Incendie mortel à Vincennes

24 janvier 2023
24 janvier 2023 Chlowebmaster
l’article du Monde est à lire dans son intégralité ici

Quatre ans de prison, dont trois avec sursis, ont été requis, le 23 novembre, au procès du fondateur et gérant de Lobster Films, qui conservait sous un immeuble des bobines de films hautement inflammables.

Poursuivi pour homicides et blessures involontaires et pour mise en danger de la vie d’autrui, Serge Bromberg, fondateur et gérant de Lobster Films, société spécialisée dans la sauvegarde, la restauration et la distribution de films anciens, comparaissait, mardi 22 et mercredi 23 novembre, devant la 11e chambre correctionnelle de Créteil.

Dans la nuit du 10 au 11 août 2020, des centaines de bobines de cinéma au nitrate de cellulose (hautement inflammables et interdites de fabrication depuis 1952), qu’il stockait sans autorisation sous un immeuble de huit étages à Vincennes (Val-de-Marne), avaient pris feu, provoquant la mort de deux personnes.

Quatre ans de prison, dont trois avec sursis, ont été requis par le parquet qui réclamait que le motif de la peine soit changé en homicide involontaire aggravé au motif que le prévenu savait pertinemment les risques encourus et aurait maintenu ces pratiques pour des raisons économiques, a jugé la procureure. Même s’il a plaidé la contrition tout au long des audiences (« Je suis fautif », « J’ai été négligent », « C’est une erreur »), Serge Bromberg est resté droit comme un i dans sa chemise grise, dos au public, défendant sa position première : devant ce drame humain, « [il] n’[a] pas de mots », mais il n’a « jamais été question pour [lui] de conserver ces bobines. C’était un stock tampon en attendant qu’elles aillent au CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] qui, depuis des mois, ne me les [lui] prenait plus ».

Aux questions précises du président Philippe Combettes et de ses deux assesseurs, chargés de juger de la culpabilité et de la peine, Serge Bromberg s’est efforcé de répondre :

« Avez-vous cherché d’autres sites ?

Je n’ai jamais envisagé autre chose que le CNC comme alternative. »

Mais, aux yeux des parties civiles, la sobriété apparaît comme de la froideur, le silence comme de l’orgueil, les rares explications comme des tentatives de détourner la culpabilité sur d’autres, et son professionnalisme, comme une circonstance aggravante.

« Il savait les risques », répètent les avocates de la partie civile.

Parole des victimes

Dans la salle, la détresse est palpable à l’évocation de la façon dont un quinquagénaire, brûlé au troisième degré « sur 30 % du corps », précise le président, a sauté du cinquième étage, heurtant l’échelle des pompiers, avant de s’écraser au sol. La sœur de la victime, prostrée, tient la main de son mari, sa jambe tremble comme une feuille. De même le rappel des derniers moments de Rachel S., 69 ans, que les pompiers n’ont pu sauver et dont le corps sera retrouvé entièrement carbonisé, sa fille venant témoigner à la barre, agitant un double des clés comme le seul souvenir qu’il lui reste de sa mère. Le procès aura eu pour mérite de donner à entendre la parole des victimes. Pour certaines en attente de retrouver un logement, alors que l’immeuble de Vincennes est toujours en travaux. Traumatisées, toutes.

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Il aura aussi permis de poser certaines questions en suspens – même si certaines ne trouveront jamais sans doute de réponses satisfaisantes. Combien y avait-il de bobines entreposées à Vincennes ? Au-delà d’une tonne, cela demande une autorisation spéciale. En deçà, une simple déclaration – dont, de toute façon, Serge Bromberg n’a pas retrouvé la trace ou le récépissé. Le CNC était-il dans l’obligation de prendre ses bobines ? Oui, a cherché à démontrer l’avocat du prévenu, MeEmmanuel Mercinier, dans une longue intervention. Y avait-il des solutions sécurisées, pour entreposer provisoirement les bobines inflammables ? Non, a poursuivi son défenseur, hormis peut-être – comme l’a souligné habilement le président du tribunal – dans cette ferme isolée dans la campagne normande, où Serge Bromberg détenait également quelque trois cents bobines, depuis reprises par le CNC…

Lors de séances baptisées « Retour de flamme », Serge Bromberg montre à quel point le nitrate peut s’enflammer facilement, donnant à une spectatrice un morceau de pellicule auquel il met le feu.

Seule vraie surprise des audiences, le rajout au dossier par Me Elsa Crozatier de trois vidéos montrant Serge Bromberg lors de ses spectacles, des projections-conférences, qui font partie de son fonds de commerce. Lors des deux premières, antérieures au drame, il montre, dans ces séances baptisées « Retour de flamme », à quel point le nitrate peut s’enflammer facilement, donnant à une spectatrice un morceau de pellicule auquel il met le feu. La troisième séquence a lieu à Vincennes même, un mois après l’incendie, le 7 septembre 2020. La personne qui l’invite pour présenter Dawson City, un long-métrage dont Lobster a les droits, l’introduit en rappelant ce rituel. Lui ne dit pas un mot, ni de l’incendie qui vient d’avoir lieu ni de la dangerosité du produit. Juste cette phrase : « Je suis victime de mes passions. »

Pour les familles des victimes, un camouflet. Mais peut-être aussi un élément éclairant sur le plus grand mystère peut-être de toute cette affaire : comment, pendant deux ans, personne n’en a entendu parler, avant qu’un article, il y a un peu plus d’un mois, ne le révèle dans Le Canard enchaîné. Même à ses proches, Serge Bromberg n’en avait touché mot. Devant le tribunal, Me Emmanuel Mercinier a expliqué : « Dans les faits et jusqu’à cette comparution, Serge Bromberg a été dans une forme de déni. Le poids des faits qu’il a commis lui a laissé une forme de culpabilité qui le rend incapable de formuler la chose. » Alors que le président levait la séance, on a senti la carapace se fissurer. Rendu du délibéré le 24 janvier 2023.

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