de 2003 à août 2015 (mardi 3 mai) ;
- Nicolas HENIN, journaliste pris en otage par l’État Islamique de juin 2013 à avril 2014 (mardi 3 mai).
Trois autres témoins, deux condamnés dans l’affaire du Thalys et un condamné pour son départ en Syrie et son retour en Europe sur les ordres d’Abdelhamid ABAAOUD devaient être entendus, mais ils ont soit refusé de se présenter, soit ont décidé de garder le silence.
Remarques relatives à la période d’audience
Cette période d’audience, après une semaine de suspension, a été marquée par les derniers témoignages qui seront entendus. Le Président a décidé de ne pas entendre les autres témoins qui avaient été cités et n’avaient pu être entendus (pour des raisons de planning ou procédurales), comme Manuel VALLS ou Jean-Yves LE DRIAN, estimant que la Cour avait été suffisamment éclairée par les précédents témoignages sur les faits et leur contexte.
Ces témoignages se sont tenus dans une atmosphère particulièrement tendue concernant Messieurs ROUGIER et SIFAOUI, la Défense considérant qu’il s’agissait à son sens « d’experts autoproclamés du jihadisme » qui tenaient des discours éminemment politiques et des positions bien trop tranchées pour être celles de « véritables sachants ». Elle s’était déjà opposée à faire citer de tels témoins en ce qu’ils n’apporteraient pas les éléments permettant d’entendre quelqu’un devant une Cour d’Assises, à savoir un éclairage sur les faits, la personnalité ou la moralité des accusés.
Cela n’a pas manqué d’entraîner de nombreux incidents avec les Avocats de partie civile ayant fait citer ces témoins.
Il y a eu également la reprise des auditions de parties civiles à compter du mercredi 4 mai. Cependant, ces auditions ont été brutalement interrompues vendredi 6 mai en raison de la contamination de Farid KHARKHACH par le virus Covid-19.
Le procès a donc été suspendu jusqu’au 17 mai. Les auditions de parties civiles devraient reprendre du mardi 17 mai au vendredi 20 mai, les plaidoiries des Avocats de partie civile devant débuter le lundi suivant.
Les témoignages des « spécialistes du jihadisme »
Monsieur ROUGIER a expliqué avoir tiré son expérience de la rencontre avec un groupe jihadiste affilié à Al-Qaïda (groupe ZARQAOUI). Son analyse s’est attachée à exposer l’évolution jihadisme et de sa doctrine, élément que nous avons déjà abordé.
Il a précisé qu’il y avait eu une imprégnation salafo-islamiste dans certains quartiers en Europe à la fin des années 90 grâce à un travail de prédication, cette influence ayant recodé le fonctionnement social dans ces quartiers. Il a également souligné l’influence importante en prison de la doctrine jihadiste sur ceux qui cherchent une rédemption. Selon lui, l’imaginaire du jihad fonctionne selon une émulation collective qui permet d’expliquer la cohabitation des référentiels religieux stricts avec le mode de vie occidental (fête, alcool, drogue, jeux d’argent etc.), expliquant notamment que la vente de stupéfiants n’est pas interdite aux « mécréants » et même encouragée puisqu’elle permet de les affaiblir.
Enfin, il a proposé une simplification de l’organisation des réseaux en termes de recrutement : les experts qui sont très recherchés, les tueurs qui sont facilement remplaçables, les complices dans certains quartiers qui vont protéger en trouvant des planques ou sécurisant, et enfin les régisseurs indispensables à un attentat de grande ampleur qui amènent les opérationnels et repèrent les lieux.
Il s’est montré extrêmement tranché dans ses propos, expliquant que pour lui on ne peut pas adhérer ou participer d’une quelconque manière sans connaître le projet dans sa globalité, que le discours humanitaire ne tenait pas, prêtant parfois des pensées aux accusés comme le fait qu’ils ne reconnaîtraient aucune légitimité à la Cour d’Assises car elle n’est pas divine.
La Défense s’est montrée offensive face à ces constats tranchés, rappelant qu’on jugeait des accusés et non une cause ou une moralité collective, qu’il ne pouvait par ailleurs pas s’exprimer en n’ayant pas lu le dossier, ce à quoi il a opposé qu’il avait lu la presse pour s’exprimer. Il a par ailleurs été souligné qu’il se posait en expert alors qu’il n’avait rencontré aucun membre réel de l’État Islamique, seulement des membres d’Al-Qaïda et des sympathisants de l’État Islamique, alors que ces deux groupes sont totalement différents. Dès lors, son analyse a été qualifiée d’illégitime et proche du néant, ce à quoi il a opposé qu’il était impossible de rencontrer de réels membres de l’État Islamique. Un Avocat de la Défense lui a alors rétorqué qu’il en avait rencontré cent quant à lui, tandis qu’un autre Avocat disait que certains journalistes et sociologues en avaient pourtant rencontrés. Enfin, la Défense a demandé que soit versé aux débats un article le concernant qui expliquait que son analyse était beaucoup trop engagée et politique, comme il le revendiquait lui-même au demeurant.
Concernant Monsieur SIFAOUI, le même constat peut être dressé. Il a exposé ses théories qui ont été jugées très engagées et qui ont parfois choqué.
La Défense a souligné à nouveau son manque de légitimité dans ses analyses puisqu’il n’avait pu rencontrer que des membres d’Al-Qaïda, rappelant par ailleurs qu’il n’apportait rien aux débats en termes de faits, personnalité ou moralité des accusés, et qu’ainsi son témoignage était complètement déconnecté des débats.
Le témoignage de Marc TREVIDIC
Le témoignage de l’ancien Juge a constitué un véritable retour d’expérience de ses dix années passées à l’antiterrorisme visant à mieux expliquer ce qui avait pu amener aux attentats du 13 novembre 2015 et au dépassement de la Justice et des forces de police et de renseignement face à ce phénomène. Il s’est montré pédagogue et n’a pas hésité à être très franc dans ses appréciations, parlant sans « langue de bois ».
Il a retracé l’évolution des groupes terroristes, notamment avec la radicalisation sur internet à partir de 2006-2007 et en rappelant que toutes les filières étaient franco-belges depuis la fin des années 90. Il a également évoqué l’évolution de la Justice sur ce point : quand elle ne poursuivait qu’en cas de départ et retour avec un projet terroriste, elle était arrivée à la poursuite de l’intention de partir. A titre d’exemple, il a rappelé que pendant une certaine période les mineurs ne pouvaient pas être poursuivis alors qu’ils pouvaient être plus radicalisés et dangereux.
En outre, cette période correspondait à une guerre ouverte entre services de renseignement à une période pourtant du « tout renseignement » et à une baisse des effectifs judiciaires dédiés au terrorisme avec le tarissement des filières irakiennes pour rejoindre Al-Qaïda. Cet appauvrissement de l’arsenal antiterroriste s’expliquait, selon lui, par un sentiment d’invulnérabilité car la France n’avait pas connu d’attentat sur son sol depuis 1996.
Pourtant, cette période correspond à la montée d’une radicalisation très forte sur internet avec des forums jihadistes qui arrivaient toujours à rester à la limite de la légalité, tout en faisant de l’apologie et du recrutement massif.
Les attentats de Mohammed MERAH en 2013 ont débordé les services de renseignement avec la théorie erronée du « loup solitaire » (alors qu’il avait rejoint Al-Qaïda sur zone), ces derniers se dispersant pour tenter d’identifier les individus potentiellement dangereux. Cette affaire a également noyé la Justice puisque tout a été judiciarisé après (projets de départ, intention de partir, suspicion d’adhésion à l’idéologie etc.).
Par ailleurs, le phénomène de l’appel de la Syrie en 2013-2015 était inédit et il était impossible pour le système, qui ne fonctionnait plus, de surveiller correctement les partants aux profils hétéroclites : vétérans du jihadismes, jeunes radicalisés sur internet, familles entières. Il a également rappelé que l’entourage familial et amical pouvait tout à fait ignorer la radicalisation de leur proche, bien qu’il ait pu arriver qu’ils le sachent et le dissimulent. La doctrine officielle était d’éviter tous les départs, même s’il a reconnu que certains avaient été laissés libres de partir face au débordement des services car on pensait qu’ils ne reviendraient pas.
Ce phénomène était fortement incompris car Al-Qaïda et l’État Islamique n’avaient absolument pas le même type d’organisation. Al-Qaïda fonctionnait avec groupes traditionnels de personnes sachantes sur le plan religieux et organisées comme la filière Artigat des frères CLAIN, renvoyant des agents dormants en Europe, ne recrutant ni femmes, ni enfants, ni psychopathes. Le renseignement travaillait donc sur des personnes connues qui pouvaient être surveillées. L’État Islamique, lui, a ouvert les vannes à tous, décidant de faire le tri par la suite car les individus étaient facilement interchangeables en cas de pertes. Cela correspondait à un changement de mentalité et de génération, une volonté de laisser ses problèmes derrière et de devenir quelqu’un au sein de l’État Islamique, mais également à un sentiment de surpuissance avec la proclamation du Califat.
Le débordement des services de renseignement a empêché le contrôle des retours ou des allers-retours, entraînant une situation d’insécurité totale alors que des informations arrivaient sur la volonté claire de frapper la France. Selon lui, tous les signaux étaient au rouge et les attentats déjoués étaient clairement des « coups de chance » tant les policiers et juges étaient impuissants.
Les attentats de janvier 2015 ont, selon lui, fini de complètement noyer le système.
Lorsqu’il a quitté ses fonctions en août 2015, il a interrogé un revenant de Syrie, Reda HAME, qui lui a révélé qu’Abdelhamid ABAAOUD l’avait envoyé en Europe en lui demandant de trouver une route sûre, ainsi que le fait qu’il lui aurait dit qu’il y aurait bientôt un attentat dans un concert de rock où il faudrait faire une prise d’otage et un maximum de victimes pour choquer la France. Il a alerté les services de renseignement à ce sujet et s’est montré particulièrement en colère que cela n’ait pas été pris au sérieux, qu’il n’ait pas existé une liste de lieux déjà visés par des menaces comme le Bataclan, ce qui aurait permis de l’identifier comme une cible de choix.
Il a par ailleurs exprimé des regrets importants de n’avoir pas constaté la dangerosité de Samy AMIMOUR quand il l’a mis en examen en avril 2012 pour sa première tentative de départ. Il a cependant expliqué qu’il avait fait le choix de le placer son contrôle judiciaire pour ne pas aggraver sa radicalisation en prison, mais que cela était imparfait puisqu’il n’y avait pas de bracelets électroniques à l’époque. Il n’avait d’ailleurs pas été informé de son départ jusqu’à ce qu’il se renseigne auprès des services de renseignement tant il n’y avait pas de communication à l’époque.
Interrogé par la Défense, qui l’a remercié pour son analyse objective, il s’est inscrit en faux face aux théories exposées par Messieurs SIAFOUI et ROUGIER, rappelant qu’il était tout à fait possible que les accusés aient aidé sans savoir qu’il participait à un attentat puisqu’il avait déjà été constaté une porosité entre les milieux de la délinquance classique et ceux du jihadisme, les premiers ayant une analyse nécessaire aux seconds qu’ils peuvent mettre à leur disposition sans avoir conscience de leur radicalisation et du projet final.
Le témoignage d’un ex-otage de l’État Islamique
Le témoignage de Nicolas HENIN, ancien journaliste et otage de l’État Islamique de juin 2013 à avril 2014, a été particulièrement émouvant. Outre le récit de sa dure captivité et de son quotidien durant celle-ci aux côtés des otages qui ont été exécutés par la suite, il a fourni des informations très intéressantes sur l’organisation du groupe et sur certains des futurs protagonistes des attentats du 13 novembre.
Il a notamment expliqué qu’il avait assisté à la naissance de la Cellule des opérations extérieures (COPEX) qui, à l’origine, était un sous-groupe de la Liwa As-Saddiq (unité d’élite ndlr.) s’occupant des otages. Elle était composée d’un noyau dur comprenant Oussama ATAR, Najim LAACHRAOUI, Mehdi NEMMOUCHE ou encore AL-ADNANI. Il a ainsi pu décrire la personnalité de certains d’entre eux qui deviendraient les acteurs les plus importants des attentats du 13 novembre.
Concernant Oussama ATAR, il avait été frappé par sa volonté de rester discret, faisant par exemple semblant de ne pas comprendre ce qu’il disait en français et passant par Najim LAACHRAOUI pour transmettre ses instructions. Il faisait le lien entre AL-ADNANI, qui dirigeait la COPEX à ce moment-là, et le Bureau des médias de l’État Islamique, étant présent lors des exécutions des otages (selon lui, ce n’était pas n’importe qui qui y assistait, élément à rapprocher donc de la présence d’Osama KRAYEM lors de celle du pilote jordanien où il a dit avoir fait de la simple figuration pour la vidéo ndlr.).
Najim LACCHARAOUI l’a beaucoup marqué et il a vu son évolution fulgurante au sein de la hiérarchie. Il l’a décrit comme quelqu’un de très convaincu qui était dans une sorte de croisade positive où il était persuadé de faire le bien, se berçant dans un idéal en refusant de voire les dissensions par exemple. Il était le geôlier le plus « humain » puisqu’il ne les maltraitait pas et leur donnait de la nourriture en cachette, prenant le temps de discuter avec eux. Il l’a vu passer d’assistant de Mehdi NEMMOUCHE à homme de confiance des plus hauts gradés, Oussama ATAR et les geôliers les plus cruels qui dirigeaient les autres, surnommés les « Beatles ».
Quant à Mehdi NEMMOUCHE, il était l’exact opposé de LAACHRAOUI et se démarquait des autres geôliers, étant clairement parti pour revenir en Europe commettre un attentat. Il s’amusait à dire aux otages qu’il espérait qu’ils témoigneraient de son parcours lors de son procès.
Il n’a pas su dire s’il a pu rencontrer certains des accusés sur zone puisqu’il avait souvent les yeux bandés. Il s’est retourné furtivement vers eux avec beaucoup de réticence et a soufflé qu’il pensait ne pas les avoir rencontrés.
Compte-rendu d'audience du 4 au 20 mai 2022 (Parties civiles)
L’objet du présent compte rendu d’audience sera de présenter une synthèse des dernières auditions de parties civiles qui n’avaient pu être entendues au début du procès.
Cette période a été interrompue du 6 au 17 mai en raison de la contamination de Farid KHARKHACH au virus Covid-19.
De manière générale, on peut effectuer le même constat que lors de la première session d’auditions de parties civiles. La même soirée d’horreur était décrite, les mêmes traumatismes en découlant, les mêmes difficultés avec le statut de victime et la FGTI, ainsi que, la plupart du temps, le refus de la haine.
Cependant, étant donné que ces témoignages sont intervenus après de nombreux mois d’audience, un certain nombre de parties civiles ont évoqué deux points inédits jusqu’alors :
- Pour certaines, le procès a permis de les faire avancer dans le processus de guérison. Ces victimes ont pu évoquer le fait qu’avec le procès, le stress post-traumatique se faisait moins prégnant au quotidien, certaines ayant même pu recommencer à faire des choses complètement exclues de leur quotidien depuis six ans (aller au cinéma, prendre les transports en commun, prendre un verre en terrasse etc.). Les victimes ayant évoqué ce point ont donc tenu à mettre en avant la vertu réparatrice du procès, ce dernier constituant une étape supplémentaire dans leur long cheminement de relèvement ;
- Dans cette ligne réparatrice, un certain nombre de victimes ont évoqué la communauté créée entre elles au cours du procès. Notamment, beaucoup ont évoqué leur soulagement d’avoir retrouvé des inconnus, compagnons infortunés de cette nuit, en vie. Cela a pu aider certains à mettre de côté leur culpabilité quand ils n’avaient pas pu aider cet inconnu pour leur propre survie ou celle de leurs proches, ou à se défaire d’images traumatiques qui les hantaient depuis six ans en étant persuadés que cet inconnu n’avait pu survivre.
Par ailleurs, cette session d’auditions a été marquée par les témoignages de nombreux secouristes et membres des forces de l’ordre. Ceux-ci ont mis en lumière le dilemme kafkaïen qui les avait tenus lors de cette nuit et même jusqu’à aujourd’hui : être dans son rôle tout en étant victime, être choqué mais devoir prendre des décisions pouvant parfois condamner d’autres victimes, décisions qui les hantaient encore aujourd’hui.
Les témoignages Jesse HUGHES et Eden GALINDO, du groupe Eagles of Death Metal
Les témoignages de deux membres du groupe Eagles of Death Metal (Jesse HUGHES le chanteur et Eden GALINDO l’ex-guitariste) ont été particulièrement émouvants. Ils ont décrit leur nuit du Bataclan et le bouleversement qu’elle avait engendré dans leurs vies à jamais. Eden GALINDO a expliqué être encore traumatisé à ce jour par le regard des victimes lors de l’attaque qu’il ne pouvait aider et qu’il pensait encore à elles et leurs familles chaque jour.
Jessie HUGUES a quant à lui évoqué avec une voix étranglée d’émotion que « 90 de mes amis ont été tués de manière haineuse devant nous » et qu’en s’enfuyant « nous savions déjà que l’on avait perdu des amis car dans mon esprit, tous ceux qui étaient au concert ce soir-là étaient des amis », rappelant le fort sentiment qui liait le groupe à sa communauté de fans. Il n’est revenu qu’à demi-mots sur ses sorties polémiques dans la presse suite aux attentats, indiquant qu’il avait fait beaucoup d’introspection et était « complètement à l’ouest » à ce moment-là. Sur les auteurs dans attentats, il a indiqué « Ce qu’ont voulu faire les auteurs, c’est de réduire au silence la musique, la joie de vivre. Ils ont échoué », ajoutant que « le mal n’avait pas vaincu » mais qu’il leur avait cependant pardonné et priait pour « ces pauvres âmes » en regardant le box. Il a conclu son témoignage en citant Ozzy OSBOURNE « You can’t kill rock’n’roll ».
Suite à ces deux témoignages, une suspension a été décidée et un moment d’une grande émotion s’est produit : de nombreuses victimes se sont approchées de Jesse HUGUES qui les a pris un à un dans ses bras en larmes, dans un moment de communion d’une rare intensité qui a bouleversé toutes les personnes présentes dans la salle, victimes comme acteurs du procès. Ce moment a été ressenti par tous comme l’un des plus forts et émouvants du procès.
Compte-rendu d'audience du 23 mai au 7 juin 2022 (Parties civiles)
L’objet du présent compte rendu d’audience sera de présenter une synthèse des plaidoiries des Avocats de parties civiles.
Trois types de plaidoiries ont été décidées au vu du nombre importants d’Avocats de parties civiles (plus de 300) :
- Des plaidoiries collectives autour de thèmes transversaux permettant au plus grand nombre de victimes de se retrouver dans celles-ci ;
- Des plaidoiries individuelles, souvent pour porter la voix de victimes en particulier ou sur un thème particulier non abordé en plaidoiries collectives ;
- Des plaidoiries mémorielles de quelques minutes en début d’audience pour les familles de victimes en ayant fait la demande afin d’évoquer la mémoire de leur disparu.
De l’ensemble de ces plaidoiries, il est ressorti des thèmes récurrents, à savoir :
- Des plaidoiries à coloration politique autour de la radicalisation, du terrorisme et de l’État Islamique ;
- Des plaidoiries plus philosophiques prenant de la distance avec le procès ;
- Des plaidoiries pour chaque lieu d’attentat ;
- Des plaidoiries qui rappelaient les témoignages des parties civiles qui étaient venues déposer leur douleur à la Cour ;
- Des plaidoiries sur les traumatismes des victimes dans tous leurs aspects (physiques, psychologiques, stress post-traumatique, culpabilité du survivant, addictions comme échappatoire ;
- Des plaidoiries sur l’espoir après les attentats et sur l’entraide et l’humanité qui avaient émergés lors de ceux-ci ou lors du procès ;
- Des plaidoiries sur les victimes oubliées du procès : les enfants des victimes, celles qui n’avaient pas la force d’assister au procès, les victimes étrangères, les primo-intervenants, forces de l’ordre etc. ;
- Certaines, plus isolées, s’adressaient directement aux accusés ou les invectivaient.
Dans l’ensemble, ces plaidoiries ont offert une certaine cohérence, même si certaines dénotaient, recouvrant tout ce qui pouvait être dit pour porter la voix de la communauté de victimes et des parties civiles.
Compte-rendu d'audience du 8 au 10 juin 2022 (Requisitions)
L’objet du présent compte rendu d’audience sera de présenter une synthèse des réquisitions du Ministère Public qui se sont tenues sur trois jours et ont été menées en alternance par les trois avocats généraux :
- Camille HENNETIER,
- Nicolas LE BRIS et
- Nicolas BRACONNAY.
Les réquisitions sont le moment où le Ministère Public, qui représente la société, reprend l’ensemble des charges et des faits qu’il retient à l’encontre des accusés, énumérant les preuves contre eux, avant de réclamer des peines en application de la loi.
Dans l’ensemble, celles-ci ont repris l’arrêt de mise en accusation (AMA) qui avait été déjà lu lors de l’ouverture du procès, l’agrémentant des débats des neuf derniers mois, des éléments apparus à l’audience, des éléments apportés par les Avocats de parties civiles et de la défense, et enfin des déclarations des accusés. Ils ont repris point par point, accusé par accusé, thème par thème, les éléments du dossier pour ne laisser aucun doute subsister.
Les Avocats généraux n’ont cessé de souligner qu’ils n’avaient pas été convaincus par les déclarations des accusés ou par la défense de leurs Avocats, les réfutant en bloc. Par exemple, pour Salah ABDESLAM, ils ont estimé que ses déclarations sur son renoncement n’ont eu que pour but d’essayer d’amoindrir son lien avec les commandos du 13 novembre, et, qu’en tout état de cause, son éventuel renoncement n’avait aucune incidence sur sa culpabilité, indiquant qu’ils avaient l’intime conviction qu’il avait bien tenté d’actionner son gilet d’explosifs malgré ses explications.
Tout au long de ces réquisitions, et plus particulièrement lors du dernier jour, le récit de cette nuit d’horreur a été rappelé, les témoignages des parties civiles ont été repris en soulignant leur importance. La douleur des victimes a imprégné de façon constante les réquisitions, les Avocats généraux rappelant la confiance qu’elles avaient placé dans la Justice.
Lors du dernier jour, Camille HENNETIER, qui mène l’accusation et est présente dans le dossier du 13 novembre 2015 depuis le soir des attentats où elle s’est rendue sur les lieux des attaques avec l’ancien Procureur de Paris François MOLINS, a eu la difficile tâche de requérir les peines.
Camille HENNETIER s’est d’abord montrée pédagogue en rappelant les peines qui pouvaient être prononcées et le principe de personnalisation des peines, énumérant les possibilités qui s’offraient à l’accusation et les peines prononcées dans des affaires de terrorisme ces dernières années.
Elle a alors indiqué que les peines seraient très lourdes en ce que leur motivation devait être l’écho et le reflet de la somme colossale de souffrances causées aux victimes, citant Maître BIBAL, Avocat de parties civiles. Elle a souligné que la Cour devait se poser la question de savoir si l’on est certain que les accusés renonceraient aujourd’hui et à l’avenir, déclarant : « On ne peut en aucun cas être condamné pour ce que l’on pense, mais on doit être condamné pour ce que l’on a fait au nom de ce que l’on pense ».
Elle a commencé par énumérer les peines pour les absents, les présumés morts, qui devaient être condamnés lourdement au maximum encouru par mesure de sûreté comme suit :
- Oussama ATAR : Perpétuité avec une période de sûreté incompressible de 30 ans et une interdiction définitive du territoire français ;
- Les frères CLAIN : Perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans ;
- Obeida Aref DIBO : Perpétuité avec une période de sûreté incompressible de 30 ans et une interdiction définitive du territoire français
- Omar DARIF : Perpétuité avec une période de sûreté de 30 ans et une interdiction définitive territoire français.
Puis, elle a évoqué les peines requises à l’encontre des accusés présents :
- Salah ABDESLAM : Perpétuité avec une période de sûreté incompressible (maximum encouru requis) ;
- Mohamed ABRINI : Perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru requis) ;
- Mohammed AMRI : 8 ans d’emprisonnement et une interdiction du territoire français de 10 ans (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Yassine ATAR : 9 ans d’emprisonnement avec une période de sûreté des 2/3 et une interdiction du territoire français de 10 ans (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Mohamed BAKKALI : Perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru requis) ;
- Ali EL HADDAD ASUFI : 16 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des 2/3 et une interdiction définitive de territoire français (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Sofien AYARI : Perpétuité avec une période de sûreté de 30 ans et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru requis) ;
- Osama KRAYEM : Perpétuité avec une période de sûreté de 30 ans et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru requis) ;
- Adel HADDADI : 20 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des 2/3 et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Muhammad USMAN : 20 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des 2/3 et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Farid KHARKHACH : 6 ans d’emprisonnement avec une interdiction du territoire français de 10 ans :
- Hamza ATTOU : 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt et une interdiction du territoire français de 10 ans (mandat de dépôt pouvant être différé) (maximum encouru requis) ;
- Abdellah CHOUAA : 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt et une interdiction du territoire français de 10 ans (mandat de dépôt pouvant être différé) (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Ali OULKADI : 5 ans d’emprisonnement sans mandat dépôt (maximum encouru : 30 ans de réclusion criminelle) ;
- Ahmed DAHMANI : 30 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des 2/3 et une interdiction définitive du territoire français (maximum encouru : perpétuité).
Camille HENNETIER a conclu ce réquisitoire lourd avec la phrase suivante : « Votre verdict pourra assurer que c’est ici la Justice et le Droit qui ont le dernier mot ».
Compte-rendu d'audience du 13 au 27 juin 2022 (Plaidoiries de la Défense)
L’objet du présent compte rendu d’audience sera de vous proposer une synthèse des plaidoiries des Avocats de la Défense ainsi que des dernières paroles des accusés.
Les plaidoiries de la Défense
Ali OULKADI (lundi 13 juin) : Maître Marie DOSE a évoqué la personnalité d’OULKADI, le fait que ce dossier et ce procès l’ont marqué à vie. Il a toujours refusé que ce dossier soit le sien car il n’était pas un terroriste, rappelant qu’il avait pleinement coopéré. Elle a souligné qu’il n’avait jamais vu d’engagement violent chez Brahim ABDESLAM et que lorsqu’il a rencontré Salah ABDESLAM le 14 novembre 2014, ce dernier s’était présenté en victime et ne lui avait jamais parlé de sa ceinture d’explosifs. Elle a donc remis en cause les qualifications d’association de malfaiteurs terroriste et de recel de terroriste puisqu’OULKADI n’a jamais eu de complaisance envers eux et que ces qualifications ne peuvent pas être constituées par la seule prise de conscience de l’intérêt d’un ami pour le jihadisme ou le simple fait de continuer à fréquenter le Café des Béguines.
Elle a par ailleurs souligné les débordements de certains Avocats de partie civile, les opposant à l’attitude de certaines parties civiles à l’égard d’OULKADI qui ont pu les contrebalancer, citant par exemple le fait, évoquant les bonjours et gestes de sympathie qu’elles ont eu à son égard au quotidien durant le procès.
Elle a conclu sa plaidoirie en indiquant que la Justice et le droit devaient avoir le dernier mot, donc que l’association de malfaiteurs terroriste et le recel de terroriste ne pouvaient être retenus à l’encontre d’OULKADI.
Maître Judith LEVY a pris la suite en pointant du doigt les nombreux manquements de l’enquête belge qui avait pourtant rapidement établi l’absence totale de radicalisation d’OULKADI. Elle a cité, à titre d’exemple, le fait qu’il était établi que Brahim ABDESLAM pratiquait la taqiya (dissimulation de sa foi et de sa radicalisation), qu’on avait pris un témoin fort peu fiable pour combler les lacunes de l’enquête, ou encore qu’OULKADI ne connaissait pas les autres protagonistes du dossier. Elle a indiqué que le Parquet tenait à ses qualifications pour ne pas perdre la face mais qu’il ne pouvait être suivi car une peine supérieure à 3 ans entraînait une incarcération automatique en Belgique, ce qui ne correspondait pas à la réalité des faits. Elle a conclu en disant que les souffrances des victimes ne devaient pas être une motivation de la peine comme cela avait été réclamé par un Avocat de partie civile.
Hamza ATTOU (lundi 13 juin) : Maître Delphine BOESEL a plaidé sur le principe de personnalisation des peines, rappelant la pleine coopération d’ATTOU durant toute l’enquête et le procès, reconnaissant être allé chercher Salah ABDESLAM à Paris dès son arrestation. Pourtant, elle a indiqué regretter que les réquisitions donnent l’impression que l’on n’avait pas tenu compte de ces dix derniers mois de procès, les qualifiant de « vengeresses ». Elle a rappelé son histoire de vie chaotique et son jeune âge au moment des faits. Elle a également souligné la difficulté pour lui d’affronter ce procès seul, sans soutien de sa famille, de devoir faire face à certaines généralisations opérées par les Avocats de partie civiles. Mais, aussi, les moments d’humanités partagés avec des victimes durant ces longs mois, les regards qui se sont adoucis et les manifestations de sympathie.
Maître Delphine PACI a enchaîné en rappelant qu’ATTOU ne s’intéressait à l’époque qu’à son cannabis, s’en procurer et en vendre pour en avoir, il ne voyait rien autour et ne s’intéressait pas au monde, rappelant sa faible éducation. Il était d’ailleurs peu présent aux Café des Béguines pour justement assurer la vente de cannabis au profit de Brahim ABDESLAM, il n’a pas participé aux supposées séances de visionnages de vidéos de propagande de l’EI, ayant été mis en cause par un témoin peu fiable. Elle a rappelé que Brahim pratiquait la taqiya et qu’il était compliqué de dénoncer tout le monde au vu de l’omniprésence de la religion à l’époque, surtout quand l’on peut légitimement penser que ceux qui adhérent à une idéologie ne passent pas forcément à l’acte. Elle a rappelé que son amendement avait commencé dès le 14 novembre 2015 et que la prison n’avait jamais permis l’amendement et la réinsertion de quiconque, demandant donc de limiter la peine à la période de détention qu’il a déjà effectué, notamment eu égard à sa personnalité, son jeune âge et son état de santé dégradé. Elle a conclu sa plaidoirie en disant : « La liberté ne va triompher que si on ne s’assied pas sur ses principes ».
Abdellah CHOUAA (mardi 14 juin) : Maître Gwenaël POIRIER a rappelé que CHOUAA avait été libéré sous contrôle judiciaire, donc qu’il avait été estimé que sa parole avait de la valeur. Il a souligné tous les efforts qu’il a fait, notamment financiers et de séparation avec sa famille, pour le procès puisqu’il a une attente incommensurable envers la Cour de se voir enfin innocenté. Enfin, après avoir évoqué son parcours de vie, il a rappelé qu’aucun élément ne permettait de dire qu’il était radicalisé et qu’il n’avait aucun caractère manipulatoire selon l’expert psychiatre qui l’a examiné, ce que le Parquet avait fini par reconnaître dans son réquisitoire.
Maître Adrien SORRENTINO a enchainé sur une plaidoirie habitée et envolée, ouverte avec la déclaration suivante : « Heureux les simples d’esprit : ils verront Dieu. Heureux ceux qui avaient vu et qui ne sont pas là aujourd’hui. Malheureux celui qui n’a pas vu, qui n’a pas su et qui se retrouve ici. Heureux ceux qui avaient tout à voir et qui n’ont rien fait ». Il a démonté point par point les éléments du dossier concernant son client afin de démontrer qu’il ne s’agissait que d’hypothèses. Il a ainsi rappelé à quel point ABRINI avait dupé tout le monde et en particulier son ami CHOUAA, que ce dernier ne pouvait par exemple pas se douter en l’amenant à l’aéroport que son ami partirait en Syrie et qu’il n’y avait donc aucune intentionnalité permettant de caractériser les infractions retenues à son encontre. Il a mis cela en parallèle de l’attitude de CHOUAA qui, tétanisé, a pu déclarer des choses maladroites quand le fait qu’il dise qu’il ne savait pas ou plus ne convenait pas. Il a rappelé que ce dernier avait lui-même dénoncé son frère lorsqu’il voulait partir en Syrie. Au terme d’une démonstration magistrale de l’incohérence des éléments du dossier, il a sollicité l’acquittement de CHOUAA en rappelant que l’on ne pouvait le condamner sur du doute et des hypothèses et que le doute doit toujours profiter à l’accusé, que l’on ne peut condamner en prononçant l’absurde comme le propose le Parquet, rappelant que ses six ans d’abnégations et dix mois de communion avec les victimes devaient être pris en compte. Il a conclu par la phrase suivante en reprenant son ouverture : « Heureux ceux qui ont vu mais qui n’ont pas été pris (…) et j’espère pouvoir vous dire Monsieur CHOUAA, heureux les affligés, car ils seront acquittés ».
Mohammed AMRI (mardi 14 juin) : Maître Negar HAERI a commencé en se livrant à une démonstration très technique, contestant chaque élément du dossier reproché à son client et pointant du doigt les nombreuses incohérences qui s’y trouvent afin de démontrer qu’AMRI n’avait pas connaissance des projets funestes de Brahim ABDESLAM. Elle a d’ailleurs rappelé qu’il ne pouvait avoir conscience de sa radicalisation puisqu’il l’avait « vu jouir de la vie et il a joui de la vie avec lui », qu’il l’avait simplement vu regarder des vidéos et lui avait dit d’arrêter avec d’autres, le qualifiant de « zinzin ». Elle a rappelé que louer une voiture est un acte équivoque, qu’aller chercher un ami loin était une habitude pour lui sur le voyage où il a ramené Salah ABDESLAM. Elle a conclu en disant que trois éléments permettaient d’acquitter AMRI : l’absence de connaissance de l’adhésion à l’idéologie jihadiste des frères ABDESLAM, l’absence de connaissance de leurs volontés et enfin l’absence de preuve de la volonté d’AMRI d’y participer.
Maître Xavier NOGUERAS a continué sur les incohérences en invitant la Cour à être « des juges libres » et qu’ils sauront « dans l’intimité de cos délibérations dire si oui ou non à la lumière de ce qu’a dit Negar HAERI ». Il a rappelé qui était AMRI, qu’il « adore rouler, il écoute Jul, Kamikaz, c’est Jason Statham, Moi moche et méchant » dressant un contraste certain avec ce qu’on attend de quelqu’un qui aide un terroriste par adhésion. Après de nombreuses envolées, il a conclu en disant « et si vous avez deux minutes, pensez à l’acquitter aussi ! ».
Muhammad USMAN (15 juin) : Ses trois Avocats, Maîtres Karim LAOUAFI, Edward HUYLEBROUCK et Merabi MURGULIA se sont succédés pour rappeler qu’USMAN était le grand oublié. Ils ont coupé court aux spéculations, disant qu’ils n’allaient pas solliciter l’acquittement car il était bien allé en Syrie et était venu en France avec un dessein criminel, mais que celui-ci n’était qu’au stade embryonnaire et qu’il n’était pas logique de demander le maximum alors qu’il n’avait participé à aucun préparatif au seul argument du « mythe du quatrième commando ». Ils ont déconstruit les théories les plus folles à son sujet comme sa date de naissance qui est bien connue, son appartenance imaginaire à un groupe terroriste penjabi ou encore sa supposée présence sur une vidéo où il exécuterait un otage de l’EI jamais retrouvée. Ses conditions de détention difficile en raison de problèmes de santé ont également été exposées. Il a été sollicité qu’il soit condamné justement pour ce qu’il avait fait et qu’il ne soit pas tenu comptable de tous les attentats parce qu’il faisait partie de l’EI. Maître MURGULIA a conclu en évoquant l’épisode où il est passé avec son fourgon devant l’Arc de Triomphe, ce qui l’avait enthousiasmé comme un enfant, en demandant qu’il puisse dire « J’ai vu deux choses en France : j’ai vu un grand Arc et j’ai vu une grande Justice ».
Adel HADDADI (15 juin) : Maître Simon CLEMENCEAU s’est attaché à rappeler qu’HADDADI a reconnu une grande partie des faits lors de son arrestation, qu’il a même indiqué de nombreux éléments encore non connus comme l’implication d’Oussama ATAR et qu’il a grandement aidé les enquêteurs à avancer. Maître Léa DORDILLY a quant à elle rappelé que son adhésion à l’EI relevait davantage de la faiblesse de caractère que d’une volonté déterminée et qu’en avouant, dénonçant et coopérant il s’est affranchi de son engagement idéologique. Tous deux ont appelé à ce que la peine prononcée à son encontre tienne compte de sa coopération et de sa personnalité, ainsi que de son parcours de vie difficile.
Farid KHARKHACH (16 juin) : Ses deux Avocats, Maîtres Fanny VIAL et Marie LEFRANCQ, se sont attachées, comme tout au long de l’audience, à démonter point par point les éléments à son encontre tendant à essayer de démontrer qu’il connaissait la radicalisation de Khalid EL BAKARAOUI quand il lui a fourni de faux papiers. Elles ont expliqué qu’il aurait dû être jugé à Paris Bis, le procès annexe qui s’est tenu à Bruxelles pour ceux qui ont fourni une aide minime sans connaissance du dessein terroriste. Elles ont rappelé qui était KHARKHACH, que toute radicalisation avait été écartée le concernant, qu’il était naïf et sa grande fragilité psychologique, et qu’il n’aurait certainement pas accepté une implication dans les attentats pour quelques centaines d’euros. Maître VIAL a appelé de ses vœux que « Ce procès (soit) un endroit où on juge les hommes pour ce qu’ils ont fait et uniquement ce qu’ils ont fait, pas une réponse directe à la souffrance des victimes ».
Ali EL HADDAD ASUFI (17 juin) : Maître Jonathan DE TAYE a rappelé que la Juge d’instruction PANOU avait dit que dans le dossier des attentats de Bruxelles elle « ne prenait que ce qui l’intéressait » et qu’elle avait écarté des éléments à décharge comme ils ont pu le mettre en lumière lors de l’audience. Il a déconstruit l’implication supposée d’EL HADDAD ASUFI dans la recherche d’armes en Hollande. Il est ensuite revenu sur l’absence de radicalisation visible chez Ibrahim EL BAKRAOUI, l’ami d’EL HADDAD ASUFI. Enfin, il est revenu sur les différences incompréhensibles entre le cas d’EL HADDAD ASUFI qui est présent à ce procès et des amis d’enfance d’EL BAKRAOUI qui sont présents à celui de Paris Bis où les peines requises ont été moins lourdes car le Parquet n’a pas été dupe et a su voir les vraies responsabilités. Il a conclu en disant qu’EL HADDAD ASUFI avait confiance en la Cour.
Maître Menya ARAB TRIGRINE s’est quant à elle attachée à questionner dans sa plaidoirie la radicalisation, essayant de déconstruire certains biais d’interprétation et raccourcis à renfort d’une pléthore d’exemples et d’images. Elle a ensuite appliqué ces réflexions au cas d’EL HADDAD ASUFI.
Enfin, Maître Martin MECHIN est revenu sur les autres éléments reprochés à EL HADDAD ASUFI (avoir conduit Ibrahim EL BAKRAOUI à l’aéroport, puis en Grèce, lui avoir trouvé un appartement et l’avoir fréquenté sur la période entourant les attentats). Il a démontré que ces éléments ne tenaient pas et ne relevaient que d’interprétations avec son ton taquin habituel. Il a demandé à la Cour de mettre son délibéré au niveau d’EL HADDAD ASUFI, un petit trafiquant de stupéfiant et pas un terroriste.
Osama KRAYEM (lundi 20 juin) : Ses deux Avocats, Maîtres Gisèle STUYCK et Margaux DURAND-POINCLOUX, se sont attachées à demander à ce qu’il soit condamné pour ce qu’il avait fait et uniquement cela, pas sous le prisme du « bourreau du pilote jordanien ». Elles ont rappelé qu’aucun élément ne permettait de prouver qu’il avait participé aux préparatifs des attentats ou encore qu’il était réellement allé à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol pour y commettre un attentat. Quant à une galvanisation des opérationnels, elle était bien impossible puisqu’il ne parlait pas français. Leur plaidoirie peut être résumée par le fait que seule la complicité par intégration du groupe peut lui être reprochée, pas une complicité directe, ce qui fait partie de l’association de malfaiteurs terroriste.
Yassine ATAR (lundi 20 juin) : Maître Christian SAINT-PALAIS a livré une plaidoirie envolée et générale sur la Justice en matière terroriste, rappelant que Yassine ATAR ne pouvait être condamné pour les agissements de son frère Oussama ou ceux de ses cousins EL BAKRAOUI, reprenant la formule « famille je vous hais » en disant « c’est plutôt famille je vous ai sur le dos ». Maître Raphaël KEMPF, quant à lui, a décortiqué longuement dans les moindres détails le dossier et les éléments retenus à l’encontre de son client, comme tout au long de l’audience, déclarant notamment : « Passion, vengeance, souffrance. Voilà la conception de la peine pour le Parquet antiterroriste. On ne peut pas accepter que la peine soit une vengeance, ni une souffrance … et de la souffrance il y en a eu et il y en a encore ». Tous deux ont plaidé l’acquittement de Yassine ATAR.
Mohamed BAKKALI (mardi 21 juin) : Ses deux Avocats, Maîtres Orly REZLAN et Abraham JOHNSON, ont tenté de ramener sa participation aux actes préparatoire des attentats à leur juste mesure, les reprenant un par un pour les amoindrir afin de démontrer que les attentats auraient pu être commis sans lui, contrairement à ce qu’a dit le Parquet, et qu’il n’était qu’un maillon de la chaîne utile mais remplaçable. Maître REZLAN a rappelé sa reddition volontaire à l’encontre des habitudes de l’EI, instillant le doute sur le fait que l’on n’aurait pas requis de perpétuité à son encontre si les EL BAKRAOUI avaient été présents dans le box. Elle a ainsi affirmé que « On vous a réclamé le prix du sang ! », concluant sa plaidoirie par « Si au nom de l’émotion suscitée par ces crimes, on en arrive à condamner à l’égal de l’assassin le complice d’actes préparatoires, le loueur de voitures et de maisons, alors il faudra admettre que l’État de droit aura fondu sous le choc ». Maître JOHSON a quant à lui rappelé, très brièvement, que BAKKALI avait qualifié les attentats « d’abomination » et n’avait pas pu « aider » en connaissance du projet final.
Sofien AYARI (mercredi 22 juin) : Maître Ilyacine MAALAOUI a livré une plaidoirie enflammée, expliquant que le silence d’AYARI reflétait le fait qu’aucune posture ne convenait puisque quand il ne parlait pas il était dans le mépris, alors que quand il parlait il devenait un leader charismatique. Il a évoqué la vacuité des preuves quant à la participation d’AYARI aux préparatifs ou sa supposée volonté de commettre un attentat à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol dont on ne peut rapporter la preuve d’un commencement d’exécution, vacuité que le Parquet aurait voulu compenser avec l’indivisibilité en disant qu’il aurait soutenu moralement. Il a enfin déclaré : « On vous demande une peine où les jours ne se compteront plus », « On vous le demande sur la base de convictions et non de preuves. On vous demande une mort carcérale ».
Maître Isa GULTASLAR a quant à lui rappelé ce qu’était le contexte syrien de l’époque avec nombreux exemples et s’est livré à un long développement sur le droit international. Il a alors démontré qu’AYARI ne pouvait être jugé que pour crimes de guerre, que ce soit pour ce qu’il a fait dans l’EI ou pour sa venue en Europe pour causer du tort à un opposant de la Coalition suite aux bombardements, déclarant : « Les actes commis à Paris doivent être qualifiés de crimes de guerre. Ces faits-là ne peuvent pas voir l’application du droit antiterroriste domestique français et doivent être régis par le droit des conflits armés ».
Mohamed ABRINI (jeudi 23 juin) : Maître Marie VIOLLEAU a offert une plaidoirie habitée et vibrante d’émotion. Elle d’abord critiqué les contours de ce procès davantage politique et médiatique que judiciaire, citant en exemple l’intervention de chercheurs ou certains débordements d’Avocats de partie civile, implorant la Cour de rester insensible aux sirènes de la politique et de juger sous le prisme de la raison froide, rappelant « quand on porte la robe, on n’est pas accessible aux sentiments ». Elle a ensuite décortiqué chaque élément du dossier reproché à ABRINI, démontrant que sur les 10 retenus, 5 ne tenaient pas.
Elle a insisté sur la personnalité d’ABRINI, totalement mise de côté par le Parquet, martelant qu’il n’avait cessé de douter et qu’il n’avait jamais eu l’intention réelle de prendre part aux attentats, déclarant que la perpétuité était bien trop pour lui. Elle a alors rappelé ce qu’étaient les peines, la perpétuité, la réalité carcérale. Elle a enfin conclu en disant que perpétuité était trop pour un homme qui renonce et pour un homme comme lui, demandant une peine de 30 ans et déclarant « Vous n’avez aucune prise sur ses conditions de détention. En revanche, vous avez un rôle important, un rôle capital sur la durée de la peine que vous allez prononcer. Gardez en tête que c’est un homme qui assume, qu’avec ABRINI, l’EI a failli. Il a toujours douté, jusqu’à ne pas y aller ».
Maître Stanislas EZKENAZY, son Avocat de longue date, s’est quant à lui attaché à raconter ce qu’il considère comme la réalité de la vie à Molenbeek, la vision binaire entretenue par les informations tronquées d’Al-Jazeera diffusées en continu dans les Cafés qui attisent la haine et l’opposition. Il a déclaré, « non pas pour justifier mais pour expliquer », que des quartiers et des ambiances prédisposaient rappelant l’inertie coupable des pouvoirs publics que les mères suppliaient d’empêcher leurs enfants de partir faire le jihad ou qui ne faisaient rien face aux prédicateurs de haine ou aux vidéos de propagande. Il a rappelé le vécu fracassé d’ABRINI, le choc de la mort de son frère qui avait rejoint l’EI, rappelant le conflit de loyauté face à ABAAOUD. Il a conclu sa plaidoirie en déclarant : « (…) en ne condamnant pas Monsieur ABRINI à la perpétuité mais à la peine de trente ans et vous aurez gagné ce dernier défi lancé par les terroristes. Et ce sera Justice ».
Salah ABDESLAM (vendredi 24 juin) : Maître Martin VETTES a commencé sa plaidoirie en critiquant les contours du procès, sa politisation, les débordements, le fait d’en avoir fait un procès d’exception par les moyens déployés et le rôle difficile qui lui a été imparti avec sa Consœur, leurs difficultés à exercer la défense dans un contexte d’opposition. Il s’est ensuite attaché à déconstruire l’image du monstre accolée à Salah ABDESLAM, rappelant sa participation au procès même s’il a pu à un moment garder le silence, rappelant : « Contrairement à ce que beaucoup craignaient, il n’a pas transformé ce procès en tribune pour déverser la propagande de Daech. Il est venu presque tous les jours à cette audience » bien qu’il ait fait sa déclaration de foi face à l’hostilité à l’ouverture du procès et « Il n’a pas raté un seul des 415 témoignages de parties civiles. C’était, quelque part, la moindre des choses. Mais il a reçu ces paroles, pour lui, et aussi tous les autres. Et soyez-en certains, Salah ABDESLAM a emporté chaque témoignage avec lui. Et pour longtemps » rappelant « Des larmes et des excuses qui n’était ni prévues, ni demandées. Elles étaient spontanées et sincères ». Il a tenu à rappeler qu’ABDESLAM n’était que « le petit gars de Molenbeek devenu intérimaire de l’État Islamique » avant d’être intégré « à la dernière minute » dans les commandos terroristes qui a renoncé à se faire exploser, cherchant à « ramener l’homme derrière la posture » où il en était venu à accepter toutes les charges possibles sans se défendre en endossant un costume trop grand pour lui. Il a grandement insisté sur le fait qu’il n’était pas irrécupérable comme a pu le dire du Parquet, déconstruisant de nombreux éléments du dossier comme sa radicalisation qui n’était pas ancienne, martelant qu’il n’existait pas de gène de la barbarie car « ce n’est pas un sociopathe qui a trouvé dans l’EI un moyen d’assouvir ses pulsions criminelles ». Il a conclu sa plaidoirie en déclarant « Nous avons eu un bon procès, mais tout ce décor est en réalité accessoire et ne doit surtout pas faire oublier que quel que soit l’endroit et l’écrin, la Justice n’est belle que lorsqu’elle est bien rendue ».
Maître Olivia RONEN a clôturé par une plaidoirie intense. Entamant sur son ressenti face au procès et que leur boussole avait toujours été d’exercer en fonction de ce qui est juste, elle a mis en exergue le fait que toutes les avancées de son client avaient été balayées par les réquisitions qui ne représentaient qu’une « loi du Talion en réponse à l’émotion » comme si on voulait lui dire « Vous vouliez mourir pour des idées ? Ce sera une mort lente ». Elle a expliqué qu’il ne fallait pas prendre toutes les déclarations de Salah ABDESLAM au pied de la lettre, mais qu’elle allait s’attacher à déconstruire certaines conceptions sur lui. Elle a ensuite repris chaque élément du dossier à son encontre, les déconstruisant pour leur ôter toute interprétation et leur ramener ce qu’elle estimait être leur juste réalité. Elle a grandement insisté sur son désistement volontaire en mettant en avant deux éléments : la dispute avec Ibrahim EL BAKARAOUI quand il est arrivé à la planque après les attentats où il lui a demandé pourquoi il n’avait pas actionné son gilet avec un briquet démontrant que c’était une instruction donnée en pleine conscience de la possible défectuosité du gilet et que dès lors, il avait choisi de ne pas le faire donc n’avait pas eu la volonté d’actionner son gilet ; puis le fait qu’il ait perdu du temps à retirer le bouton poussoir et la pile pour le neutraliser lorsqu’il l’a abandonné, temps qu’il n’aurait pas perdu s’il savait qu’il ne marchait pas. Elle a ensuite discuté la qualification juridique des chefs d’accusation retenus à son encontre, indiquant qu’il devait bien entendu être condamné pour le Stade de France mais en revanche qu’il ne pouvait l’être pour les autres lieux d’attentats où il n’était pas présent (Bataclan, Terrasses). Que, dès lors, la complicité de tentative de meurtre sur les forces de l’ordre au Bataclan ne pouvait être retenue à son encontre et que la perpétuité incompressible ne pouvait donc être prononcée puisqu’elle ne pouvait être requise que grâce à cette qualification. Enfin, elle a décrit la réalité de l’incarcération, de sa dureté, de celle d’ABDESLAM avec beaucoup d’émotion, parlant de la perpétuité réelle en disant que lorsque la peine de mort avait été supprimée il avait été dit qu’elle ne devait pas exister car il s’agissait d’une « mort lente ». Enfin, elle a conclu en disant que le Parquet demandait de ne pas tenir compte des dix derniers mois d’audience dans ses réquisitions et qu’elle demandait l’application du droit, déclarant : « Si vous suivez le Parquet, c’est le terrorisme qui a gagné et nous n’aurons plus qu’à comprendre qu’en réalité tout ceci n’était qu’une vaste farce », laissant un Président pantois durant de longues secondes.
Les dernières paroles des accusés (derniers mots avant le délibéré, lundi 27 juin)
Hamza ATTOU : Avec beaucoup de stress et d’émotion, il a rappelé sa confiance dans la Justice et a beaucoup évoqué les victimes, les remerciant pour celles qui étaient venues le voir et leur souhaitant le meilleur.
Abdellah CHOUAA : Il a évoqué sa peur de la décision et que la Cour commette une erreur, pleurant en se retournant vers ABRINI en disant qu’il avait détruit sa vie. Étranglé par l’émotion, il a longuement remercié les parties civiles qui sont venues vers lui et l’ont soutenu. Il a évoqué sa difficulté à parler de sa situation à ses enfants et qu’il espérait pouvoir être à la remise de diplôme de son fils qui arrive bientôt. Il a remercié ses Avocats qui l’ont soutenu après qu’il ait été tétanisé par les réquisitions.
Ali OULKADI : Dans une grande émotion, il a expliqué sa difficulté à trouver les mots, que pour lui comme pour tout le monde il y aurait un avant et un après. Il a évoqué ses enfants, sa honte de ne pas avoir pu leur dire mais qu’il leur parlerait du procès, des témoignages, qu’il leur avait fait des carnets de notes pour leur transmettre ce moment de sa vie. Il a remercié les victimes qui l’ont soutenu et lui ont donné une force dont il était infiniment reconnaissant. Il a indiqué vouloir simplement reprendre sa vie, bien qu’il ait peur que l’étiquette de terroriste lui colle à la peau et qu’il ne comprenait pas comment on pouvait adhérer à des idées qui avaient gâché des milliers de vie. Il a enfin remercié ses Avocats en leur disant qu’elles étaient des « femmes formidables ». Il a conclu en disant qu’il faisait confiance à la Justice.
Muhammad USMAN : Il a seulement déclaré qu’il voulait remercier ses Avocats.
Mohamed ABRINI : Il a déclaré qu’il voulait juste dire à la Cour qu’il n’avait pas attendu le procès pour avoir des remords ou des regrets. Il a pu mettre des visages sur les victimes et a eu conscience que ce qui était arrivé était « immonde ». Il s’est excusé auprès de CHOUAA. Il a expliqué avoir tous les jours des remords en se disant qu’il aurait pu arrêter ça et qu’il lui avait été difficile de voir chaque jour les victimes, leur souhaitant qu’elle puisse se reconstruire, leur présentant encore une fois toutes ses excuses.
Farid KHARKHACH : Il a remercié la Cour pour toutes les fois elle lui avait donné la parole, s’excusant s’il avait pu être exaspérant. Il a également longuement remercié ses Avocats, décrivant leur soutien sans faille durant ces dernières années. Il a également dit que les mots des parties civiles l’avaient beaucoup touché et qu’il les porterait dans son cœur jusqu’à la fin de ses jours, qu’elles lui avaient appris l’humilité, le pardon et le courage. Il a enfin dit qu’il ne savait pas que Khalid EL BAKRAOUI était dangereux et que l’étiquette de terroriste le « bouffait de l’intérieur », concluant par le fait qu’il faisait confiance à la Justice.
Mohammed AMRI : Il a expliqué qu’il pensait qu’il n’aurait pas été capable de s’exprimer et qu’il remerciait la Cour d’avoir pu le faire. Il a déclaré qu’il ne s’expliquait toujours pas pourquoi il n’avait pas « dégagé » Salah ABDESLAM de sa voiture ce soir-là et qu’il fallait le croire. Il a également évoqué les victimes qui l’ont beaucoup touché et conclu en disant que cela lui avait fait du bien après des années que l’Avocat général Camille HENNETIER reconnaisse qu’il avait été instrumentalisé dans le réquisitoire.
Ali EL HADDAD ASUFI : Il a déclaré que ses Avocats avaient tout dit mais qu’il voulait redire avec force qu’il condamnait ces attentats, que jamais il n’avait participé à leur préparation, ni de près ni de loin, et qu’il n’aurait jamais accepté en connaissance de cause. Il a rappelé que cela faisait 6 ans et 18 jours qu’il clamait son innocence, déclarant attendre beaucoup du verdict. Il a conclu en disant qu’il espérait avoir été entendu, qu’il n’était pas un terroriste et n’aurait jamais participé à tout ça.
Adel HADDADI : Il a déclaré qu’il avait fait des bons et mauvais choix et qu’il regrettait sincèrement, qu’il avait appris de ses fautes et qu’il espérait faire quelque chose de bien de sa vie à l’avenir, remerciant au passage ses Avocats.
Sofien AYARI : Il est revenu sur l’exercice de son droit au silence en expliquant que quelle que soit l’attitude qu’il adoptait, cela manquait toujours de sincérité et ne convenait pas. Il a déclaré qu’il avait été clair sur les raisons de ce silence, qu’il avait essayé de s’expliquer quand une victime avait dit vouloir savoir ce qu’il se passait dans leur tête, peut-être pour qu’on puisse comprendre le problème. Il a cependant regretté que ses explications n’aient pas été entendues, évoquant certaines plaidoiries d’Avocats de partie civile. Enfin, il a dit souhaiter que cela n’arrive plus à personne dans le monde et que les victimes puissent s’en relever, martelant qu’il n’avait jamais eu de mépris pour personne car il n’y avait pas pire.
Yassine ATAR : Il a déclaré que les victimes lui avaient montré une dignité énorme et qu’il espérait de tout son cœur que l’on avait compris qu’il n’avait rien à voir avec Oussama ATAR et ces attentats, rappelant qu’il était innocent et n’avait jamais apporté aucune aide, ni de près ni de loi. Il a conclu en disant qu’il n’avait rien à faire dans ce box.
Salah ABDESLAM : Il a tenu à adresser ses premiers mots aux victimes en disant qu’il avait présenté des excuses sincères et qu’il n’aurait pu en être autrement face à toutes ces souffrances. Il a indiqué que l’évolution qui avait été la sienne n’avait échappé à personne, expliquant celle-ci par des épisodes violents de son incarcération et que, quand il avait été amené au procès, cela avait été un choc qu’on lui dise qu’il était présumé innocent après six ans sans interaction sociale. Il a déclaré qu’il regrettait d’avoir été dur dans ses paroles, qu’il s’était apaisé grâce au semblant de vie sociale qu’a constitué le procès. Il a remercié l’ensemble des Avocats de la Défense en disant qu’ils avaient accompli un travail formidable. Puis, il a déclaré : « C’est avec l’épée du parquet sur le cou que je m’adresse à vous. L’opinion publique dit que j’étais sur les terrasses occupé à tirer sur des gens, que j’étais au Bataclan. Vous savez que la vérité est à l’opposé », ajoutant que la perpétuité était à la hauteur des faits mais pas des hommes dans le box, faisant référence aux réquisitions du Parquet. Enfin, il a conclu par : « J’ai reconnu que je n’étais pas parfait, j’ai fait des erreurs c’est vrai mais je ne suis pas un assassin, je ne suis pas un tueur. Et si vous me condamnez pour assassinat, vous commettrez une injustice ».
Compte-rendu d'audience du 29 juin 2022 (Délibéré)
Au terme de ces dix derniers mois de procès, la Cour a rendu un arrêt de plus d’une centaine de pages.
L’ensemble des questions auxquelles elle devait répondre n’ont pas été lues mais il a été répondu oui à la totalité de celles-ci, c’est-à-dire que les accusés ont été reconnus coupables de l’ensemble des qualifications retenues à leur encontre, à l’exception de Farid KHARKHACH qui a été reconnu coupable d’association de malfaiteur sans la qualification terroriste.
L’énoncé des motivations de la Cour a repris en substance les charges retenues par le Ministère Public dans l’arrêt de mise en accusation (AMA) renvoyant les accusés devant la Cour d’Assises.
Les quantums des peines prononcés à l’égard des accusés présents sont les suivants :
- Salah ABDESLAM: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible ;
- Mohamed ABRINI: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Mohammed AMRI: 8 ans d’emprisonnement assortis d’une période de sûreté des deux tiers et d’une interdiction du territoire français de 10 ans ;
- Yassine ATAR: 8 ans d’emprisonnement assortis d’une période de sûreté des deux tiers et d’une interdiction du territoire français de 10 ans ;
- Ali EL HADDAD ASUFI: 10 ans d’emprisonnement assortis d’une période de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Farid KHARKHACH: 2 ans d’emprisonnement (pas de qualification terroriste) ;
- Mohamed BAKKALI: 30 ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Osama KRAYEM: 30 ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Sofien AYARI: 30 ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Muhammad USMAN: 18 ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Adel HADDADI: 18 ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Hamza ATTOU: 4 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis assortis d’une interdiction du territoire français de 10 ans ;
- Abdellah CHOUAA: 4 ans d’emprisonnement dont 3 ans avec sursis assortis d’une interdiction du territoire français de 10 ans ;
- Ali OULKADI: 5 ans d’emprisonnement dont 3 ans avec sursis.
Il a été décidé que les accusés qui étaient placés sous contrôle judiciaire (ATTOU, CHOUAA et OULKADI) ne seraient pas emprisonnés et qu’ils pouvaient obtenir un aménagement d’office de leur peine.
Concernant les accusés jugés par défaut (présumés morts sauf DAHMANI qui est détenu en Turquie) :
- Ahmed DAHMANI: 30 ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers et d’une interdiction définitive du territoire français ;
- Oussama ATAR: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible et interdiction définitive du territoire français ;
- Obeida Aref DIBO: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible et interdiction définitive du territoire français ;
- Omar DARIF: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible et interdiction définitive du territoire français ;
- Jean-Michel CLAIN: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible ;
- Fabien CLAIN: Réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible.
L’ensemble des accusés condamnés pour terrorisme seront inscrits au Fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT).
Il est à noter que les accusés disposent d’un délai de 10 jours pour faire appel, tout comme le Ministère Public.
Fiches accusés
Salah Abdeslam
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 15 septembre 1989 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Franco-marocain
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Brahim ABDESLAM (frère), Abdelhamid ABAAOUD,
Mohamed ABRINI, Ahmed DAHMANI, Ali OULKADI, Mohammed AMRI,
Hamza ATTOU, probablement Khalid EL BAKRAOUI, Osama KRAYEM et Omar DARIF
Avocats : Me Olivia RONEN et Me Martin VETTES
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Adhésion à l’EI et visionnage de vidéos de propagande de l’EI ;
- Avoir accompagné son frère Brahim ABDESLAM à l’aéroport pour son départ et son retour de Syrie ;
- Avoir effectué un voyage en Grèce avec Ahmed DHAMANI, pays relais de l’EI pour les partants et retournants, probablement pour y rencontrer les frères EL BAKRAOUI ;
- Être allé récupérer en Hongrie Chakib AKROUH (commando des terrasses) et Bilal HADFI (commando du Stade de France) ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats ;
- Sa présence lors des attentats avec une ceinture d’explosifs et avoir véhiculé des membres du commando au Stade de France ;
- Logistique (location véhicules, planques, usage fausse pièce d’identité).
Sur les faits :
Il a reconnu à demi-mots qu’il n’aurait pas pu actionner sa ceinture d’explosifs dans des bars, donc qu’il se serait désisté volontairement.
Sur sa radicalisation
Lors de son interrogatoire du 9 février 2022, il a expliqué son adhésion idéologique à l’EI davantage par une compassion envers ce que les musulmans subissaient, arguant d’un combat politique (instauration de la charia, frappes de la Coalition en zone irako-syrienne) plus que d’une pure adhésion à une vision religieuse. Il a par ailleurs contesté toute radicalisation par son frère Brahim ABDESLAM.
Mohamed Abrini
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 27 décembre 1984 à Berchem Sainte Agathe (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois / Un voyage en Syrie en juin 2014
Proches du dossier : Brahim et Salah ABDESLAM, Abdelhamid ABAAOUD, Ahmed DAHMANI, Abdellah CHOUAA
Avocats : Me Marie VIOLLEAU, Me Stanislas ESKENAZI, Me Hedi DAKHLAOUI
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Adhésion à l’EI et visionnage de vidéos de propagande de l’EI ;
- Voyage en zone irako-syrienne en juin 2014 ;
- Voyage en Angleterre pour Abdelhamid ABAAOUD afin d’y récupérer une somme d’argent ;
- Avoir accompagné Salah ABDESLAM en Hongrie lorsqu’il est allé récupérer Chakib AKROUH (commando des terrasses) et Bilal HADFI (commando du Stade de France) ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats ;
- Logistique (recherche de planques, participation aux locations de véhicules et appartements, convoi de l’arsenal des attentats, présence dans les planques).
Sur les faits :
Il a reconnu être allé en Syrie, pour aller sur la tombe de son frère, membre de l’EI décédé sur zone, et sa rencontre avec Abdelhamid ABAAOUD à cette occasion. Il a toutefois contesté toute volonté de rejoindre l’EI.
Il a confirmé être allé en Angleterre pour rendre service à ABAAOUD (mais une question d’éventuels repérages s’est posée car des photos de divers lieux ont été trouvées dans son téléphone).
Il est resté vague à chaque fois en disant qu’il ne se souvenait plus des détails (dont implication d’autres personnes).
Sur sa radicalisation :
Lors de son interrogatoire des 11 et 12 janvier 2022, ses déclarations concernant son adhésion à l’EI étaient peu cohérentes et consistaient en un amalgame de connaissances religieuses et pseudos religieuses (charia, représailles contre la Coalition etc.).
Mohammed Amri
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 7 août 1988 à Ait Lahssen (Maroc)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Brahim et Salah ABDESLAM, Hamza ATTOU, (autres de vue comme ABRINI et DAHMANI)
Avocats : Me Negar HAERI et Me Xavier NOGUERAS
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste ;
Soit concrètement :
- Visionnage de vidéos de propagande de l’EI ;
- Avoir accompagné Brahim ou Salah ABDELAM pour des locations de véhicules lors de la préparation des attentats ou en le faisant à leur demande ;
- Avoir été en lien avec la cellule franco-belge des attentats ;
- Être allé récupérer Salah ABDESLAM le soir des attentats à Châtillon avec Hamza ATTOU et l’avoir ramené à Bruxelles ;
- Aide logistique.
Sur les faits :
Il a travaillé au Café des Béguines et était un ami de Brahim ABDESLAM, ainsi que de Salah ABDESLAM mais de façon moins proche. Il a contesté avoir su pour le départ de Brahim ABDESLAM en Syrie ou encore pour la radicalisation des frères ABDESLAM.
Sur sa radicalisation :
Il a dénié toute forme de radicalisation et / ou adhésion à l’EI lors de son interrogatoire du 28 janvier, ainsi que sa participation aux séances de visionnage de la propagande de l’EI au Café des Béguines de Brahim ABDESLAM. Il a également contesté que Brahim ABDESLAM l’ait radicalisé.
Yassine Atar
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 11 juillet 1986 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Oussama ATAR (frère), Ibrahim et Khalid
EL BAKRAOUI (cousins), Ali EL HADDAD ASUFI, Mohamed BAKKALI
Avocats : Me Christian SAINT-PALAIS et Me Raphaël KEMPF
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle
Soit concrètement :
- Avoir accompagné Ibrahim EL BAKRAOUI avec Ali EL HADDAD ASUFI à l’aéroport de Paris Roissy Charles-de-Gaulle lors de sa première tentative de rejoindre l’EI ;
- Avoir rencontré Ibrahim EL BAKRAOUI à Verviers (lieu d’un attentat déjoué de la cellule franco-belge ndlr.) avec Mohamed BAKKALI et Ali EL HADDAD ASUFI ;
- Avoir été en contact avec Mohamed BAKKALI lors de la préparation des attentats ;
- Avoir rencontré des membres de la cellule lorsque Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH cherchaient une planque en France après les attentats ;
- Logistique ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats.
Sur les faits :
Il a indiqué tout ignorer de la radicalisation de ses cousins, les frères EL BAKRAOUI, ou de leur départ et tentatives de départs en Syrie. Par ailleurs, il n’était pas proche de son frère, Oussama ATAR, lors de son retour en Belgique.
Les personnes ayant témoigné pour lui ont indiqué que ces derniers ne lui auraient jamais fait confiance pour faire partie de la cellule franco-belge car il était connu pour être incapable de garder quelque chose pour lui (son surnom est « Pipelette ») et son mode de vie était particulièrement dissolu.
Sur sa radicalisation :
Il s’est défendu de toute radicalisation lors de ses interrogatoires des 1er et 2 février, que seuls des échanges de SMS et du contenu informatique pouvaient laisser penser à sa radicalisation mais qu’ils étaient sortis de leur contexte.
Il clame son innocence et selon lui, il ne serait présent dans le box qu’en substitution à son frère, Oussama ATAR (commanditaire présumé des attentats, émir de l’EI ndlr.), et à ses cousins, Ibrahim et Khalid EL BAKRAOUI (hommes de confiance de l’EI et dirigeants de la cellule franco-belge des attentats, décédés dans les attentats de Bruxelles-Zaventem ndlr.).
Mohamed Bakkali
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 10 avril 1987 à Verviers (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Ibrahim et Khalid EL BAKRAOUI, Ali EL HADDAD ASUFI, Yassine ATAR
Avocats : Me Orly REZLAN et Me Abraham JOHNSON
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir été en contact avec Khalid EL BAKRAOUI lors de son séjour en Syrie ;
- Avoir hébergé Ibrahim EL BAKRAOUI lors de son retour de tentative de rejoindre l’EI ;
- Avoir rencontré Ibrahim EL BAKRAOUI à Verviers (lieu d’un attentat déjoué de la cellule franco-belge ndlr.) avec Yassine ATAR et Ali EL HADDAD ASUFI ;
- Avoir été en contact avec Yassine ATAR lors de la préparation des attentats ;
- Avoir envoyé un mandat cash au commando du Bataclan pour leur voyage vers la France ;
- Avoir véhiculé les terroristes entre les diverses planques en Belgique ;
- Avoir rencontré des membres de la cellule lorsque Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH cherchaient une planque en France après les attentats ;
- Logistique (recherche d’armes, faux papiers, recherche et location de planques, location de véhicule, déplacements entre les caches) ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats.
Sur sa radicalisation et les faits :
Il a choisi de garder le silence lors de son interrogatoire du 26 janvier 2022 en invoquant le fait qu’il s’était longuement expliqué dans un précédent procès et qu’il avait tout de même été lourdement condamné, donc que cela ne servait à rien.
Ali El Haddad Asufi
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 23 septembre 1984 à Berchem Sainte Agathe (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Ibrahim et Khalid EL BAKRAOUI, Mohamed BAKKALI, Yassine ATAR (de vue Abdellah CHOUAA et Oussama ATAR)
Avocats : Me Menya ARAB-TIGRINE, Me Martin MECHIN et Me Jonathan DE TAYE
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle
Soit concrètement :
- Avoir conduit Ibrahim EL BAKRAOUI à l’aéroport lors de sa première tentative de départ en Syrie ;
- Avoir eu de nombreux contacts avec Ibrahim EL BAKRAOUI lors de ce premier voyage (notamment lors de sa détention en Turquie) et avoir fait le relais avec Khalid EL BAKRAOUI ;
- Avoir accompagné Ibrahim EL BAKRAOUI à l’aéroport et lors de son voyage en Grèce pour sa seconde tentative de départ en Syrie ;
- Avoir rencontré Ibrahim EL BAKRAOUI à Verviers (lieu d’un attentat déjoué de la cellule franco-belge ndlr.) avec Yassine ATAR et Mohamed BAKKALI ;
- Avoir aidé Ibrahim EL BAKRAOUI à trouver une planque ;
- Être allé à Rotterdam avec Ibrahim EL BAKRAOUI pour y rechercher des armes ;
- Avoir apporté une aide logistique à Ibrahim EL BAKRAOUI lors de sa planque ;
- Logistique ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats.
Sur les faits :
C’était un ami très proche d’Ibrahim EL BAKRAOUI. Il connaissait également son frère Khalid, qu’il n’appréciait pas, et leur cousin vaguement, Oussama ATAR. Il a dénié lors de son interrogatoire du 11 février 2022 avoir jamais constaté leur radicalisation, ce qui a semblé peu crédible vu ses déclarations très précises en procédure qu’il a mises sur le compte d’une interprétation rétrospective.
Il n’a pas su expliquer ses nombreux contacts avec Ibrahim EL BAKRAOUI lorsqu’il était sur zone et a indiqué l’avoir accompagné en Grèce car ce dernier lui a dit qu’il devait partir en fuite suite à un braquage qui avait mal tourné.
Sur sa radicalisation :
Il a indiqué être un musulman pratiquant « normal » et a reconnu s’être intéressé à l’EI au moment de la vague de départs pour comprendre (fin 2014 – début 2015), mais que c’était une pratique trop rigoriste. Il a dénié toute radicalisation. Cependant, des éléments de l’enquête laissent penser le contraire, notamment des discussions Facebook avec Ibrahim EL BAKRAOUI.
Farid Kharkhach
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 4 juillet 1982 à El Aioun Sidi Mellouk (Maroc)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Indéterminé mais probablement Khalid EL BAKRAOUI
Avocats : Me Marie LEFRANCQ, Me Fanny VIAL, Me Louise DUMONT SAINT PRIEST et Me Alberic DE GAYARDON
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle
Soit concrètement :
- Avoir servi d’intermédiaire dans la fourniture de fausses cartes d’identité belges à Khalid EL BAKRAOUI qui ont favorisé le retour en Europe de plusieurs terroristes, ont facilité la location de planques et leur ont permis de se soustraire aux recherches policières
Sur la radicalisation et les faits :
Il n’a pas encore été entendu, mais il apparaît comme étant complètement à part du dossier, étant un faussaire de droit commun ayant fourni les faux papiers à la cellule franco-belge. Tout l’enjeu sera de savoir s’il avait connaissance de la destination réelle de ces faux papiers, sachant qu’aucun lien ne semble établi avec les protagonistes du dossier.
Osama Krayem
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 16 août 1992 à Malmö (Suède)
Nationalité : Suédois
Statut : Parti rejoindre l’EI en août 2014
Proches du dossier : Oussama ATAR, Sofien AYARI, Ahmad ALKHALD, (alias Omar DARIF), Muhammad USMAN, Salah ABDESLAM, Mohamed BAKKALI
Avocats : Me Gisèle STUYCK et Me Margaux DURAND POINCLOUX
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir rejoint l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir quitté la Syrie avec Ahmad ALKHALD et Sofien AYARI pour rejoindre la cellule franco-belge des attentats et y prendre part ;
- Avoir suivi une formation en explosifs ;
- Être allé dans les caches où étaient fabriqués les explosifs et stockées les armes ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats et avoir accepté de participer au projet « Schiphol » (projet avorté d’attentat à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol ndlr.) ;
- Avoir galvanisé les terroristes de la cellule pour favoriser leur passage à l’acte ;
- S’être rendu à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol en vue d’y commettre un attentat le 13 novembre.
Sur sa radicalisation et les faits :
Il a choisi de garder le silence lors de son interrogatoire du 13 janvier 2022 et ne se présente plus aux audiences depuis plusieurs mois. Il est cependant à noter que son rôle au sein de l’EI a été présenté par la Cour comme plus important que ce qu’il a bien voulu reconnaître en procédure au regard de sa participation aux combats et exécutions médiatiques (comme celle du pilote jordanien), ainsi que de sa rencontre avec AL-ADNANI (n°2 de l’EI) et de sa proximité avec Oussama ATAR (dirigeant de la COPEX). Il a par ailleurs été choisi pour être projeté en Europe, ce qui démontre que l’EI avait une confiance totale en lui (bien qu’il ait argué d’un retour volontaire suite à des désaccords, ce qui a été jugé peu crédible).
Sofien AYARI
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 9 août 1993 à Tunis (Tunisie)
Nationalité : Tunisien
Statut : Parti rejoindre l’EI en décembre 2014
Proches du dossier : Osama KRAYEM, Ahmad ALKHALD (alias Omar DARIF)
Avocats : Me Laura SEVERIN, Me Ilyacine MAALAOUI et Me Isa GULTASLAR
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir rejoint l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir quitté la Syrie avec Ahmad ALKHALD et Osama KRAYEM pour rejoindre la cellule franco-belge des attentats et y prendre part ;
- Être allé dans les caches où étaient fabriqués les explosifs et stockées les armes ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats et avoir accepté de participer au projet « Schiphol » (projet avorté d’attentat à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol ndlr.) ;
- Avoir galvanisé les terroristes de la cellule pour favoriser leur passage à l’acte ;
- S’être rendu à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol en vue d’y commettre un attentat le 13 novembre.
Sur sa radicalisation et les faits :
Lors de son interrogatoire du 8 février 2022, il a davantage évoqué un engagement politique qu’idéologique sur sa motivation à rejoindre l’EI. Il est parti pour combattre pour l’EI et a accepté la mission de venir en Europe, bien qu’il soit resté évasif sur la connaissance qu’il avait de l’action qu’on lui demandait d’accomplir, expliquant qu’il était parti sur une décision impulsive après avoir vu les bombardements des civils par la Coalition.
Il a surpris en assumant totalement son choix et en disant qu’il était responsable de ce qu’il avait fait, déclarant que « personne n’a été obligé, on peut se tromper, ça ne veut pas dire qu’on ne regrette pas nos décisions » et qu’il était trop facile de dire qu’on avait été obligé une fois devant une Cour d’Assises.
Muhammad Usman
Accusé présent et détenu
Date de naissance : Inconnue (a donné plusieurs dates en 1993 et 1981)
Nationalité : Pakistanais
Statut : Parti rejoindre l’EI en novembre 2014 ou août 2015
Proches du dossier : Adel HADDADI, Oussama ATAR
Avocats : Me Karim LAOUAFI, Me Merabi MURGULIA et Me Edward HUYLEBROUCK
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle
Soit concrètement :
- Avoir rejoint l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir accepté la mission confiée par Oussama ATAR de venir commettre un attentat en France ;
- Avoir quitté la Syrie dans le but de rejoindre la cellule franco-belge des attentats ;
- Être resté en contact avec Oussama ATAR durant son voyage ;
- S’être rendu jusqu’en Autriche avant d’y être arrêté.
Sur sa radicalisation et sur les faits :
Lors de son interrogatoire du 25 janvier, il a varié sans cesse par rapport à ses déclarations en procédure, indiquant que l’interprète ne le comprenait pas pour justifier ces changements.
Les services secrets pakistanais ont indiqué qu’il aurait disparu de son village pendant une dizaine d’années et aurait été connu dans sa région natale comme un jihadiste notoire d’un groupe penjabi affilié à Al-Qaïda et à l’EI, ce qu’il a contesté avec véhémence en arguant de son âge (non vérifiable). Il a par ailleurs contesté avoir qualifié les exactions sur zone de « vrai Islam ».
Il a contesté avoir rencontré Oussama ATAR et que ce dernier lui aurait confié une mission suicide, reconnaissant simplement qu’on lui avait dit « de prendre la revanche sur les enfants tués ». Il a alors dit avoir été choqué par l’ampleur des attentats et qu’on ait pensé à lui pour cela, même s’il savait qu’il y aurait des attentats.
Il est à noter que son voyage vers l’Europe s’est arrêté en Autriche, ce qui l’a empêché de prendre part aux attentats.
Adel Haddadi
Accusé présent et détenu
Date de naissance : 17 juillet 1987 à Bourouba (Algérie)
Nationalité : Algérien
Statut : Parti rejoindre l’EI en février 2015
Proches du dossier : Muhammad USMAN, Oussama ATAR
Avocats : Me Léa DORDILLY et Me Simon CLEMENCEAU
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle
Soit concrètement :
- Avoir rejoint l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir accepté la mission confiée par Oussama ATAR de venir commettre un attentat en France ;
- Avoir quitté la Syrie dans le but de rejoindre la cellule franco-belge des attentats ;
- Être resté en contact avec Oussama ATAR durant son voyage ;
- S’être rendu jusqu’en Autriche avant d’y être arrêté.
Sur sa radicalisation et les faits :
Lors de son interrogatoire du 14 janvier 2022, il s’est montré très flou et peu à même d’expliquer les motivations et les circonstances de son départ ou encore ses activités sur zone. On peut cependant retenir qu’il a été jugé par la Cour peu crédible que si, comme il l’affirme, il s’est contenté de rester dans une maison à cuisiner et prier, sans participer à aucun combat, Oussama ATAR soit venu le chercher pour lui confier une mission suicide parce qu’il n’était « pas connu » et « serviable ». Il a tenu à indiquer qu’il n’avait jamais eu l’intention « d’aller jusqu’au bout ».
Il est à noter que son voyage vers l’Europe s’est arrêté en Autriche, ce qui l’a empêché de prendre part aux attentats.
Hamza Attou
Accusé présent et sous contrôle judiciaire
Date de naissance : 4 mai 1994 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Brahim et Salah ABDESLAM, Mohamed AMRI, Ali OULKADI, de vue Mohamed ABRINI et Ahmed DAHMANI
Avocats : Me Delphine BOESEL et Me Laure DE DAINVILLE
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste
Soit concrètement :
- Être allé récupérer Salah ABDESLAM le soir des attentats à Châtillon avec Mohammed AMRI et l’avoir ramené à Bruxelles ;
- Avoir donné de l’argent à Salah ABDESLAM le même soir ;
- Avoir organisé la rencontre de Salah ABDESLAM avec Ali OULKADI afin de le conduire à sa planque de Schaerbeek.
Sur sa radicalisation et sur les faits :
Lors de son interrogatoire du 3 février 2022, il a indiqué ne pas être pratiquant. Il a dénié avoir pris part aux supposées séances de visionnage de vidéos de propagande l’EI au sein du Café des Béguines, contestant leur existence également.
Il a rencontré Brahim ABDESLAM fin 2013 puis a travaillé au Café des Béguines, aidant également Brahim dans son trafic de stupéfiants. Il a ensuite rencontré son frère Salah. Il indiquera n’avoir jamais vu aucune radicalisation chez les frères ABDESLAM, qui étaient bienveillants avec lui. Il déniera savoir que Brahim partait en Syrie quand il l’a accompagné à l’aéroport avec Ali OULKADI, indiquant que ce dernier avait bien caché son jeu puisqu’ils étaient allés en boîte de nuit le soir-même de son retour.
Ali Oulkadi
Accusé présent et sous contrôle judiciaire
Date de naissance : 9 juillet 1984 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Français
Statut : Molenbeekois resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Brahim et Salah ABDESLAM, Hamza ATTOU, Mohammed AMRI, Abdelhamid ABAAOUD, Mohamed ABRINI et Ahmed DAHMANI
Avocats : Me Marie DOSE et Me Judith LEVY
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste.
Soit concrètement :
- Avoir participé aux séances de visionnage de vidéos de propagande de l’EI ;
- Avoir conduit Brahim ABDESLAM à l’aéroport pour son départ en Syrie ;
- Être allé chercher Brahim ABDESLAM avec Salah ABDESLAM lors de son retour de Syrie à l’aéroport d’Amsterdam ;
- Avoir pris en charge Salah ABDESLAM à son retour de Paris suite aux attentats pour l’amener à la planque de Schaerbeek ;
- Avoir été en lien avec la cellule franco-belge des attentats.
Sur sa radicalisation et les faits :
Il a dénié être radicalisé. Il était un ami proche de Brahim ABDESLAM et est le seul, lors de son interrogatoire du 3 février 2022, à signaler avoir décelé chez lui une radicalisation qui est allée crescendo. Il tenait des propos radicaux mais n’était pas écouté par les autres car, dès qu’il rencontrait la contradiction, il disait avoir entendu ça quelque part et passait à un autre sujet. Il confirme l’avoir également vu regarder des vidéos, indiquant qu’il était « comme dans un délire ». Il a pu entendre Salah ABDESLAM et Ahmed DAHMANI tenir aussi ce genre de propos quelques fois, mais il les voyait rarement.
Il a cependant dit tout ignorer du voyage en Syrie de Brahim, qui lui avait parlé de vacances en Turquie où il avait profité des « filles et de la piscine ». Il s’est dit tout de même très choqué en apprenant l’implication des frères ABDESLAM dans les attentats.
Abdellah Chouaa
Accusé présent et sous contrôle judiciaire
Date de naissance : 30 mars 1981 à Nador (Maroc)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Resté en Belgique / Pas de départ en Syrie
Proches du dossier : Mohamed ABRINI (ami proche) et Ahmed DAHMANI
Avocats : Me Adrien SORRENTINO et Me Laurent KENNES
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle
Soit concrètement :
- Avoir visionné des vidéos de propagande de l’EI avec Mohamed ABRINI ;
- Avoir accompagné Mohamed ABRINI avec Ahmed DAHMANI à l’aéroport pour son voyage en Syrie ;
- Avoir envoyé un mandat Western Union à Mohamed ABRINI lors de son voyage ;
- Avoir été en contact téléphonique étroit avec Mohamed ABRINI durant son voyage ;
- Être allé chercher Mohamed ABRINI à son retour à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle avec Ahmed DAHMANI ;
- Avoir effectué un déplacement à Charleroi en lien avec la présence de trois terroristes dans cette ville ;
- Avoir été en lien avec la cellule franco-belge des attentats.
Sur sa radicalisation :
Il a évolué dans un milieu avec un père radicalisé qui soutenait Al-Qaïda et un frère qui a tenté de rejoindre la Syrie. Il a vivement contesté cela lors de son interrogatoire du 4 février 2022 en arguant de mensonges à l’égard de son père, qui était un simple imam, sur fond de séparation difficile avec la mère et de conflit avec le frère. Ses explications, jugées peu claires et convaincantes par la Cour, n’auront pas su convaincre et auront apporté davantage de suspicions quant à sa possible radicalisation, sachant que de nombreuses recherches sur des contenus radicaux ont été trouvées dans son ordinateur, ce qu’il a expliqué par la présence quasi quotidienne de Mohamed ABRINI qui se planquait chez lui pour ne pas être arrêté suite à ses divers larcins.
Sur les faits :
Bien qu’il soit un ami proche de Mohamed ABRINI, il déniera avoir jamais su pour son départ en Syrie, avoir était en contact avec lui quand il était sur zone ou lui avoir envoyé de l’argent, reconnaissant seulement l’avoir conduit à l’aéroport dans l’ignorance de sa destination. Il a par ailleurs exprimé à de nombreuses reprises sa colère contre lui.
Ahmed Dahmani
Jugé par défaut car détenu en Turquie
Date de naissance : 13 avril 1989 à Al Hoceima (Maroc)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Molenbeekois / Un voyage supposé en Syrie en février 2015 à la suite de Brahim ABDESLAM
Proches du dossier : Brahim et Salah ABDESLAM (meilleur ami de Salah), Mohamed ABRINI (meilleur ami), Khalid EL BAKRAOUI, Abdelhamid ABAAOUD
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir rejoint l’EI en zone irako-syrienne et avoir participé à des séances de visionnage de vidéos de propagande de l’EI ;
- Avoir accompagné Mohamed ABRINI à l’aéroport avec Abdellah CHOUAA pour son voyage en Syrie ;
- Avoir envoyé un mandat Western Union à Mohamed ABRINI lors de son voyage ;
- Avoir été en contact téléphonique étroit avec Mohamed ABRINI durant son voyage ;
- Être allé chercher Mohamed ABRINI à son retour à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle avec Abdellah CHOUAA ;
- Être allé en Grèce avec Salah ABDESLAM, pays relais de l’EI pour les partants et retournants, probablement pour y rencontrer les frères EL BAKRAOUI ;
- Logistique (recherche de planques, avoir collecté des informations pour acquérir les produits chimiques nécessaires à la fabrication de TATP pour les ceintures d’explosifs) ;
- Avoir tenté de joindre l’EI après les attentats par l’intermédiaire de Obeida Aref DIBO ;
- Participation à la cellule franco-belge des attentats.
Jugé par défaut car détenu actuellement en Turquie suite à une condamnation de la Cour d’Assises de Manavgat du 13 janvier 2016 à une peine de 10 ans et 9 mois d’emprisonnement pour faux documents administratifs et affiliation à une organisation terroriste.
La Turquie a refusé de le remettre à la France malgré l’émission d’un mandat d’arrêt international et de nombreuses demandes de remise.
Omar Darif alias Ahmad Alkhald
Jugé par défaut car en fuite et non localisé
Date de naissance : Inconnue (faux passeport : 1er janvier 1992 à Alep (Syrie) )
Nationalité : Inconnue (faux passeport : Syrien)
Statut : Membre de l’EI / Un voyage en Belgique fin octobre 2015
Proches du dossier : Osama KRAYEM, Sofien AYARI, Brahim et Salah ABDESLAM, Obeida Aref DIBO, Oussama ATAR, Muhammad USMAN, Adel HADDADI
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir été un membre de l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir été en contact régulier avec Oussama ATAR ;
- Avoir été avec Adel HADDADI et Muhammad USMAN ainsi que les deux Irakiens du Stade de France avant leur départ en Europe ;
- Avoir organisé la tentative de fuite en Syrie d’Ahmed DAHMANI après les attentats ;
- Avoir organisé le voyage des terroristes vers l’Europe (fourniture de faux passeports, itinéraire, convoyage jusqu’à Izmir en Turquie).
Il serait un membre de la COPEX proche d’Oussama ATAR et d’Obeida Aref DIBO. Expert en explosifs, il aurait été envoyé en Belgique pour la confection des engins explosifs et aurait été rapatrié en Syrie avant les attentats, laissant la charge de la logistique à son bras droit, Najim LAACHRAOUI (auteur décédé des attentats de Bruxelles-Zaventem et pilier de la cellule franco-belge ndlr.).
Un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre après son rapatriement en Syrie, sans résultat à ce jour. On ne sait pas s’il est toujours vivant.
Oussama Atar
Commanditaire présumé des attentats du 13 novembre 2015
Présumé mort (jugé par défaut)
Date de naissance : 4 mai 1984 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Vétéran du jihadisme ayant rejoint Al-Qaïda en 2003
Emprisonné à Abu Graib en Irak pour terrorisme (2005-2012)
Revenu en Belgique de septembre 2012 à décembre 2013
A rejoint l’EI en Syrie en décembre 2013 et en est devenu le n°3 ou 4
Émir la cellule des opérations extérieures de l’EI (COPEX)
Proches du dossier : Yassine ATAR (frère), Ibrahim et Khalid EL BAKRAOUI(cousins), Najim LAACHRAOUI, Abdelhamid ABAAOUD, Osama KRAYEM, Adel HADDADI, Muhammad USMAN, Obeida Aref DIBO, Omar DARIF alias Ahmad ALKHALD
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Direction d’une organisation terroriste ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir été membre de l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir eu des contacts opérationnels dès novembre 2014 en vue d’organiser des attentats en Europe ;
- Avoir organisé une rencontre avec Khalid EL BAKRAOUI, son cousin, en lien avec ces projets attentats ;
- Avoir exercé des fonctions d’autorité sur Abdelhamid ABAAOUD, Najim LAACHRAOUI, Obeida Aref DIBO, Osama KRAYEM, Ahmad ALKHALD, Sofien AYARI, Adel HADDADI, Muhammad USMAN, les deux Irakiens du Stade de France (Ahmad AL MOHAMMAD et Mohammad AL MAHMOD) ;
- Avoir donné des instructions pour commettre les attentats, avoir sélectionné les membres de la cellule terroriste du 13 novembre 2015 et leur avoir donné pour instruction de commettre des attentats en France ;
- Avoir organisé le départ des terroristes de Syrie en constituant les groupes et en leur fournissant des téléphones, de l’argent et des faux papiers syriens ;
- Être resté en contact avec les terroristes durant leur trajet entre le Syrie et la Belgique pour les guider et les mettre en relation avec un passeur pour traverser la mer Egée.
Il était l’un des membres les plus importants de l’EI, dont il a rencontré l’émir, Abou Bakr AL-BAGHDADI, et le numéro 2, Abou Mohammed AL-ADNANI, lors de sa détention dans les geôles d’Abu Graib en Irak pour terrorisme.
Fort de son expérience de vétéran du jihadisme au sein d’Al-Qaïda, il est rapidement devenu le numéro 3 ou 4 de l’organisation, reprenant la direction en tant qu’Émir de la cellule des opérations extérieures de l’EI (COPEX) au décès d’AL-ADNANI, cellule s’occupant des attentats.
C’est lui qui a constitué la cellule franco-belge des attentats, y mettant à sa tête ses cousins et hommes de confiance, les frères EL BAKRAOUI, les ayant probablement radicalisés lors de son bref retour en Belgique à sa libération d’Abu Graib. Najim LAACHRAOUI était également l’un de ses proches de confiance, tout comme Mehdi NEMMOUCHE (auteur de l’attentat du musée juif de Bruxelles ndlr.), rencontrés lorsqu’il supervisait les gardiens d’otages de l’EI.
Il aurait élaboré l’ensemble des projets d’attentats et aurait recruté les membres des commandos du 13 novembre 2015, assurant via la COPEX l’ensemble de la logistique pour les terroristes venant de Syrie ainsi qu’une grande partie de la logistique européenne.
D’après les services de renseignement, il est présumé décédé sur zone 17 novembre 2017 suite à une frappe de drone de la Coalition. Il n’existe cependant aucune confirmation officielle ni certitude de son décès, d’où son jugement par défaut devant la Cour d’Assises pour les attentats du 13 novembre 2015.
C’est par ailleurs le seul poursuivi lors du procès comme dirigeant d’une organisation terroriste.
Obeida Aref Dibo
Présumé mort (jugé par défaut)
Date de naissance : Serait né en 1993 à Tall Rifaat (Syrie)
Nationalité : Syrien
Statut : Membre de l’EI avec probablement des responsabilités militaires importantes
Cadre de la COPEX (recrutement, formation, déploiement des opérationnels, expert en explosifs)
Proches du dossier : Oussama ATAR, Omar DARIF alias Ahmad ALKHALD ; Probablement Adel HADDADI, Muhammad USMAN, Osama KRAYEM, Sofien AYARI, Ahmed DAHMANI
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir été membre de l’EI en zone irako-syrienne ;
- Avoir été en contact régulier avec Oussama ATAR ;
- Avoir été avec Adel HADDADI et Muhammad USMAN ainsi que les deux Irakiens du Stade de France avant leur départ en Europe ;
- Avoir organisé la tentative de fuite en Syrie d’Ahmed DAHMANI après les attentats ;
- Avoir organisé le voyage des terroristes projetés en Europe en leur fournissant de faux passeports et en organisant leur passage en Turquie et leur déplacement jusqu’à Izmir en Turquie.
Il aurait assuré toute la logistique des trajets vers l’Europe des commandos projetés depuis la Syrie et la fourniture des faux passeports pour ce voyage avec l’aide de sa famille, notamment deux cousins en tant que passeurs. Il aurait également organisé la tentative de fuite en Syrie d’Ahmed DAHMANI après les attentats.
D’après les services de renseignements, il serait décédé sur zone en février 2016 lors de bombardements de la Coalition à Raqqa en Syrie. Cette information aurait été confirmée par deux de ses cousins vivant en Belgique. Cependant, à défaut de certitude de son décès, il est jugé par défaut par la Cour d’Assises.
Jean-Michel Clain
Présumé mort (jugé par défaut)
Date de naissance : 29 août 1980 à Toulouse (France)
Nationalité : Français
Statut : Figure du jihadisme français et vétéran du jihadisme
Membre de la filière jihadiste Artigat (qui a formé MERAH)
Condamné pour terrorisme en France
A rejoint l’EI en février 2014
Responsable de la propagande française de l’EI (vidéos et chants jihadistes
appelés anasheeds), « cavalier des médias » selon AL-BAGHDADI
Proche de la COPEX de par son appartenance à la cellule médiatique de l’EI
A effectué les revendications des attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir participé au montage d’une vidéo de revendication de l’EI mettant en scène les terroristes exécutant des otages (étape décisive pour s’assurer de la participation des terroristes aux attentats) ;
- Avoir collecté en amont des attentats des informations précises sur le scénario afin de préparer un audio de revendication (d’où certaines erreurs sur des attaques qui n’ont pas eu lieu ndlr.) ;
- Avoir revendiqué au nom de l’EI les attentats du 13 novembre 2015 dans un message audio, intensifiant l’effroi et la sidération générés par ces crimes.
Il serait décédé de ses blessures suite à une frappe de la Coalition en Syrie en février-mars 2019 lors du siège de Baghouz selon les informations données par son épouse. Un hommage vidéo lui a été rendue par AL-BAGHDADI le 29 avril 2019, signe de son importance au sein de l’EI. Il est jugé par défaut devant la Cour d’Assises en l’absence de toute certitude absolue de sa mort.
Fabien Clain
Présumé mort (jugé par défaut)
Date de naissance : 30 janvier 1978 à Toulouse (France)
Nationalité : Français
Statut : Figure du jihadisme français et vétéran du jihadisme
Membre de la filière jihadiste Artigat (qui a formé MERAH)
Condamné pour terrorisme en France
A rejoint l’EI en février 2015
Responsable de la propagande française de l’EI (vidéos et chants jihadistes
appelés anasheeds), « cavalier ou chevalier des médias » selon AL-BAGHDADI
Proche de la COPEX de par son appartenance à la cellule médiatique de l’EI
A effectué les revendications des attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015
Renvoyé devant la Cour d’Assises pour :
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats) ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (attentats)
- Complicité de séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste sans libération volontaire avant le 7ème jour (Bataclan) ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personne dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste (Bataclan).
Soit concrètement :
- Avoir participé au montage d’une vidéo de revendication de l’EI mettant en scène les terroristes exécutant des otages (étape décisive pour s’assurer de la participation des terroristes aux attentats) ;
- Avoir collecté en amont des attentats des informations précises sur le scénario afin de préparer un audio de revendication (d’où certaines erreurs sur des attaques qui n’ont pas eu lieu ndlr.) ;
- Avoir revendiqué au nom de l’EI les attentats du 13 novembre 2015 dans un message audio, intensifiant l’effroi et la sidération générés par ces crimes.
Il serait lors d’une frappe de la Coalition en Syrie en février 2019 lors du siège de Baghouz selon la Coalition et la propagande de l’EI. Un hommage vidéo lui a été rendue par AL-BAGHDADI le 29 avril 2019, signe de son importance au sein de l’EI. Il est jugé par défaut devant la Cour d’Assises en l’absence de toute certitude absolue de sa mort.
Annexe
Articles du code pénal et du code de procédure pénale cites dans l’ordonnance de mise en accusation (par infraction)
- Direction d’une organisation terroriste: Articles 421-1, 421-2-1, 421-6, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 203, 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle: Articles 421-1, 421-2-1, 421-6, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 203, 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 132-71, 221-1, 221-4, 221-8, 221-9, 221-9-1, 221-11, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 121-4, 121-5, 132-71, 221-1, 221-4, 221-8, 221-9, 221-9-1, 221-11, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Séquestration sans libération volontaire avant le septième jour en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 132-71, 224-1, 224-5-2, 224-9, 224-10, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Tentatives de meurtres sur personnes dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 121-4, 121-5, 132-71, 221-1, 221-4, 221-8, 221-9, 221-9-1, 221-11, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Complicité de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 121-6, 121-7, 132-71, 221-1, 221-4, 221-8, 221-9, 221-9-1, 221-11, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Complicité de tentatives de meurtres en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 121-4, 121-5, 121-6, 121-7, 132-71, 221-1, 221-4, 221-8, 221- 9, 221-9-1, 221-11, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Complicité de séquestration sans libération volontaire avant le septième jour en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 121-6, 121-7, 132-71, 224-1, 224-5-2, 224-9, 224-10, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Complicité de tentatives de meurtres sur personnes dépositaires de l’autorité publique en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 121-4, 121-5, 121-6, 121-7, 132-71, 221-1, 221-4, 221-8, 221- 9, 221-9-1, 221-11, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du Code pénal
Articles 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale ;
- Recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste: Articles 113-2, 421-1, 421-3, 422-3, 422-4, 422-6, 434-6 et 434-44 du Code pénal
Articles 203, 706-16 et 706-17 du Code de procédure pénale.
Fiche des membres de la cellule franco-belge des attentats décédes
Abdelhamid Abaaoud
Commando des terrasses avec Brahim ABDESLAM et Chakib AKROUH
Décédé dans l’assaut de la Rue des Corbillons à Saint-Denis le 18 novembre 2015
Date de naissance : 8 avril 1987 à Anderlecht (Belgique)
Nationalité : Belge
Statut : Chef opérationnel des commandos des attentats du 13 novembre
Ses plus proches du dossier : Frères ABDESLAM et Mohamed ABRINI, Oussama ATAR, Najim LAACHRAOUI, frères EL BAKARAOUI,
la plupart des opérationnels du 13 novembre
Il est issu d’une famille d’origine marocaine et a grandi au sein du quartier de Molenbeek, étant particulièrement proche de ses voisins, les frères Brahim et Salah ABDESLAM, ainsi que de Mohamed ABRINI.
Il était très défavorablement connu pour des faits de délinquance de droit commun en Belgique, notamment un vol avec effraction en décembre 2010 avec Salah ABDESLAM.
Son parcours est apparu comme un point de connexion entre les organisateurs et les opérationnels des attentats, la clé de voûte qui lient ceux-ci puisqu’il a participé à l’ensemble du processus d’élaboration des attentats du Thalys et du 13 novembre 2015.
Il se serait radicalisé en prison courant 2012 selon les services belges et son propre père, avec la filière ZERKANI, filière avec laquelle il partira en Syrie.
Il est parti une première fois en Syrie en mars 2013, revenant en septembre 2013. Puis, une seconde fois, en janvier 2014, enlevant son petit frère Younes, âgé de 13 ans, pour l’emmener avec lui.
En zone irako-syrienne, il a d’abord rejoint la Katibat Al-Mujahirin (groupe de combat des étrangers ndlr.) où il a côtoyé LAACHRAOUI dont il était très proche. Il a participé avec cette katibat à de nombreuses exactions et massacres filmés et documentés, dont une vidéo dite du « pick-up » qui fera sa renommée au sein de la propagande de l’État Islamique et l’identifiera comme un terroriste à surveiller pour les services de renseignement. Le quotidien de cette katibat était particulièrement barbare et dénué de toute humanité, faisant de l’horreur et la cruauté un jeu exercé avec zèle.
En avril – mai 2014, cette katibat fusionnera avec la Katibat Al-Battar. Il y retrouvera son frère Younes. Elle sera rejointe par la katibat Tariq Ibn Zyad qui comportait les membres du commando du Bataclan. L’ensemble de ces katibats regroupe les opérationnels des attentats du 13 novembre projetés en Europe.
Il a occupé une position hiérarchique importante au sein de la Katibat Al-Battar, discutant nomment avec les Emirs de l’État Islamique de camps d’entraînements et de projets d’attentats.
Par la suite, il connaîtra une véritable consécration médiatique dans la propagande de l’État Islamique et deviendra membre de la Cellule des opérations extérieures (COPEX) début 2015. Au sein de la COPEX, il sélectionnait les nouveaux arrivants en Syrie en testant leur motivation, les entraînant au maniement des armes et en leur donnant une formation aux communications cryptées. Il les renvoyait ensuite à la frontière à l’issue de quelques jours ou semaines avec l’ordre de retourner en Europe pour commettre des attentats. Parfois, il organisait plusieurs séjours sur zone aux opérationnels pour ne pas éveiller les soupçons.
Il est revenu en Belgique le 6 août 2015 et aurait été envoyé en Europe pour contrôler la partie opérationnelle, galvaniser ses hommes et empêcher leurs défections. Il a tout d’abord géré la cellule de Verviers de l’attentat avorté du Thalys du 21 août 2015.
Il s’est maintenu en clandestinité jusqu’aux attentats du 13 novembre 2015 et ce n’est que grâce au témoignage de Soraya MESSAOUDI (femme l’ayant dénoncé ainsi que sa couine Hasna AÏT BOULAHCEN lors de sa planque suite aux attentats ndlr.) que sa présence en Europe a été révélée.
Sur l’organisation des attentats, Mohamed ABRINI et Salah ABDESLAM expliqueront qu’il leur avait forcé la main, utilisant la reconnaissance qui lui était due et les liens d’amitiés. Ils indiqueront également qu’il cloisonnait tout et que, jusqu’au dernier moment, les membres des commandos ignoraient quelles seraient les cibles. Le 12 novembre, chaque opérationnel ne connaissait que sa cible et sa mission, pas celle des autres, afin d’éviter toute fuite et un désastre similaire à celui du Thalys. Cela expliquera aussi qu’il ait fait « prendre en charge » ABRINI par les frères EL BAKRAOUI après sa défection, pour le « piéger » et l’empêcher de parler.
Le 13 novembre 2015, il faisait partie des commandos des terrasses avec Chabik AKROUH et Brahim ADESLAM.
Sa fuite avec Chakib AKROUH et sa cavale suite aux attentats a beaucoup interrogé, notamment en raison de l’abandon de leur véhicule avec un arsenal non utilisé dans son coffre mais aussi par le fait qu’il se soit retrouvé à se cacher dans un buisson à Aubervilliers durant plusieurs jours, devant faire appel à sa cousine Hasna AÏT BOULAHCEN pour trouver une planque, alors que cette dernière avait un profil aux antipodes du sien. ABAAOUD n’était en effet pas un homme à ne pas prévoir et se laisser surprendre.
Il a été supposé que l’évènement ayant entraîné cette désorganisation puisse être l’échec de l’attaque du Stade de France, la fuite de Salah ABDESLAM ou encore l’attentat avorté à Amsterdam-Schiphol, notamment eu égard au fait que le véhicule a semblé se diriger vers Roissy-Charles de Gaulle peut-être pour faire un attentat, mais il se serait perdu dans l’échangeur de Bagnolet.
En tout état de cause, ABAAOUD et AKROUH n’ont pas été exfiltré par la cellule belge qui avait leur position, ce qui laisse entendre qu’ils ont été maintenus en clandestinité pour commettre un nouvel attentat, probablement à la Défense. Celui-ci n’a échoué que par le témoignage de Soraya MESSAOUDI ayant permis leur neutralisation.
Il a été tué dans l’assaut de la Rue des Corbillons à Saint-Denis le 18 novembre 2015.
Chakib Akrouh
Commando des terrasses avec Brahim ABDESLAM et Abdelhamid ABAAOUD
Décédé dans l’assaut de la Rue des Corbillons à Saint-Denis le 18 novembre 2015
Date de naissance : 27 août 1990 à Berchem-Sainte-Agathe (Belgique)
Nationalité : Belgo-marocain
Statut : Opérationnel du commando des terrasses
Ses plus proches du dossier : Abdelhamid ABAAOUD, Mohamed ABRINI, Salah ABDESLAM, Bilal HADFI
Il a grandi à Molenbeek et se serait radicalisé en 2011 après un voyage à La Mecque. Il a commencé à fréquenter en 2012 une école pour apprendre l’arabe et le Coran.
Il aurait fréquenté au sein du quartier de Molenbeek Abdelhamid ABAAOUD, Mohamed ABRINI et Salah ABDESLAM.
Il est parti en Syrie en janvier 2013 via la filière ZERKANI dans laquelle était impliqué ABAAOUD. Sur zone, il aurait rejoint la Katibat Al-Battar des francophones en 2014 où il aurait été très proche de d’Abdelhamid ABAAOUD. Il aurait également combattu avec Bilal HADFI (commando du Stade de France) en 2015. Il se serait marié sur zone et aurait eu un fils.
Il aurait quitté la Syrie à la mi-août 2015 avec Bilal HADFI en empruntant la route des migrants, étant récupérés supposément par Salah ABDESLAM en Hongrie. Ils seraient les premiers arrivés des commandos en Belgique, le 1er septembre 2015.
Il a fait partie du commando des terrasses avec Abdelhamid ABAAOUD et Brahim ABDESLAM le soir du 13 novembre. Puis, il aurait pris la fuite et serait entré en cavale avec ABAAOUD, probablement dans l’attente de la commission d’un nouvel attentat.
Il a été tué dans l’assaut de la Rue des Corbillons à Saint-Denis le 18 novembre 2015.
Brahim Abdeslam
Commando des terrasses avec Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH
Décédé au Comptoir Voltaire
Date de naissance : 30 juillet 1984 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Franco-marocain
Statut : Opérationnel du commando des terrasses
Appui logistique important dans la préparation des attentats
Ses plus proches du dossier : Abdelhamid ABAAOUD, Salah ABDESLAM (frère), Mohammed AMRI, Ali OULKADI, Hamza ATTOU, Mohamed ABRINI, Ahmed DAHMANI
Il est issu d’une famille d’origine marocaine et a grandi au sein du quartier de Molenbeek avec son frère Salah, âgé de cinq ans de moins que lui. Leur voisin était Abdelhamid ABAAOUD.
Il a tenu le Café des Béguines, rapidement devenu un point névralgique au sein du quartier et de connexion entre les différents protagonistes du dossier. Ce bar apparaît comme la clé de voûte reliant la plupart des accusés entre eux car ils étaient soit des clients, soit y ont travaillé, soit étaient amis avec Brahim ABDESLAM ou lui étaient redevables.
Il aurait organisé des séances de visionnages de vidéos de propagande de l’État Islamique au sein du Café, selon les versions dans une pièce dédiée à la cave ou simplement en passant les vidéos sur son ordinateur au comptoir du Café sans se cacher. Il a également été dit qu’il aurait passé des appels à Abdelhamid ABAAOUD sur zone au sein du Café, probablement à la cave, sans certitude.
Il se serait radicalisé en étant particulièrement admiratif d’Abdelhamid ABAAOUD, la tristement célèbre vidéo dite du pick-up de ce dernier étant souvent évoquée comme point de révélation de sa radicalité, notamment à travers les propres radicaux qu’il tenait parfois. Il n’était cependant pas écouté par les autres.
Il s’est marié au Maroc en août 2014, pays où il effectuait par la suite un nouveau séjour.
Il est parti en Syrie du 27 janvier au 7 février 2015 et y aurait reçu un entraînement au tir au sein de la COPEX, occasion à laquelle il aurait également filmé le passage le concernant pour la vidéo ultérieure de revendication des attentats.
Il aurait gardé ce voyage secret, invoquant avoir pris des vacances en Turquie où il avait fait la fête et « profité des filles et de la piscine » à ses proches. Son propre frère, Salah ABDESLAM, n’aurait appris ce voyage que quelques mois après. Brahim ABDESLAM lui aurait confié que l’État Islamique l’avait renvoyé en Belgique car il n’y avait aucun intérêt à ce qu’il se fasse tuer sur place, qu’il servirait davantage l’État Islamique en étant en Belgique et en attendant qu’on lui confie une « mission ».
Il était arrêté à son retour de Syrie et interrogé le 16 février 2015, mais il était relâché après avoir dénié toute radicalité, invoquant sa consommation de cannabis et servir de l’alcool au sein de son Café.
Brahim ABDESLAM est apparu comme ayant eu un rôle omniprésent dans les ultimes préparatifs des attentats, notamment en louant au moins un véhicule (Seat Leon) et les planques en région parisienne (Bobigny et Alfortville).
Par ailleurs, il aurait eu un rôle central dans la participation de son frère Salah aux attentats, abusant de l’affection et de l’admiration que lui portait ce dernier.
Il lui aurait demandé de lui rendre de nombreux « services », notamment de ramener des personnes en voiture des pays de l’Est qu’il présentait comme des personnes fuyant le conflit syrien par la route des migrants (alors qu’il s’agissait de membres des commandos du 13 novembre), ou encore en lui demandant d’effectuer des locations pour lui. Il lui aurait par la suite révélé qu’il avait rendu service sans le savoir à l’État Islamique et qu’il n’avait pas d’autre choix que d’être exfiltré en Syrie, qu’il fallait attendre le « feu vert » pour son voyage, les routes pour rejoindre le Sham étant devenues moins sûres.
Il aurait également emmené son frère Salah rencontrer Abdelhamid ABAAOUD le 11 novembre 2015, ce dernier lui demandant de participer aux attentats avec eux et lui révélant que Brahim lui avait menti, qu’aucun voyage n’avait jamais été prévu pour lui. C’est enfin lui qui aurait déterminé la participation de son frère Salah aux attentats en ne cessant de lui dire qu’il en était capable et qu’il devait le faire avec lui.
Il l’aurait par ailleurs « encadré » à Paris en lui montrant les lieux où il devait aller pour convoyer le commando du Stade de France et ensuite se faire exploser dans un bar du 18ème arrondissement.
Le 13 novembre 2015, il a fait partie du commando des terrasses avec Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH. Il s’est ensuite rendu au Comptoir Voltaire où il est décédé dans l’actionnement de son gilet d’explosifs.
Foued Mohamed-Aggad
Commando du Bataclan avec Samy AMIMOUR et Ismaël Omar MOSTEFAÏ
Décédé sur place
Date de naissance : 18 septembre 1992 à Wissembourg (Alsace)
Nationalité : Française
Statut : Opérationnel du commando du Bataclan
Ses plus proches du dossier : Abdelhamid ABAAOUD, Samy AMIMOUR, Ismaël Omar MOSTEFAÏ
Foued MOHAMED-AGGAD a grandi dans la banlieue de Strasbourg à Wissembourg. Il était connu de la justice pour des faits de droit commun de violences et dégradations. Il avait ensuite déménagé à Toulouse avec sa petite amie de l’époque.
Il s’est radicalisé à l’été 2013 lors d’un retour en Alsace au contact de Mourad FARES, recruteur de l’État Islamique de la filière de Wissembourg, tout comme son frère Karim. Son ex petite-amie indiquera que Mourad FARES l’aurait radicalisé en une soirée, exploitant le fait que Foued n’avait jamais trouvé sa place en France. Il était en effet le « boulet de la famille », rejeté par un père violent. Il se radicalisera par la suite davantage sur internet en visionnant la propagande et en prenant conseil auprès de FARES.
Il quittera la France en décembre 2013 avec cette filière et sera accueilli sur place par FARES, malgré l’ouverture d’une enquête préliminaire en septembre 2013 sur ce groupe.
Sur zone, il aurait joué un rôle de recruteur d’épouses, dont la sienne, et aurait intégré les katibats Tariq Ibn Zyad puis Al-Battar. Il a donc fait partie des katibats d’élite où les opérationnels étaient recrutés et y aurait rencontré Samy AMIMOUR et Ismaël Omar MOSTEFAÏ ainsi qu’Abdelhamid ABAAOUD. Sa détermination apparaissait sur sa fiche d’enrôlement de l’État Islamique où il indiquait vouloir être « kamikaze ».
Son ex petite-amie expliquera son quotidien sur zone. Foued et son groupe se seraient rendus en Syrie par curiosité et se seraient retrouvés piégés là-bas. Ce dernier idéalisait sa vie sur zone dans ses échanges avec elle, tandis que son frère lui expliquait que les Français étaient des « larbins » entassés à cent dans des maisons, ne mangeant pas à leur faim, interrogés en permanence et envoyés en première ligne pour se faire tuer. Elle a indiqué qu’il se complaisait dans une vie qu’il s’était inventé, alors qu’il n’avait jamais lu le Coran ou pratiqué, car rien ne l’attendait en France. Elle a servi d’intermédiaire entre lui et sa famille (il aurait radicalisé sa mère et sa sœur selon elle ndlr.), mais a coupé le contact par peur quand il insistait pour qu’elle le rejoigne sur zone.
Sa famille était parfaitement au fait de ses agissements sur place, de sa volonté de mourir en martyr et de son retour imminent en Europe pour commettre une attaque, sa mère lui donnant l’absolution en disant qu’elle et son père étaient fiers de lui et de son frère, qu’ils leur pardonnaient et qu’ils pouvaient « partir tranquille ». Sa famille l’a par ailleurs aidé financièrement sur place.
Il a emprunté la route des migrants pour revenir en Europe avec MOSTEFAÏ et AMIMOUR entre août et septembre 2015, mais il persiste un doute sur le fait de savoir s’ils ont été récupérés par Salah ABDESLAM pour être convoyés vers la Belgique. Il a fait partie du commando du Bataclan et est mort en actionnant sa ceinture lors de l’intervention du RAID pour mettre fin à la prise d’otage.
Ismaël Omar Mostefaï
Commando du Bataclan avec Foued MOHAMED-AGGAD et Samy AMIMOUR
Décédé sur place
Date de naissance : 21 novembre 1985 à Courcouronnes (Essonne)
Nationalité : Franco-algérien
Statut : Opérationnel du commando du Bataclan, leader présumé
Ses plus proches du dossier : Samy AMIMOUR, Foued MOHAMED-AGGAD
Ismaël Omar MOSTEFAÏ a vécu en région parisienne puis à Chartres. Il était connu de la justice pour des faits de droit commun de vols et de violences. Il a évolué dans un milieu salafiste depuis son plus jeune âge et était le seul du trio du Bataclan à posséder des connaissances religieuses solides.
Il était fiché depuis 2010 comme radicalisé en raison de sa fréquentation du groupe de la Mosquée de Beaulieu à Chartres, de la Mosquée salafiste El Mossinine de Luce et parce qu’il collectait des fonds pour l’association « Les Oubliés du Sham » active en Belgique jusqu’en 2013 et qui a fait l’objet d’une procédure judiciaire.
Il s’est marié en 2008 en Algérie et a eu deux enfants avec son épouse. Un troisième enfant est né sur zone après qu’elle l’y ait rejoint.
Il est parti en Syrie début septembre 2013 avec deux autres personnes, dont Samy AMIMOUR.
Sa famille est apparue comme étant parfaitement au fait de ses projets de rejoindre l’État Islamique avec femme et enfants, elle aurait même aidé sa femme à le rejoindre sur zone dix mois plus tard, se dédouanant en disant qu’il s’agissait de « leur problème ». Par ailleurs, interrogés après les attentats, il est apparu que plusieurs membres de sa famille se trouvaient le soir-même dans Paris à proximité de la Rue de Charronne après avoir assisté à un spectacle de l’humouriste controversé Dieudonné.
Sur zone, il a occupé une position hiérarchique importante, une place de leader, tenant même une « maison » de combattants étrangers, ce grâce à sa connaissance de la religion et à sa maîtrise de la langue arabe. Il a fait partie de la Katibat Al-Mujahirin et aurait mené des combats sur place, puis de la Katibat Tariq Ibn Zyad où il était proche du commandant. Il a rapidement formé un duo avec AMIMOUR. Il a également fréquenté MOHAMED-AGGAD au sein des katibats. Sa détermination apparaissait sur sa fiche d’enrôlement de l’État Islamique où il indiquait vouloir être « kamikaze ».
Il a emprunté la route des migrants pour revenir en Europe avec MOHAMED-AGGAD et AMIMOUR entre août et septembre 2015, mais il persiste un doute sur le fait de savoir s’ils ont été récupérés par Salah ABDESLAM pour être convoyés vers la Belgique.
Il a fait partie du commando du Bataclan et les otages indiqueront qu’il semblait clairement diriger le trio. Il est mort dans l’explosion de la ceinture de MOHAMED-AGGAD lors de l’intervention du RAID pour mettre fin à la prise d’otage.
Samy Amimour
Commando du Bataclan avec Foued MOHAMED-AGGAD et Ismaël Omar MOSTEFAÏ
Décédé sur place
Date de naissance : 15 octobre 1987 à Paris 14ème
Nationalité : Franco-algérien
Statut : Opérationnel du commando du Bataclan
Ses plus proches du dossier : Ismaël Omar MOSTEFAÏ, Foued MOHAMED-AGGAD
Samy AMIMOUR a grandi dans une famille sans communication, où tout était tabou, avec une absence totale du père, ayant joué ce rôle auprès de sa sœur. Il a été décrit comme une personnalité introvertie s’étant radicalisée sur internet entre 2010 et 2012. Sa famille n’aurait rien remarqué. Il a été qualifié de suiveur déterminé revendiquant un jihad défensif.
Il a eu un premier projet de départ avorté en 2012 pour rejoindre Al-Qaïda pour lequel il a été placé sous contrôle judiciaire et interrogé. Il est ensuite parti en Syrie en septembre 2013 avec Ismaël Omar MOSTEFAÏ sous couvert d’un voyage d’agrément (voyage possible même sous contrôle judiciaire dans l’espace Schengen avec sa carte d’identité puis avec un passage clandestin par la Turquie ndlr.). Ce voyage s’est fait avec une longue préparation étalée sur un an et n’était donc pas un « coup de tête » (entraînement au tir, comptes bancaires vidés, démission de son emploi de chauffeur de bus à la RATP etc.).
Sur zone, il aurait rejoint les katibats Al-Mujahirin et Tariq Ibn Zyad, avant de rejoindre la Katibat Al-Battar d’ABAAOUD. Il aurait presque toujours combattu au sein des Katibats Tariq Ibn Zyad puis Al-Battar avec MOHAMED-AGGAD et MOSTEFAÏ.
Lors de ses contacts avec sa famille, il aurait évoqué sa grande proximité avec Ismaël Omar MOSTEFAÏ sur place. Son père est d’ailleurs allé sur zone le rejoindre, selon lui pour tenter de le ramener mais il s’est montré très secret sur le temps passé sur place et ce qu’il y a fait. Sa sœur dira qu’il lui parlait de sujets futiles, mais aussi de son quotidien au sein de sa katibat et qu’il essayait de la rallier à sa vision de la religion. Malgré son désaccord, elle n’a pas voulu le contredire sinon il aurait coupé tout contact car il ne supportait pas le désaccord. Il lui a indiqué qu’il ne rentrerait pas car sa vie était là-bas. Selon elle, il était devenu une autre personne, affirmé et manipulateur.
Il aurait été blessé en août 2014 par une grenade, ce qui l’aurait rendu inapte au combat. Il aurait également servi de recruteur d’épouses potentielles à l’État Islamique et aurait réussi à en faire venir une sur zone (avec laquelle il s’est marié et qui a eu un enfant de lui), se servant de sa sœur comme intermédiaire involontaire. Cette dernière a dit l’avoir aidé car elle aurait tout fait pour exister aux yeux de ce frère qui l’a élevée comme un père, palliant l’absence de ce dernier. Sa détermination apparaissait sur sa fiche d’enrôlement de l’État Islamique où il indiquait vouloir être « kamikaze ».
Il a emprunté la route des migrants pour revenir en Europe avec MOSTEFAÏ et MOHAMED-AGGAD entre août et septembre 2015, mais il persiste un doute sur le fait de savoir s’ils ont été récupérés par Salah ABDESLAM pour être convoyés vers la Belgique.
Il a fait partie du commando du Bataclan et est mort en actionnant sa ceinture sur la scène du Bataclan lors de l’intervention du commissaire de la Bac 75 Nuit qui a tiré sur lui pour le neutraliser.
Bilal Hadfi
Commando du Stade de France avec les deux Irakiens
Décédé sur place
Date de naissance : 22 janvier 1995 à Jette (Belgique)
Nationalité : Française
Statut : Opérationnel du commando du Stade de France
Ses plus proches du dossier : Chakib AKROUH
Bilal HADFI a passé toute son enfance dans l’agglomération bruxelloise et a perdu son père en 2007, à l’âge de 12 ans. Il a été décrit comme ayant une personnalité effacée et repliée, avec une crise identitaire avant sa radicalisation et une adolescence marquée par les excès (délinquance, alcool, drogue).
Sa radicalisation n’a pas été remarquée par ses proches, bien qu’ils aient noté un changement dans son comportement avec notamment le début de la pratique de la prière, et a été très rapide avant son départ. Il a été supposé qu’il aurait pu être radicalisé par un immam connu pour ses prêches haineux, sans confirmation. Sa radicalisation était par ailleurs constatable sur les réseaux sociaux en 2014 à travers certains posts et certaines photographies.
Il est parti en Syrie en février 2015 sous prétexte d’aller sur la tombe de son père au Maroc. Il a donné des nouvelles à sa mère et ses proches via les réseaux sociaux et aurait dit que s’il rentrait c’était pour une attaque.
Il aurait fait partie de plusieurs katibats sur zone, notamment avec Chakib AKROUH. Son parcours n’a cependant pas pu être retracé.
Il est revenu en Europe via la route des migrants avec Chakib AKROUH en août 2015 et aurait été ramené en Belgique par Salah ABDESLAM, voyage contesté par ce dernier.
Il aurait été logé dans la planque de Charleroi jusqu’aux attentats et aurait participé activement à la confection des gilets d’explosifs.
Il est à noter qu’il aurait changé de planque dans la nuit du 12 au 13 novembre (d’Alfortville à Bobigny), donc probablement qu’il aurait changé de commando. Les enquêteurs ont supposé qu’il devait initialement faire partie du commando du Bataclan, sans que l’on sache la raison de ce changement pour le commando du Stade de France. Il a cependant été avancé qu’il aurait pu remplacer Mohamed ABRINI au pied levé car son déplacement correspond à la défection et au retour d’ABRINI vers la Belgique d’après les données téléphoniques.
Le 13 novembre, il a donc finalement fait partie du commando du Stade de France véhiculé par Salah ABDESLAM avec les deux Irakiens non identifiés à ce jour. Il est mort dans l’explosion de son gilet d’explosifs à proximité du McDonald’s.
Les Irakiens
Commando du Stade de France avec Bilal HADFI
Décédés sur place
Identités supposées : Ahmad AL MOHAMMAD
et Mohamad ALMAHMOD
Kunya certaines (noms de guerre) : Ukashah Al-Iraqi
et Ali Al-Iraqi
Nationalités supposées : Syriennes
Statut : Opérationnels du commando du Stade de France
Leur identité n’a jamais pu être déterminée. Seules leur kunyas sont connues grâce à la vidéo de revendication des attentats.
Il se peut cependant, d’après une information du Ministère des Armées irakien, que le dénommé Ahmad AL MOHAMMAD puisse être d’Ammar Ramadan Mansour AL SABAWI, né en 1993 ou 1995, dans le village de Duwayzat Faqani dans la province de Ninive. Cette information résulterait d’un test ADN de cheveux réalisé sur le frère de cette personne, ainsi que d’une information selon laquelle la famille de cette personne aurait été informée de son décès dans un attentat suicide et aurait été dédommagée pécuniairement. Cette information n’a cependant pas pu être formellement confirmée malgré l’émission d’une commission rogatoire internationale à cette fin.
L’identité du second dit Mohamad ALMAHMOD demeure toujours inconnue à ce jour.
En tout état de cause, il semble qu’ils étaient proches d’Oussama ATAR et qu’ils dirigeaient le groupe formé à l’origine avec Muhammad USMAN et Adel HADDADI.
Ils ont emprunté ensemble la route des migrants jusqu’à l’arrestation d’USMAN et HADDADI. Ils ont continué le voyage mais on ignore tout de leur arrivée sur le sol belge. On sait uniquement qu’ils étaient présents dans la planque de Charleroi pour le départ vers la France, voyage fait dans le véhicule Seat Leon avec ABAAOUD et AKROUH.
Ils sont décédés dans l’explosion de leurs gilets au Stade de France.
Ibrahim El Bakraoui
Dirigeant de la cellule franco-belge des attentats
Décédé dans les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 (aéroport de Zaventem)
Date de naissance : 9 octobre 1986 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Belge
Statut : Dirigeant de la cellule franco-belge des attentats
Ses plus proches du dossier : Oussama ATAR (cousin), Yassine ATAR
(cousin), Ali EL HADDAD ASUFI, Mohamed BAKKALI
Il est le frère aîné de Khalid EL BAKARAOUI. Il a passé toute son enfance à Laeken, commune de Bruxelles-Capitale.
Il a un lourd passé de braqueur avec son frère Khalid. Il a été condamné en 2011 à 10 ans d’emprisonnement pour tentative de meurtre et tentative de vol avec arme, ainsi qu’à 40 mois d’emprisonnement la même année pour tentative de vol avec arme et association de malfaiteurs.
Il a été détenu dans de nombreuses prisons durant cette période et y a notamment reçu la visite de son cousin Oussama ATAR (vétéran du jihad et chef de la COPEX, haut gradé de l’État Islamique ndlr.), ainsi que de son autre cousin Yassine ATAR et d’Ali EL HADDAD ASUFI.
Il est sorti de prison le 15 mai 2014 et a été placé sous bracelet électronique jusqu’au 23 octobre 2014. Sa famille proche (parents et sœur) a remarqué à sa sortie de prison un changement d’attitude : il s’était mis à prier assidûment, était devenu distant, avait changé de style vestimentaire, faisait des réflexions à sa sœur sur son style vestimentaire, s’était inscrit à des cours d’arabe intensifs. Il était supposé qu’Oussama ATAR n’était pas pour rien dans ce changement d’attitude.
Ali EL HADDAD ASUFI, son ami depuis plus de dix ans, aurait fait le même constat en procédure, mais il est revenu sur celui-ci lors du procès en disant que rien ne laisser à penser à sa radicalisation et qu’il était dans la dissimulation. Yassine ATAR, son cousin, et la famille de ce dernier ont également dénié avoir pu constater toute radicalisation chez lui.
Dans son testament, retrouvé dans l’ordinateur de la planque de la Rue Max Roos après les attentats de Bruxelles, il a indiqué avoir prêté allégeance à l’État Islamique en novembre 2014. La revue « Dabiq » de l’État Islamique, dans son communiqué posthume sur les attentats de Bruxelles, datait sa radicalisation à sa détention, tout comme son frère. Elle ajoutait qu’ils avaient rassemblé les armes et les explosifs pour perpétrer les attentats de Paris et Bruxelles.
Il a tenté deux fois de rejoindre l’État Islamique :
- Une première fois en juin 2015 via la Turquie mais il a été arrêté ;
- Une seconde fois à l’été 2015 via la Grèce.
Revenu en Belgique, il se cachait dans des appartements mis à sa disposition par Mohamed BAKKALI et un ami d’Ali EL HADDAD ASUFI.
Ses proches, notamment Ali EL HADDAD ASUFI, diront que sa radicalisation était invisible et que ses tentatives de départs étaient pour eux une tentative de partir en cavale après un coup qui avait mal tourné, tout comme le fait qu’il se soit planqué après dans divers appartements.
Les éléments de l’enquête laissent à penser que pendant cette période il a planifié et organisé les attentats sur le plan logistique. Il faisait notamment partie des coordinateurs des attentats du 13 novembre 2015 et se serait occupé de trouver les armes nécessaires.
Salah ABDESLAM indiquera qu’il était présent dans la planque de la Rue Henri Berger où il s’est caché quand il est rentré en Belgique et qu’il est entré dans une grande colère à son arrivée, lui disant qu’il avait mis en danger toute la cellule en ne cherchant pas à actionner son gilet défectueux et en se rendant dans cette planque qui devait rester secrète. C’est également lui et Najim LAACHRAOUI qui l’ont transféré de planques en planques jusqu’à son arrestation.
Osama KRAYEM dira avoir compris des conversations tenues en sa présence qu’Oussama ATAR avait fait d’Ibrahim EL BAKRAOUI le chef de la cellule, car il était son homme de confiance. Ibrahim EL BAKRAOUI lui rendait d’ailleurs des comptes régulièrement avec Najim LAAACHRAOUI au vu des éléments retrouvés dans le matériel informatique de la cellule après les attentats de Bruxelles.
L’enquête semble démontrer qu’il aurait eu un rôle central d’Émir et de tête pensante des attentats avec Abdelhamid ABAAOUD et Najim LAACHRAOUI.
Il est décédé le 22 mars 2016 dans l’explosion de son sac d’explosifs à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem.
Khalid El Bakraoui
Dirigeant de la cellule franco-belge des attentats
Décédé dans les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 (métro)
Date de naissance : 12 janvier 1989 à Bruxelles (Belgique)
Nationalité : Belge
Statut : Dirigeant de la cellule franco-belge des attentats
Ses plus proches du dossier : Oussama ATAR (cousin), Yassine ATAR
(cousin), Mohamed BAKKALI, Farid KHARKHACH, Osama KRAYEM
Il est le frère cadet d’Ibrahim EL BAKARAOUI. Il a grandi avec lui à Laeken, commune de Bruxelles-Capitale. Il a été décrit comme dangereux, violent, manipulateur et secret. Il inspirait la peur à tous.
Tout comme son frère, il a un lourd passé de braqueur. Il a notamment été condamné en 2011 à 5 ans d’emprisonnement pour vol avec arme et association de malfaiteurs, soit une tentative braquage. Il a été détenu entre 2009 et 2013 et a notamment reçu la visite de son cousin Oussama ATAR lorsqu’il était en Belgique.
Il est sorti de prison le 13 mai 2013 sous bracelet électronique, bracelet retiré le 6 janvier 2014. Sa famille proche (parents et sœur) a fait le même constat que pour son frère à sa sortie de prison : il s’était mis à prier assidûment, était devenu distant, avait changé de style vestimentaire, faisait des réflexions à sa sœur sur son style vestimentaire, s’était inscrit à des cours d’arabe intensifs (où il a rencontré Mohamed BAKKALI qui est devenu un ami proche). Il était supposé qu’Oussama ATAR n’était pas pour rien dans ce changement d’attitude.
Sa compagne, Nawal, avec qui il était depuis juin 2013, aurait également déclaré qu’il était très pratiquant, lui demandait de lire des livres religieux, lui interdisait de voir d’autres hommes. A partir de janvier 2015, il serait devenu obnubilé par la Syrie et l’État Islamique, regardant beaucoup de vidéos de propagande. C’était, selon elle, une obsession, au point qu’il en parlait tout le temps et avec tout le monde.
D’autres amis ont également confirmé ce constat.
En revanche, son cousin Yassine ATAR et la famille de ce dernier ont nié avoir constaté ce changement.
Il s’est marié le 31 mai 2014 avec sa compagne Nawal et a profité de cette occasion pour organiser son voyage de noce en Turquie. Il se serait alors rendu en Syrie lors de ce voyage durant une journée, seul, pour y rencontrer Oussama ATAR et d’autres Émirs de l’État Islamique, information confirmée par Osama KRAYEM. Il est supposé que c’est à l’occasion de cette rencontre qu’Oussama ATAR a désigné Khalid et son frère Ibrahim pour être les Émirs de la cellule franco-belge des attentats, émanation de la COPEX qu’il dirigeait, et ses hommes de confiance en Europe.
Concernant les attentats du 13 novembre, il est apparu comme le coordinateur téléphonique de ces derniers. Il se serait chargé de trouver les armes et faux papiers nécessaires, pour ces derniers via Farid KHARKHACH. Il se serait également occupé de la location de nombreuses planques avec Mohamed BAKKALI (qu’il tentera de dédouaner par la suite en disant avoir abusé de sa gentillesse dans un enregistrement retrouvé après les attentats de Bruxelles).
Il aurait également piloté la tentative d’attentat avortée le 13 novembre 2015 à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, attentat qui aurait dû être commis par Osama KRAYEM et Sofien AYARI.
C’est également lui qui a récupéré Mohamed ABRINI à son retour en Belgique après sa défection, le maintenant sous son emprise constante dans les planques de la cellule afin de l’obliger à passer à l’acte lors des attentats de Bruxelles.
Tout comme son frère, il est apparu dans le matériel informatique de la cellule qu’il était en contact permanent avec Oussama ATAR pour prendre ses instructions et rendre des comptes sur l’avancée des opérations.
Le 22 mars 2016, Khalid EL BAKRAOUI et Osama KRAYEM quittaient ensemble la planque d’Etterbeek, porteurs chacun d’un sac rempli de TATP. Si Osama KRAYEM renonçait au dernier moment à commettre un attentat suicide, Khalid EL BAKRAOUI allait lui au bout de sa démarche.
Il est décédé dans l’explosion de son sac d’explosifs dans le métro de Bruxelles le 22 mars 2016.
Najim Laachraoui
Dirigeant de la cellule franco-belge des attentats et homme de confiance d’Oussama ATAR
Décédé dans les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 (aéroport de Zaventem)
Date de naissance : 18 mai 1991 à Adjir (Maroc)
Nationalité : Belge
Statut : Dirigeant de la cellule franco-belge des attentats
et artificier, homme de confiance d’Oussama ATAR
Ses plus proches du dossier : Oussama ATAR, Ibrahim
et Khalid EL BAKRAOUI, Abdelhamid ABAAOUD,
Osama KRAYEM, Mohamed BELKAID, Mohamed ABRINI
Il est l’aîné d’une fratrie de cinq enfants et a grandi au sein d’une famille d’origine marocaine à Schaerbeek, commune de Bruxelles-Capitale.
Il se serait radicalisé au moment de sa majorité en 2009. Il aurait été endoctriné à Molenbeek où il fréquentait la Mosquée des Étangs noirs.
Il est parti en Syrie en février 2013 et faisait donc partie des premiers partants pour rejoindre l’État Islamique. Cet élément sera confirmé par la revue « Dabiq » de l’État Islamique qui, dans son éloge posthume, dira qu’il avait fait sa hijra en 2013 et avait été l’un des premiers à prêter allégeance à Abou Bakr AL-BAGHDADI.
Il gardera le lien avec sa famille durant toute sa présence sur zone, cherchant à les pousser à faire leur hijra. Il leur aurait également indiqué qu’il ne reviendrait jamais en Europe, sauf peut-être avec des armes.
Par ailleurs, dès son arrivée, il aurait entretenu une correspondance assidue avec Abdelhamid ABAAOUD via Facebook, notamment durant la période où il est retourné la première fois en Belgique réunir de l’argent et enlever son petit frère. Il aurait ensuite formé un véritable tandem avec lui, de nombreux revenants indiquant qu’ils vivaient ensemble et étaient inséparables, à l’instar de Mohamed ABRINI lors de son voyage pour aller sur la tombe de son frère.
Sur zone, il a rapidement gravi les échelons de l’organisation. Il a d’abord intégré la Liwa As-Saddiq, unité d’élite de l’État Islamique, où il faisait partie du groupe de geôliers s’occupant des otages, groupe qui deviendra par la suite la Cellule des opérations extérieures (COPEX). C’est à cette occasion qu’il a rencontré Oussama ATAR qui dirigeait ce groupe, ainsi que Mehdi NEMMOUCHE. Il était d’abord l’assistant de Mehdi NEMMOUCHE avant de devenir l’homme de confiance des geôliers les plus cruels surnommés « les Beatles ».
Un otage de ce groupe, le journaliste français Nicolas HENIN, détenu de juin 2013 à avril 2014, dira avoir constaté cette ascension spectaculaire au sein de la hiérarchie. Il le décrira également comme quelqu’un de complètement convaincu par l’idéologie, dans une sorte de croisade positive, persuadé de faire le bien, minimisant les dissensions qui pouvaient exister au sein de l’État Islamique et l’idéalisant. Sur sa personnalité, il était le plus « humain » des geôliers, cherchant à se positionner comme quelqu’un de généreux, il ne les maltraitait pas et leur apportait même de la nourriture en cachette. Un autre otage journaliste français, Didier FRANCOIS, dira qu’il semblait très proche de l’Émir, Oussama ATAR.
Il aurait également fait partie de la katibat née de la fusion des katibats Beyt Al-Mouhejirin et Al-Battar avec Abdelhamid ABAAOUD.
Il aurait été gravement blessé au combat en mai 2014 au tibia, blessure nécessitant deux opérations et une longue convalescence.
Selon la revue de l’État Islamique « Dabiq », dans son éloge posthume, il aurait, après sa convalescence, pris la route de la France pour préparer les attentats et particulièrement pour préparer les charges explosives des deux attentats de Paris et Bruxelles.
Il semble confirmé par l’enquête qu’il est devenu un des plus proches d’Oussama ATAR au sein de la COPEX et donc une des figures les plus importantes de l’État Islamique.
Selon Osama KRAYEM, Oussama ATAR aurait confié l’organisation des attentats à Abdelhamid ABAAOUD et Najim LAACHRAOUI qu’il côtoyait en Syrie, ainsi qu’aux frères EL BAKRAOUI pour l’aspect logistique en Belgique.
Il a pris le chemin de l’Europe pour les attentats avec Mohamed BELKAID le 9 septembre 2015. Ils ont été récupérés par Salah ABDESLAM en Hongrie et convoyé par ce dernier vers la Belgique qui contestera savoir que c’étaient des terroristes et qu’ils venaient pour un attentat.
Il fréquentera les diverses planques de la cellule terroriste en Belgique, étant l’artificier des gilets d’explosifs ayant servi aux attentats.
Le matériel informatique retrouvé dans la dernière planque de la cellule après les attentats de Bruxelles, notamment l’ordinateur dit de la Rue Max Roos, démontrera son rôle de dirigeant de la cellule avec les frère EL BAKRAOUI, le fait qu’il prenait ses instructions et rendait régulièrement des comptes à Oussama ATAR, mais aussi qu’il était bien en charge de la confection du TATP (explosif).
Il aurait également été présent aux côtés d’Ibrahim EL BAKRAOUI lors du retour de Salah ABDESLAM après les attentats du 13 novembre dans la planque de la rue Henri Berger. Il se serait par ailleurs chargé, avec EL BAKRAOUI, des transferts de Salah ABDESLAM entre les diverses planques jusqu’à son arrestation.
Le 22 mars 2016, il quittait la planque de la Rue Max Roos avec Ibrahim EL BAKRAOUI et Mohamed ABRINI, porteurs de sacs d’explosifs. Il est décédé dans l’explosion de son sac d’explosifs à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem.
Mohamed Belkaid
Logisticien et coordinateur projeté de la cellule franco-belge des attentats
Décédé lors de la tentative d’interpellation de Salah ABDESLAM à Forest le 15 mars 2016
Date de naissance : 9 juillet 1980 en Algérie
Nationalité : Algérienne
Statut : Soutien logistique projeté et coordinateur
de la cellule franco-belge des attentats
Ses plus proches du dossier : Najim LAACHRAOUI, Ibrahim et Khalid
EL BAKRAOUI
Connaissait également Salah ABDESLAM et ceux qui ont fréquenté
les planques, au moins de vue
Disposant de nombreuses identités et de nombreux alias dans divers pays européens, son parcours n’a pu être que difficilement retracé.
Il aurait vécu en Espagne entre octobre 2007 et septembre 2008. Puis, il aurait vécu en Suède où il aurait été marié jusqu’au décès de son épouse le 11 mars 2014. Il aurait été condamné à cinq reprises dans ce pays entre janvier 2009 et mai 2013 pour des faits d’usage de faux documents, vols et port d’arme, pour lesquels il aurait été emprisonné et aurait été libéré le 6 juin 2013. Il aurait également été inquiété dans une enquête pour meurtre, toujours en Suède. Il aurait ensuite pris la fuite pour échapper à des poursuites judiciaires.
Il à noter qu’un de ses frères, Ayoub BELKAID, aurait vécu en Belgique entre 2009 et 2010 et connaissait le réseau de faussaires dit « Catalogue » qui a fourni les faux papiers pour les attentats du 13 novembre à Khalid EL BAKRAOUI.
Il semble qu’il soit parti en Syrie fin 2013. On ignore tout de ses activités sur zone.
A son propos, la revue « Dabiq » de l’État Islamique indiquait dans son éloge posthume suite aux attentats de Bruxelles qu’il aurait participé à plusieurs batailles lors de son séjour sur zone, ayant été blessé à cette occasion à la jambe et à la tête. Elle indiquait également qu’il avait accompagné Najim LAACHRAOUI en Europe et s’était sacrifié pour sauver ses compagnons (lors de la tentative d’interpellation de Salah ABDESLAM à Forest le 15 mars 2016 ndlr.).
L’enquête a établi qu’il a pris la route de l’Europe pour les attentats avec Najim LAACHRAOUI le 9 septembre 2015. Ils ont été récupérés par Salah ABDESLAM en Hongrie et convoyé par ce dernier vers la Belgique qui contestera savoir que c’étaient des terroristes et qu’ils venaient pour un attentat.
Mohamed BELKAID ne se rendait pas à Paris pour participer aux attentats, mais restait sur Bruxelles dans un rôle de soutien logistique et de coordinateur téléphonique le soir des attentats.
C’est également lui qui aurait entretenu des contacts à partir du dimanche 15 novembre 2015 avec Hasna AÏT BOULAHCEN pour qu’elle trouve un hébergement à Abdelhamid ABAAOUD et Chakib AKROUH, lui envoyant un mandat Western Union à cet effet sous l’une de ses fausses identités, Samir BOUZID.
Son profil génétique a été relevé dans la plupart des caches de la cellule franco-belge.
Il est décédé lors de la tentative d’interpellation de Salah ABDESLAM à Forest le 15 mars 2016, ayant tiré sur les policiers pour couvrir sa fuite et celle de Sofien AYARI.