Un homme se faisant passer pour une directrice de casting américaine est jugé devant le tribunal correctionnel de Marseille pour avoir fait passer des faux castings érotiques à de jeunes femmes, parfois mineures, démarchées sur Instagram.
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paru dans 20 Minutes.Cinq jeunes filles, pour certaines mineures au moment des faits, venues des quatre coins de la France, mais qui se retrouvent ce mercredi sur le même banc des parties civiles, victimes du même homme selon le même mode opératoire. Ce mercredi, le tribunal correctionnel de Marseille se penche sur une affaire de faux castings sur les réseaux sociaux, orchestrés par un homme âgé d’une trentaine d’années au moment de faits, qui les poussaient à se déshabiller via leur webcam. Des faits que l’intéressé, inconnu des services de police, a reconnu dès le début de la procédure. 20 Minutes fait le point.
Quel est le point de départ de cette affaire ?
Le 6 septembre 2021, la mère d’une jeune fille de 17 ans fait un signalement sur la plateforme Pharos, ce dispositif mis en place par le ministère de l’Intérieur pour lutter contre la cybercriminalité. Ce jour-là, sa fille s’était connectée sur Skype à l’invitation d’une certaine Célia qui l’avait démarché sur Instagram quelques jours plus tôt et complimenté sur ses photos. Cette femme se présentait comme une directrice de casting américaine et lui avait proposé de faire du mannequinat. Le jour du rendez-vous, la prétendue directrice de casting « lui demande d’activer sa webcam », raconte l’avocate de la jeune, Me Elsa Crozatier. « Elle est hésitante mais se laisse faire, rassurée par ses paroles. La directrice de casting dit en revanche que de son côté, elle a un problème de caméra. » La voix féminine de l’autre côté de l’écran lui demande « petit à petit d’enlever son pull, puis d’autres vêtements, jusqu’au moment où elle se retrouve complètement dénudée ».
Devant les enquêteurs, l’adolescente racontera que la directrice de casting lui a notamment demandé de rapprocher son sexe de la caméra et de faire des poses plus sexuelles. L’adolescente a toutefois refusé de se masturber devant l’objectif comme exigé par son interlocutrice. Les enquêteurs ont ensuite fait le lien avec d’autres affaires, notamment une plainte déposée par une jeune fille de Haute-Garonne en mars 2021 pour des faits similaires.
Quel est le mode opératoire ?
Lors de leur enquête, les policiers ont pu identifier plusieurs autres victimes qui avaient subi des agissements similaires. Ces jeunes filles étaient d’abord contactées en message privé sur Instagram par une femme dont le nom correspond bel et bien à une véritable directrice de casting américaine qui vivait en Géorgie. Elles étaient invitées à un casting sur Skype ou, chaque fois, l’interlocuteur derrière l’écran n’allumait pas sa caméra prétendument défectueuse. Une voix féminine les incitait peu à peu à se déshabiller, prétextant vouloir par exemple vérifier la symétrie des seins.
Le casting s’était même produit en présence de la mère d’une des victimes aujourd’hui parties civiles. « Le mode opératoire était extrêmement rigoureux, estime l’avocate de cette jeune fille, Me Sophie Mongis. Il avait généré un questionnaire et même un bulletin d’informations pour les parents avec une décharge ! »
Rapidement identifiée grâce à son adresse IP, la prétendue directrice de casting se révélait être en réalité un Marseillais né en 1982 qui a reconnu rapidement les faits devant les enquêteurs. Il utilisait notamment un logiciel pour déformer sa voix et a expliqué avoir fait des captures vidéos de ces castings sur Skype. Il a été mis en examen pour « prise du nom d’un tiers » pouvant déterminer des poursuites pénales contre lui, « corruption de mineur avec mise en contact par un réseau de communication électronique » et « détention d’image d’un mineur présentant un caractère pornographique ». Il encourt jusqu’à sept ans de prison pour des faits allant du 29 mars 2021 au 2 mars 2022.
Qui est le prévenu ?
Le prévenu, un père de famille perchman de profession, est totalement inconnu des services de police. L’expertise réalisée sur son ordinateur révèle que cet homme a effacé plus de 132.000 fichiers une nuit de mars 2022, soit quelques mois après la première plainte déposée dans cette affaire. Parmi les fichiers à la disposition des experts dans le téléphone et l’ordinateur, les enquêteurs ont retrouvé de nombreuses photographies à caractère pédopornographique. Les policiers ont également retrouvé dans cet ordinateur des vidéos tournées grâce à une caméra dissimulée dans une salle de bains. Des images sur lesquelles a été identifiée la belle-sœur de l’intéressé.
Interrogé sur les faux castings qu’il organisait, le Marseillais a rapidement reconnu les faits. Il explique avoir agi de la sorte afin de se masturber et satisfaire ses désirs sexuels, se plaignant d’un manque de libido de sa compagne. S’il reconnaît avoir déjà consulté des sites pédopornographiques, il nie toute attirance envers les mineurs. Il reconnaît par ailleurs avoir agi de la sorte avec d’autres jeunes filles que celles citées dans ce dossier, dont il connaissait pour certaines la minorité. Plusieurs de ses victimes ont été identifiées par les enquêteurs mais n’ont pas souhaité déposer plainte.
« Mon client est profondément honteux et, pour être honnête, sa réaction n’est pas révélatrice de ce qu’il est vraiment », affirme son avocat, Me François-Xavier Kozan. Et de lancer, sans vouloir en dire plus : « C’est quelqu’un qui a dû subir les conséquences d’un passé d’enfant et d’adolescent et qui a ressurgi dans sa vie d’adulte. Et il s’est saisi du temps qui lui a été donné pour véritablement engager une introspection et un suivi pour identifier les causes de ses réactions et les traiter. »
Qui sont les victimes ?
Au total, cinq jeunes filles, âgées de 15 à 18 ans au moment des faits, ont porté plainte. Elles se sont notamment contactées via les réseaux sociaux peu après les faits, et présentent, selon leurs avocats, encore aujourd’hui, des séquelles. « Je trouve ma cliente encore assez bouleversée, même si elles sont toutes solidaires, rapporte ainsi Me Laurie Combes, avocate d’une des cinq victimes, habitant la Haute-Garonne. Elle attend la condamnation car c’est très compliqué ce qui s’est passé pour une jeune fille de 18 ans en pleine construction de sa personnalité et de son rapport à la sexualité. Ce n’est pas anodin et ça a laissé des traces. » Si plusieurs victimes ne feront pas le déplacement, la plus jeune d’entre elles tient à être présente à l’audience, ainsi que sa mère. « Elle vit avec beaucoup d’appréhension le fait de rencontrer physiquement le prévenu qu’elle ne connaît pas puisqu’il avait dissimulé son visage. Mais si elle a porté plainte ainsi que les autres victimes, c’est pour qu’il arrête de nuire. C’est presque un enjeu politique et d’utilité publique. »